contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Chagall, Lissitzky, Malévitch” L’avant-garde russe à Vitebsk 1918 - 1922
au Centre Pompidou, Paris

du 28 mars au 16 juillet 2018



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, journée de tournage presse, le 26 mars 2018.

2381_Vitebsk2381_Vitebsk2381_Vitebsk
Légendes de gauche à droite :
1/  Marc Chagall, Composition aux cercles et a la chèvre (Théâtre national juif Kamerny), 1920. Huile sur carton contrecollé sur bois aggloméré, 37x49,6 cm. Collection particulière. © Adagp, Paris 2018.
2/  Olga Rozanova, Nature morte aux tomates, début des années 1910. Huile sur toile, 70,2x88,8 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. photo : © Musée russe, Saint-Pétersbourg.
3/  El Lissitzky, Frappe les Blancs avec le coin rouge, 1919-1920. Offset sur papier. © Collection Van Abbemuseum, Eindhoen, Pays-Bas. Photo : © Peter Cox, Eindhoven, Pays-Bas.

 


2381_Vitebsk audio
Interview de Angela Lampe, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 26 mars 2018, durée 13'32". © FranceFineArt.

 


texte de Mireille Besnard, rédacteur pour FranceFineArt.

 

L’exposition “Chagall, Lissitzky, Malévitch, l’avant-garde russe à Vitebsk 1918-1922", ouvre une vision transversale sur les ancrages, les péripéties et les tournants de l’avant-garde russe. Retracer l’histoire de l'École populaire d’art de Vitebsk qui n’exista que quatre ans et ne vit la sortie que d’une promotion, écrire l'histoire de la collection éphémère du Musée qui l’accompagna, permet non seulement de rassembler dans un même espace d’exposition les oeuvres d’artistes aussi antagonistes que ne l’étaient Chagall et Malévitch, favorise non seulement la compréhension de l’engagement pédagogique et de l’activité théorique de Malévitch, explique l’ascension subite de l’artiste El Lissitzky, mais éclairent aussi la diversité et la vivacité des courants avant-gardistes qui ont bouleversé la scène artistique russe, et ce plusieurs années avant même que les révolutions de 1917 ébranlent les structures sociales de la Russie impériale.

Le projet de Marc Chagall de créer une école d’art offrant une ouverture sur toutes les tendances de l’art contemporain amena les artistes les plus divers à enseigner à Vitebsk : que ce soit le peintre Ivan Pouni, organisateur en 1915 des deux plus grandes expositions futuristes de Saint-Pétersbourg (“Tramway V” et “Dernière exposition futuriste de tableaux, 0,10" durant laquelle Malévitch présente ses oeuvres suprématistes avec “Le carré noir sur fond blanc"), ou encore le peintre cézanien Robert Falk, initiateur du Valet de Carreau.

En ouvrant une école d’art dans sa région d’origine, Chagall cherchait à favoriser la diffusion d’un art nouveau, d’un art de gauche, révolutionnaire dans l’ancienne “zone de résidence” où étaient auparavant cantonnés les Juifs de l’Empire russe jusque là contraints par un strict numerus clausus dans l’enseignement. Il n’est cependant pas le premier à ouvrir de nouveaux foyers d'agitation artistique ou de diffusion des oeuvres d’art hors des pôles traditionnels se Saint-Pétersbourg et de Moscou. En cela, il continue la tradition des Ambulants ou plus tard des futuristes parcourants les provinces russes ou colportant l'effervescence dans d’autres régions de l’Empire, comme le firent les frères Zdanevitch et le poète Khoutchenikh en Georgie avec le groupe “41°”.

La révolution d’octobre l'amena, tel un Kandinsky ou un Matiouchine et à l’instar de beaucoup d’autres protagonistes de l’avant-garde engagés dans la construction d’une nouvelle société, à partager au sein de nouvelles structures qui contribua à mettre en place, des expériences acquises dans le bouillonnement artistique qui bouleversa tout l’Europe de ce début de XXème siècle.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Angela Lampe, conservatrice au musée national d’art moderne, Centre Pompidou
Commissaire associé pour le Van Abbemuseum, Eindhoven : Willem Jan Renders




Le Centre Pompidou propose au public de redécouvrir l’un des chapitres de l’aventure de la modernité et de l’avant-garde russe : la période de l’école populaire d’art (1918-1922) fondée par Marc Chagall dans sa ville natale de Vitebsk, située aujourd’hui en Biélorussie.

