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“Tomoko Yoneda” Dialogue avec Albert Camus
à la Maison de la culture du Japon, Paris

du 28 mars au 2 juin 2018



www.mcjp.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Madame Okabe, le 28 mars 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Tomoko Yoneda, Amoureux, Jardin du Hamma (ancien Jardin d’Essai), Alger, 2017. courtesy of ShugoArts. © Tomoko Yoneda.
2/  Tomoko Yoneda, Statue dans un étang et palmier, Jardin du Hamma (ancien Jardin d’Essai), Alger, 2017. courtesy of ShugoArts. © Tomoko Yoneda.
3/  Tomoko Yoneda, Bord de mer, Tipaza, 2017. courtesy of ShugoArts. © Tomoko Yoneda.

 


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Interview de Madame Okabe, directrice artistique des expositions de la MCJP et commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 28 mars 2018, durée 11'20". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Aomi Okabe, directrice artistique des expositions de la MCJP.



Tomoko Yoneda est une photographe japonaise de renommée internationale qui vit et travaille à Londres. Depuis près de trente ans, elle parcourt le monde, enregistrant les traces laissées par l’Histoire. Pour la série inédite qu’elle présente à la MCJP, elle est partie sur les pas d’Albert Camus, en Algérie et en France, poursuivant sa réflexion sur la mémoire des lieux avec ses photographies sensibles et poétiques. Une évocation subtile des jeunes années de l’auteur de L’Étranger.

Pour ce 5e volet de la série Transphère – cycle d’expositions consacré à la création contemporaine japonaise, Tomoko Yoneda s’est plongée dans la vie et l’oeuvre d’Albert Camus. Elle s’est rendue sur les lieux qui ont mar­qué l’enfance et la jeunesse de l’écrivain : Alger, Tipaza, antique port romain qu’il aima tant et où se dresse une stèle à sa mémoire, mais aussi Paris, Le Chambon-sur-Lignon, village d’Auvergne où il vécut à partir de 1942 et écrivit La Peste. Ou encore Chambry où son père, engagé comme zouave, combattit durant la bataille de la Marne, et Saint-Brieuc où, en 1947, Camus découvrit avec émotion la tombe de son père mort en 1914, comme il le raconte dans son roman resté inachevé, Le Premier Homme. La trentaine de photographies sélectionnées pour cette exposition est un dialogue entre la photographe et l’écrivain, entre le passé et le présent. Elle nous incite à réfléchir à la colonisation, à la guerre, ainsi qu’aux combats et à l’humanisme de Camus.

Tomoko Yoneda a étudié la photographie aux États-Unis puis à Londres, au Royal College of Art, à l’époque de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’Union soviétique. Elle prit conscience que même les structures et les idéologies les plus puissantes étaient éphémères, et que la société dans laquelle nous vivons pouvait se transformer radicalement en un rien de temps. Fascinée par l’histoire tourmentée du XXe siècle, elle s’est rendue en Europe de l’Est, en Irlande du Nord, à Taïwan, au Bangladesh, et plus récemment à Fukushima. Les photos qu’elle y a prises sont celles de paysages et de lieux en apparence ordinaires, sublimés par sa maîtrise formelle. Mais les titres de ces oeuvres font ressurgir le souvenir d’événements du passé. Yoneda révèle ainsi dans notre environnement quotidien les traces de tragédies oubliées.





Tomoko Yoneda par elle-même

(…) Pour cette exposition, j’ai revisité les lieux où Camus a vécu, ainsi que les endroits et les événements historiques qui l’ont inspiré, dialoguant avec les habitants de l'Algérie et de la France chères à l'écrivain pour mieux explorer en images la question de l’amour universel et radieux. Je me suis efforcée d’alimenter la réflexion sur la nature humaine, en répondant en photographies aux événements du passé, mais aussi aux ombres qui planent de nouveau sur l’Europe et le Japon.

Cette exposition s’articule autour de Ni victimes, ni bourreaux, qui m’a beaucoup marquée alors que je vivais aux États-Unis pendant la guerre froide. Dans cet essai écrit après le largage de la bombe atomique en 1945, Camus dénonce le glissement vers le totalitarisme entraîné par la guerre froide et l’avènement d’un nouvel ordre mondial reposant sur la peur et où « la fin justifie les moyens ». L’écrivain pose une question fondamentale : ne devriez-vous pas dire « non » à un monde qui légitimise le meurtre ?

Les guerres qui ont éclaté du temps de Camus et de ses prédécesseurs ont-elles pavé la route vers un avenir plus pacifique pour notre génération ? Nous continuons à chercher la réponse à la question que Camus a passé sa vie à essayer de résoudre : quelle révolte, quelle justice sont véritablement humaines et dignes ? Dans le chaos actuel, l’oeuvre de Camus et sa façon de vivre nous rappellent à quel point il est important de s’interroger sur le sens de notre existence et de l’amour. À travers mon travail, j’espère contribuer à ce vaste dialogue.





