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“Olivia Gay” Envisagées
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 7 mars au 20 mai 2018



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 6 mars 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Olivia Gay, Salimatu, Kolondimba, Mali, 2009. © Olivia Gay.
2/  Olivia Gay, La Prière, Dominicaine du Monastère Saint-Maximin (Provence), 2007. De la série « Ora et Labora ». © Olivia Gay.
3/  Olivia Gay, Isabelle, Visiteuse. Calais, 2010. Série « Les Dentellières de Calais ». © Olivia Gay.

 


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Interview de Olivia Gay,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 6 mars 2018, durée 16'51". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire d’exposition : Karen Pfrunder



« À distance d’un photojournalisme qui privilégie l’instant décisif et les images choc, Olivia Gay poursuit la longue et patiente quête d’un regard. Regard sur le travail sous toutes ses formes – qu’il soit aliéné ou rédimé – et sur les femmes, dont elle narre la rencontre à chaque fois singulière, et dont elle dresse le portrait subjectivé sous la forme de cet “envisagement” cher au philosophe Emmanuel Levinas.

Qu’elles soient prostituées, dentellières, caissières, ouvrières, modèles, citadines, moniales, détenues, réfugiées, chacune fait ainsi partie d’une communauté de femmes qui “résistent”, en dépit de tout. Résistantes : ainsi vont les femmes d’Olivia Gay. Pour autant, pas de féminisme à la Simone de Beauvoir : l’artiste met plutôt en avant les notions de “discrétion”, d’“accueil” et de “recueillement”, menant ainsi une recherche d’individuation. Le modèle pictural irrigue ces portraits subtils et “grâciés”, qui témoignent d’une immersion à chaque fois renouvelée dans des mondes spécifiques, et de ce qu’on pourrait nommer une spiritualité du visage. »

Dominique Baqué, historienne et critique d’art






Droit de regard. Droit de cité

« Au début était le visage, sublime, de la mère. Une mère au regard mélancolique, éprise d’histoires de cinéma, qui faillit devenir mannequin. C’est là que commence la quête photographique d’Olivia Gay. On ne se déprend jamais de sa mère. Ni de son regard. Alors, à contre-courant, la fille va porter son regard, justement, sur celles qu’on ne regarde pas : les invisibles, les humbles, les femmes de la nuit et de l’obscurité, celles que la société choisit cruellement d’ignorer.

Contrepoint absolu des Vénus et des Madones dont la peinture occidentale est si friande, les prostituées cubaines, première rencontre de la photographe : après une passe vite expédiée avec les riches touristes de passage, mais aussi au bain, cuisinant, s’occupant de leurs enfants, elles affirment paradoxalement force et liberté, défiant le misérable désir de leurs clients, narguant la violence qui transit leur monde.

Délivrer enfin une image authentique des femmes et de leur corps, leur rendre individualité et singularité, tel semble bien être l’objectif – au double sens du terme – d’Olivia Gay. Pour autant, nul pathos journalistique : on est loin ici du reportage, de l’image choc, au plus près, au contraire, du documentaire créatif.

La photographe prend le temps – sept ans pour chaque cycle -, apprivoise, écoute autant qu’elle regarde. Crée du lien, à chaque fois, même si les embûches ne manquent pas . Il y a une véritable obstination dans son travail, une attention sans cesse soutenue à l’autre, une modestie, aussi, à l’écart des tableaux photographiques, non dénués d’emphase, d’une certaine photographie plasticienne.

Pas non plus de typologie des visages comme la pratique l’École de Düsseldorf : là où un Thomas Ruff réifie les visages, Olivia Gay s’en approche au plus près, leur restitue une identité occultée. Voir prend du temps, car il s’agit de voir juste, et de pénétrer des mondes. Celui des ouvrières, des travailleuses, ces oubliées de l’art contemporain, ces exclues du récit national d’aujourd’hui. Enfin leur donner sens et existence : caissières de supermarché, ouvrières soumises aux cadences infernales de la chaîne et aux lois, plus inflexibles encore, du néolibéralisme avancé, empaqueteuses qui ne verront ni n’achèteront jamais le luxueux produit de leur labeur, domestiques brésiliennes venues de leurs favelas pour entretenir les demeures des plus riches, dentellières de Calais qui tentent de rédimer leurs gestes par l’excellence d’un savoir-faire ancestral… À toutes, Olivia Gay l’affirme : envers et contre tout, vous existez.

Pour autant, pas de politisation de l’image, pas de militantisme édifiant ni de féminisme brandi : Olivia Gay élabore plutôt ce que Levinas appelait bellement un “envisagement” - rien à voir avec le dévisagement, qui est négation de l’altérité. Ces femmes anonymes, enfin, se découvrent un visage. C’est-à-dire une subjectivité que le corps social leur refuse, et qui naît à travers ces images respectueuses.

Le travail est au coeur de la démarche d’Olivia Gay : comment lui redonner sens là où il est atomisé, parcellisé, nié comme ouvrage et comme œuvre à part entière ? Et comment conférer une dignité nouvelle à ces femmes que nul ne prend le temps de voir, de considérer, dans un monde régi par le plus dur des capitalismes marchands ?

Mais sans doute y a-t-il pire que le travail : la mise au ban de la société, l’absence de travail, justement, l’oisiveté forcée, quand être inactif aujourd’hui équivaut à n’être rien. Telles sont les femmes du Palais de la femme – dénomination pour le moins ironique -, à Paris, ce centre d’accueil pour femmes en détresse, étrangères rejetées, et qui ne font qu’attendre, allongées souvent, comme perdues à elles-mêmes. Attendre, rêver peut-être, espérer que quelque chose advienne, que la vie se mette en mouvement.

Une forme d’exclusion qui se voit radicalisée, dans le travail d’Olivia Gay, sous deux formes : la réclusion volontaire des moniales, et la réclusion imposée, celle des détenues. Là où les premières ont fait le choix délibéré du retrait, loin du regard des hommes, mais sous le regard permanent et puissant de Dieu – être femme, n’est-ce pas décidément toujours être “sous le regard de” ? -, les autres ont été emprisonnées par la loi des hommes. Sans doute ont-elles fauté, transgressé. Mais leur identité leur a été volée : il est interdit de photographier leurs visages. Alors Olivia Gay les rejoint autrement : en saisissant leurs corps dérobés à l’obscurité de leurs cellules, mais, plus encore, en leur offrant des carnets où dessiner, consigner leurs vies minuscules, leurs rêves, et coller des portraits d’actrices – par où la mère fait retour, de nouveau. Une subjectivation encore maladroite, comme esquissée, et qui trouve son déploiement dans le don d’un appareil photographique par lequel, enfin, elles s’auto-portraiturent et renaissent ainsi à elles mêmes.

Alors l’espoir peut se lever, vivace et insoumis. Les femmes d’Olivia Gay ne sont pas encore des révoltées, moins encore des militantes : mais elles persistent à exister, elles défient la cécité d’une société fracturée dans l’écart devenu incommensurable entre ceux que le hasard a dotés de tous les biens et qui, sans cesse, se montrent, s’exposent, s’affichent, et ceux qui n’ont rien, et dont l’on voudrait nous faire croire qu’ils ne sont rien.

Toutes ces femmes, chacune à leur façon, résistent. Plus que des résilientes, ce sont bel et bien des résistantes, auxquelles le regard d’Olivia Gay donne droit de cité. »

Dominique Baqué