L’année 2018 célèbre le centenaire de la nomination de Marc Chagall, au poste de « commissaire des beaux-arts » de la ville de Vitebsk, position qui lui permet de réaliser son projet d’un institut d’art ouvert à tous. Parmi les artistes qu’il invite à y enseigner, on trouve les grands protagonistes de l’avant-garde russe, tels El Lissitzky et Malévitch. S’ouvre alors une période de fébrilité artistique pendant laquelle l’école se mue en un laboratoire révolutionnaire. L’exposition retrace ces passionnantes années postrévolutionnaires où, loin des métropoles russes, l’histoire de l’art s’écrit à Vitebsk.

À travers un ensemble de deux cent cinquante oeuvres et documents en provenance de la Galerie Tretiakov de Moscou, du Musée d’État russe de Saint-Pétersbourg, des Musées de Vitebsk et de Minsk et d’importantes collections américaines et européennes, l’exposition présente la création de ces trois figures emblématiques - Marc Chagall, El Lissitzky et Kazimir Malévitch - ainsi que les travaux d’élèves et d’enseignants de l’école de Vitebsk, comme Vera Ermolaeva, Nicolaï Suetin ou Ilia Tchachnik.

Sous la direction d’Angela Lampe, commissaire de l’exposition, un catalogue de 288 pages et environ 280 illustrations, est publié aux éditions du Centre Pompidou. L’ouvrage comporte des essais d’experts internationaux à l’instar d’Aleksandra Shatskikh ou Jean-Claude Marcadé. Une anthologie des traductions françaises de textes russes inédits et une chronologie détaillée, complètent cette publication importante.

Cette exposition est réalisée en collaboration avec le Van Abbemuseum, Eindhoven. Après le Centre Pompidou, l’exposition sera présentée au Jewish Museum à New York du 14 septembre 2018 au 2 janvier 2019, dans une version modifiée.



Introduction à l’exposition

Vivant à Petrograd, Marc Chagall est témoin direct de la révolution bolchevique qui bouleverse la Russie au cours de l’année 1917. Le vote d’une loi abrogeant toute discrimination nationale et religieuse lui confère pour la première fois, à lui l’artiste juif, un statut de citoyen russe à part entière. Chagall connaît alors une ivresse créative. Une série de chefs-d’oeuvre monumentaux voit le jour. Chacun de ces grands tableaux semble un hymne au bonheur du couple, comme « Le Double Portrait au verre de vin », 1917, et « Au-dessus de la ville », 1918 montrant les deux amoureux, Chagall et sa femme Bella, s’envolant vers les nuées, libres comme l’air. Tout respire l’euphorie du moment. Au fil des mois cependant, Chagall se sent dans l’obligation de venir en aide aux jeunes Vitebskois en mal d’un enseignement artistique, de soutenir ceux qui, comme lui, sont d’extraction modeste et d’origine juive. Lui vient alors l’idée de créer dans sa ville une école d’art révolutionnaire, ouverte à tous, sans restriction d’âge et gratuite. Ce projet qui inclut aussi la création d’un musée, incarne parfaitement les valeurs bolcheviques ; il est validé en août 1918 par Anatoli Lounatcharski, chef du commissariat du peuple à l’instruction publique. Un mois plus tard, il nomme Chagall commissaire aux beaux-arts, avec pour première mission d’organiser les festivités du premier anniversaire de la révolution d’Octobre. Chagall invite tous les peintres de Vitebsk à fabriquer des panneaux et des drapeaux à partir de dessins préparatoires, dont un certain nombre ont survécu. Dans son autobiographie Ma vie Chagall écrira plus tard : « Par toute la ville, se balançaient mes bêtes multicolores, gonflées de révolution. Les ouvriers s’avançaient en chantant l’Internationale. À les voir sourire, j’étais certain qu’ils me comprenaient. Les chefs, les communistes, semblaient moins satisfaits. Pourquoi la vache est-elle verte et pourquoi le cheval s’envole-t-il dans le ciel, pourquoi ? Quel rapport avec Marx et Lénine ? »

