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“Âmes sauvages” Le symbolisme dans les pays baltes
au Musée d'Orsay, Paris

du 10 avril au 15 juillet 2018



www.musee-orsay.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition, le 10 avril 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Johann Walter (Mitau [auj. Jelgava], Lettonie, 1869 – Berlin, Allemagne, 1932) , Jeune paysanne, vers 1904. Huile sur toile, 83,8 × 98 cm. Riga, musée national des Beaux-Arts de Lettonie, VMM GL-98. © Photo Normunds Brasliņš.
2/  Janis Rozentāls (Saldus, Lettonie, 1866 – Helsinki, Finlande, 1916), Arcadie, vers 1910. Huile sur toile, 137 × 230 cm. Riga, musée national des Beaux-Arts de Lettonie, inv. VMM GL-51. © Photo Normunds Brasliņš.
3/  Johann Walter (Mitau [auj. Jelgava], Lettonie, 1869 – Berlin, Allemagne, 1932) , Forêt de bouleaux, vers 1903-1904. Huile sur toile, 81 × 103 cm. Riga, musée national des Beaux-Arts de Lettonie, VMM GL-1339. © Photo Normunds Brasliņš.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

C'est un pays lointain aux paysages familiers, pourtant la lumière si particulière rend tout étrange. Les peintres baltes nous en font un portrait où le réel se mêle à l'irréel, celui d'une terre de légendes où chaque pierre ou brin d'herbe a une histoire à raconter. La jeune paysanne de Johann Walter s'est immobilisée au milieu des moissons, son regard frontal suspend le temps, fige l'espace autour d'elle, laissant se dissoudre la simple description du réel. Dés lors la nature se met à vibrer de l'énergie des hommes qui l'ont habitée, elle en restitue l'histoire et les mythes.

D'un drakkar viking à une déesse chevauchant un aigle, les légendes nordiques imprègnent la vision de ces peintres. Des personnages luttent, empoignant un impressionnant tronc de bouleau comme on le ferait d'un simple bâton. Pour Oskar Kallis, sa Linda portant un rocher est un exploit héroïque. Une femme aux habits simples de paysanne exhibe une force de déesse ou de superhéros, commandant au soleil se se lever glorieusement sur l'horizon. L'Arcadie de Janis Rozentāls, d'une scène familière d'agape au bord de la mer, devient un songe mythologique. Les femmes se pâment devant de mignons angelots qui, d'un peu envahissants, se font menaçants, se ruant en nuées sur une nymphe qui s'est attardée sur la plage. Les couleurs sucrées comme des bonbons, une femme sortie d'une affiche de Mucha qui se tient derrière un arbre, un mouvement de danse: les influences se mélangent dans une rare, et originale audace. Ces peintres montrent une rare capacité à explorer, intégrer toutes les influences de leur époque mais sans jamais abandonner leur identité, osant coller ensemble des styles et expérimentations très éloignées.

Les arbres sous la neige de Pēteris Kalve sont un pointillisme d'encre de chine. La plume, point après point, dessine les troncs et les branches et laisse apparaitre le blanc du papier en de pareils points blancs, flocons de neige tombant et recouvrant la campagne. Le blanc et le noir s'équilibrent en parts égales, indissociables comme si le dessin avait été réalisé à l'encre blanche sur un papier noir. Cette dualité ombre/lumière imprègne tout: de la danse de la vie de Oskar Kallis qui évoque plus la mort par ses danseuses squelettiques au héros mourant de Kristjan Raud, refusant sa fin inéluctable, tentant de se relever de ses dernières forces, les muscles saillant d'énergie de vie.

Un chevalier part pour la guerre, brandissant son épée sous un le ciel rouge. Des arbres sont stylisés en de longues et fines trainées verticales comme de l'encre s'écoulant depuis le tache brumeuse de lavis du feuillage. Le mouvement que l'on trouve dans ces tableaux traduit la fondation de cette peinture dans le conte. Tout est une narration, que ce soit dans une seule toile ou sous forme de séquences comme une bande dessinée. Peet Aren avec Auprès du lit du malade, construit son récit de plan en plan. La femme pleurant de face, déjà vêtue de noir, projette une ombre que l'on ne distingue pas tout de suite être une vieille veuve, priant un malade alité qui déjà disparait en touches grossières, en épaisseurs abstraites de noir et de blanc.