« Ni victimes ni bourreaux » Tomoko Yoneda par Aomi Okabe, Curatrice, Directrice artistique des expositions, Maison de la culture du Japon à Paris

Tomoko Yoneda connaissait Albert Camus, et notamment L’Étranger, depuis ses années de collège, mais sa véritable rencontre avec lui remonte à l’époque où elle étudiait à l’université de l’Illinois, à Chicago, lorsqu’elle a découvert, en traduction anglaise, un recueil d’essais intitulé « Ni victimes ni bourreaux » d’après le titre d’un texte publié en 1946 dans Combat, journal clandestin de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce recueil est devenu la ligne directrice de Tomoko Yoneda dans son travail de photographe.

« Voulez-vous être tué ? », « Ou bien voulez-vous tuer quelqu’un ? » * demande Camus, mais si vous répondez non à ces deux questions, alors il ne vous reste que la paix pour horizon.
(…)
Yoneda s’installe en Europe en 1989, à l’époque de la guerre du Golfe et de la chute du mur de Berlin. Elle est alors frappée par la rapidité avec laquelle la réalité change : « Ce qu’on croyait avoir devant les yeux non seulement n’est pas forcément éternel, mais peut même s’effondrer pour devenir autre chose. »
(…)
Depuis longtemps fascinée par la composition parfaite et la qualité de ses oeuvres, j’étais curieuse de voir comment cette photographe sensible aux aléas de l’histoire et aux crises humaines appréhenderait les tourments auxquels l’Europe est aujourd’hui confrontée, tels que l’afflux de réfugiés ou les attentats terroristes qui se succèdent, et c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité l’inviter pour l’exposition Transphère #5 à la Maison de la culture du Japon à Paris.

À l’origine des tensions avec le monde musulman qui existent en France, il y a l’histoire de l’Algérie colonisée de 1830 à 1962 et une cruelle guerre d’indépendance. En outre, même si des réfugiés parviennent en Europe aujourd’hui, ils doivent assumer une double identité culturelle. Alors qu’elle réfléchissait à cette thématique depuis 2015, l’idée de travailler sur la vie d’Albert Camus, à qui elle s’intéresse depuis sa jeunesse, a émergé dans l’esprit de Tomoko Yoneda.
(…)
En Algérie, Tomoko Yoneda a utilisé l’appareil photo des années 1950 qui appartenait à son père, puis elle est arrivée à Marseille en bateau, comme Camus lorsqu’il s’est rendu à Paris. À vrai dire, elle désirait vivement discuter avec des étudiants algérois, mais n’a malheureusement pas pu mener à bien ce projet. Outre qu’il lui était difficile de rencontrer librement des étudiants, elle n’a pas été autorisée à photographier avec du matériel de grande dimension. Même ses prises de vue avec un appareil ordinaire étaient constamment contrôlées. Néanmoins, un jour viendra peut-être où elle pourra exposer en Algérie et échanger avec des Algériens.

La situation du Japon d’après-guerre est souvent comparée à celle de l’Allemagne, mais les relations difficiles qu’il entretient avec la Chine et la Corée, qu’il a occupées quelque temps, n’est pas sans évoquer les relations entre l’Algérie et la France.
(…)
Depuis la catastrophe nucléaire qui a frappé Fukushima après le tsunami provoqué par le tremblement de terre du 11 mars 2011, Yoneda continue d’interroger l’histoire moderne et contemporaine du Japon, en photographiant par exemple des chrysanthèmes comme des portraits de Japonais ou une grue de papier confectionnée par la jeune Sadako Sasaki, morte irradiée par la bombe atomique de Hiroshima. Jusqu’au séisme, rares étaient au Japon, pays que l’on disait ultra-pacifiste, les artistes qui, comme Yoneda, concevaient leurs oeuvres d’un point de vue social. Mais depuis, les consciences ont grandement évolué, et son rôle de pionnière est de plus en plus reconnu parmi la jeune génération.

Chacun, dans quelque pays que ce soit, a quelque chose dans son passé qu’il souhaite oublier. En l’effaçant, en le chassant de sa mémoire peut-être parvient-on à se sauver. Pourtant, n’est-ce pas en ayant le courage de regarder la vérité en face que l’on trouve la force de bâtir l’avenir ?

Camus aimait beaucoup la lumière des ruines romaines de Tipaza, sur la côte algérienne. Sans doute le portrait de lui que Tomoko Yoneda nous révèle grâce à des recherches obstinées et à son constant souci de la dignité humaine peut-il nous encourager en cette époque de turbulences et nous envelopper dans la lumière limpide de la Méditerranée.

* Albert Camus, Ni victimes ni bourreaux © GALLIMARD