Après les célébrations, le commissaire met toute son énergie dans le développement de son école, le 28 janvier 1919 a lieu son inauguration officielle. Chagall, admiré par ses élèves, doit se démener pour assurer le bon fonctionnement de son établissement. Tandis que les premiers professeurs, quittent déjà l’école comme Ivan Puni , d’autres font leur arrivée comme Vera Ermolaeva, future directrice, et surtout El Lissitzky qui prend en charge les ateliers d’imprimerie, de graphisme et d’architecture. Il insiste auprès de son ami Chagall pour inviter le chef de file des mouvements abstraits, le fondateur du suprématisme Kazimir Malévitch. Très vite après sa venue en novembre 1919, le charisme de ce théoricien hors norme galvanise les jeunes élèves. En peu de temps, ils forment ensemble avec des professeurs adeptes du courant novateur un groupe qui reçoit le nom Ounovis (les affirmateurs du nouveau dans l’art). Un de leurs mots d’ordre proclame : « Vive le parti Ounovis, qui affirme les nouvelles formes de l’utilitarisme du suprématisme ». Ce collectif conçoit alors affiches, magazines, banderoles, enseignes et cartes d’alimentation ; le suprématisme infuse dans toutes les sphères de la vie sociale. Ses membres mettent en forme les fêtes et les oeuvres scéniques décorent les tramways, ornent les façades, construisent les tribunes des orateurs. Carrés, cercles et rectangles colorés envahissent les murs et les rues de la cité. L’abstraction suprématiste devient le nouveau paradigme non seulement à l’école, mais du monde en général. Lissitzky, de par sa formation d’architecte, y joue un rôle clé. Avec son ensemble extraordinaire des Proun (Projets pour l’affirmation du nouveau en art), il est le premier qui, dans ses toiles et dessins, étale le volume architectural au plan pictural des suprématistes, le considérant comme « les stations de liaison entre la peinture et l’architecture » Malévitch de son côté se consacre durant ses années à Vitebsk moins à la réalisation des peintures – une exception étant son magistral Suprématisme de l’esprit – qu’à la rédaction de ses principaux écrits théoriques et à son enseignement. Méthodique et stimulant, celui-ci séduit toujours plus d’étudiants, de sorte que Chagall s’en trouve de plus en plus isolé.

Son rêve de faire coexister dans son école un art révolutionnaire indépendamment du style, principe fusionnel qui l’a guidé autant dans la constitution de la collection de son musée que dans l’organisation de la première exposition publique en décembre 1919, où les toiles de Vassily Kandinsky et Mikhaïl Larionov côtoient les oeuvres abstraites d’Olga Rozanova, se brise au cours du printemps 1920. Ses classes se vidant peu à peu de leurs étudiants, Chagall décide en juin de quitter Vitebsk pour s’installer à Moscou où il travaillera pour le Théâtre juif. Blessé par cet échec, il gardera rancoeur à Malevitch qu’il accuse d’avoir intrigué contre lui.

Après le départ de Chagall, Malévitch et le collectif Ounovis, seuls maîtres à bord, travaillent à « l’édification d’un monde nouveau ». Des expositions collectives sont organisées, à Vitebsk et dans les métropoles russes ; des comités locaux sont instaurés à travers le pays comme le groupe Unovis à Smolensk autour de Vladislav Streminski et Katarzyna Kobro, à Orenburg avec Ivan Koudriashov, et à Moscou où Gustav Klutsis et Sergei Senkin sont rejoints par Lissitzky qui rallie à l’hiver 1920 le nouveau mouvement constructiviste. Avec la fin de la guerre civile vers 1921/1922, le climat politique change : les autorités soviétiques cherchant à instaurer l’ordre qui leur est nécessaire dans la sphère idéologique et sociale, amorcent une éviction des courants artistiques qui ne servent pas directement les intérêts du parti bolchevique. En mai 1922, la première promotion qui sort de l’école sera aussi la dernière. Durant l’été, avec plusieurs de ses étudiants, Malévitch part à Petrograd pour y poursuivre ses réflexions sur un suprématisme volumétrique en élaborant les maquettes d’une architecture utopiste, intitulées Architectones ainsi que des ustensiles en porcelaine. Au fil des années, l’école populaire d’art de Chagall s’est mue en un laboratoire révolutionnaire pour repenser le monde.

Les artistes : Marc Chagall ; David Chterenberg ; Mstislav Doboujinski ; Vera Ermolaeva ; Robert Falk ; Guerman Fedorov ; Natalia Gontcharova ; David Iakerson ; Lev Ioudine ; Anna Kagan ; Vassily Kandinsky ; Lazar Khidekel ; Gustav Klucis ; Katarzyna Kobro ; Nina Kogan ; Ivan Koudriachov ; Mikhaïl Kounine ; Mikhaïl Larionov ; El Lissitzky ; Evgenia Magaril ; Kazimir Malévitch ; Iouri Pen ; Ivan Pouni ; Efim Roïak ; Aleksandr Romm ; Olga Rozanova ; Sergueï Senkine ; Nikolaï Souiétine ; Włladysłav Strzemiski ; Ilia Tchachnik ; Janis Tilbergs ; Boris Tsetline ; Mikhaïl Weksler.