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“Kupka” Pionnier de l’abstraction
au Grand Palais, Paris

du 21 mars au 30 juillet 2018



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 20 mars 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  František Kupka, Portrait de famille, 1910. Huile sur toile, 103 x 112 cm. République tchèque, Prague. Národní galerie v Praze, National Gallery in Prague. achat, 1946. © Adagp, Paris 2018. © National Gallery in Prague 2018.
2/  František Kupka, Le Rouge à lèvres n°II, 1908. Huile sur toile, 73 x 54 cm. France, Paris. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne don d’Eugénie Kupka, 1963. en dépôt au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. © Adagp, Paris 2018. © Musées de Strasbourg / Photo N. Fussler.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Etonnant parcours que celui de František Kupka, peintre, illustrateur, passant d'un registre à l'autre, prenant les risques les plus insensés en abandonnant la figuration pour devenir un des pionniers de l'abstraction.

Son sens affirmé de la mise en scène fait d'une méditation au bord d'un lac de montagne un dialogue philosophique. L'art du cadrage dramatise toute action en allégorie, les thèmes qu'il explore réunissent dans un même cérémonial raison et religion, critique sociale et mythologie, onirisme et réalisme. De vieux banquiers au ventre gonflé comme un crapaud, brillant des pièces d'or qu'ils ont englouti, tentent de séduire des nymphes défiantes. Dieu créant Adam est observé par un singe, représentant science et raison; en face de lui, la docte application de Prométhée sculptant une élégante femme le revoie, couteau ensanglanté à la main, à la violence et à la barbarie de sa création.

Au bord de la mer, une jeune fille sur un rocher tente de résister à l'assaut des vagues. La réalité s'ouvre pour laisser place à un monde fantastique fait d'étendues de nénuphars géants et de temples égyptiens. Deux femmes nues sur des chevaux sont arrivées sur un rivage. Les vagues se succédant sur le sable découpent la plage en bandes colorées, dégradés de nuances de brique rouge. La peinture, de patiente et détaillée comme du crayon de couleur se libère comme les corps qu'elle décrit, s'épaissit, se dirige vers l'essentiel impressionniste. Les visages maquillés deviennent des masques plats, les cous et les mentons se tendent, la peau prend des reflets verts, jaunes, bleus et roses. Le bâton de rouge à lèvres peint la bouche en un aplat rouge, en faisant une forme abstraite qui, déterminant le point central du tableau, finit par en occuper tout l'espace par sa présence.

Cette forme abstraite, une fois apparue dans la peinture de Kupka, va y rester, et peu à peu se multiplier avec succès. D'éléments d'ombre et de lumière modelant les visages et les corps à touches de piano s'envolant sur la surface d'un lac pour signifier le feuillage des saules, la technique de représentation s'affirme sans regret, sans retour en arrière. La robe d'une dame allongée sur l'herbe se décompose en simple dualité d'un bleu et d'un rouge aux frontières franches. Le volume déconstruit est reconstruit par le contraste brûlant des deux aplats complémentaires. Lorsque de Madame Kupka il ne reste que le visage encore lisible, bientôt totalement submergé par les bandes verticales de couleur couvrant tout l'espace, la métamorphose s'achève, Kupka ne reviendra plus à la figuration.

L'abstraction des formes et des couleurs conserve une élégance, les aplats ont des textures de pierre, de marbre, de bois précieux. Les traits zigzaguant sont rehaussés de contours. Encore attaché à la beauté, Kupka laisse virevolter des arabesques art nouveau, harmonise les couleurs. Le discours se détache du concret, se dématérialise, devient purement théorique, scientifique. Il s'agit, à travers points, droites, ovales, de trouver un absolu. La couleur est le point de départ, dictant la forme. La géométrie représente pendant un temps les rouages de machines, la puissance maitrisée de la vapeur, puis éclosent des fleurs cosmiques, des auras de cathédrales.

C'est dans la gravure que cette abstraction trouvera sa forme la plus aboutie. Les 26 planches de Quatre histoires de blanc et noir sont un manifeste de l'abstrait. Le noir et le blanc nous recentrent sur l'essentiel, éliminant toute diversion. Kupka réussit la synthèse des mondes, le passé rencontre le futur, le réel et le rêve sont indissociables, le tactile se confond avec l'éthéré. Ces images ont une profondeur infinie, elles absorbent le regard pour le plonger dans un univers en trois dimensions dans lequel on s'enfonce sans fin. On n'est plus dans la peinture, le dessin, mais désormais dans la philosophie.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Brigitte Leal, conservatrice générale, directrice adjointe chargée des collections du Musée national d’art moderne - Centre Pompidou
Markéta Theinhardt, historienne de l’art, Sorbonne Université,
Pierre Brullé, historien de l’art.

scénographie :
Véronique Dollfus



Première rétrospective, depuis l’exposition de 1975-1976 au Solomon R. Guggenheim Museum de New York et au Kunsthaus de Zurich, et celle de 1989 au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, elle couvre l’ensemble de l’oeuvre de l’artiste, de ses débuts marqués par le symbolisme jusqu’à ses dernières réalisations dans les années cinquante. Grâce au parcours européen de František Kupka (1871-1957), enraciné dans sa Bohème natale, formé dans la Vienne fin de siècle et dans le Paris des avant-gardes, l’exposition conduit à une nouvelle approche de deux courants majeurs des XIXe et XXe siècles, le symbolisme et l’abstraction, dont Kupka fut l’un des principaux acteurs.

Conjuguant parcours chronologique et thématique, cette exposition rassemble quelque 300 œuvres – peintures, dessins, gravures, manuscrits, journaux, livres illustrés et photographies – déployées en cinq sections qui permettent au public d’entrer de façon attractive dans l’univers spécifique du créateur : Chercher sa voie ; Un nouveau départ ; Inventions et classifications ; Réminiscences et synthèses ; et enfin Ultimes renouvellements.

Elle met l’accent sur les moments-clés de sa période créatrice, les chefs-d’oeuvre symbolistes et les premiers portraits expressionnistes parisiens, son passage à l’abstraction en 1912, le cycle des peintures organiques saturées de co uleurs, l’abstraction géométrique finale tout en évoquant des épisodes moins connus comme la période dite « machiniste » à la fin des années vingt.

L’exposition met également en valeur la personnalité riche et singulière de František Kupka, habité par une quête existentielle et souligne son intérêt pour la philosophie, les cultures anciennes et orientales, les religions, la poésie ou encore la science.