Le conte, comme celui de Mikalojus Konstantinas Čiurlionis, stylisation de cercles, de courts traits zébrant la matière de rayures verticales ou horizontales, de couleurs rosées, lavandes, turquoise, nous emmène dans un monde onirique. Sa Création du monde en treize tableaux est un ailleurs psychédélique et étrange. Les lacs et arcades, les fleurs et les bulbes, nous les avons vues dans la bande dessinée de Möebius, dans Star Wars, et ils nous rappellent aussi quelques coins du paradis de Bosch.

La couleur est explosive, inattendue. Les influences fauves et orientalistes de Konrad Mägi lui inspirent une totale liberté d'expérimenter. Ses portraits arrivent à peine à contenir une palette en ébullition. Un paysage norvégien finit en délire de terre rouge, une savane préhistorique que l'on imagine peuplée de dinosaures. Une abstraction de taches et de formes, un pelage animal, des écailles de poissons sont assemblés dans une composition presque incompréhensible, et lorsque l'on s'éloigne, les différentes pièces s'assemblent, la toile révèle sa nature de forêt de bouleaux.

La diversité des œuvres, de pastels lourds à huile intense, de tempera douce, lumineuse à fusain d'une obscurité de néant sont une invitation au voyage. Pages d'un livre de contes, elles proposent une lecture au-delà de la rapide contemplation et nous montrent que le folklore n'est pas figé mais peut s'intégrer dans la modernité et continuer à nous accompagner encore longtemps.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Rodolphe Rapetti, conservateur général du patrimoine et directeur des musées et domaine nationaux de Compiègne et de Blérancourt.



Les pays baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, se constituèrent en états autonomes peu après la fin de la première Guerre mondiale. Le centenaire de cet événement est célébré jusqu’en 2021 dans toute l’Europe et notamment lors de cette exposition.

Le propos consiste à faire découvrir un symbolisme lié à l’univers culturel de la Baltique, des années 1890 aux années 1920-1930. Le symbolisme européen et l’émancipation de la conscience qu’il véhicule sont indissociables dans les pays baltes de leur indépendance. L’exposition retrace les jeux d’influences et de résistances à travers lesquels les artistes forgèrent un langage propre à leur univers, en ayant recours aux éléments de la culture populaire, du folklore et des légendes locales, ainsi qu’à la singularité de leurs paysages, aboutissant à un art d’une réelle originalité.

Si l’on excepte le Lituanien Mikalojus Konstantinas Čiurlionis, peintre et compositeur mondialement célèbre, la plupart des artistes sont remis en lumière pour la première fois hors de leur pays. L’exposition comporte environ 130 oeuvres et est divisée en trois sections, chacune présentant différentes techniques : peinture, sculpture, arts graphiques.

Mythes et légendes, cette première section explore la représentation de la mythologie, mais aussi celle de l’imaginaire. Le symbolisme a réactualisé le mythe en le reliant aux préoccupations contemporaines. Au milieu du XIXe siècle, l’écrivain et folkloriste Friedrich Reinhold Kreutzwal (1803-1882), recueille lors de ses voyages à travers l’Estonie les légendes de tradition orale qui vont former le Kalevipoeg, symétrique balte du Kalevala finlandais. Plus tard, Čiurlionis, musicien et peintre, fera de même avec les mélodies populaires de son pays. Ce « romantisme national » est contemporain du symbolisme et du courant idéaliste qui traverse l’Europe, en réaction au naturalisme.

L’Âme est le thème de la deuxième section, où sont présentés d’extraordinaires portraits qui mettent en évidence troubles, interrogations et exaltations, au moment où apparaissent les prémices de la psychanalyse. Un cabinet d’art graphique intitulé Tourments de l’âme met en relief les aspects violents propres à certaines figurations symbolistes.

La Nature est le sujet de la troisième section, qui s’attache à la représentation du paysage et débute par les 13 peintures de Čiurlionis composant son cycle intitulé La Création du monde. Vastes étendues vierges, puissance surhumaine des phénomènes naturels, succession des saisons forment l’essentiel du propos d’un paysage authentiquement symboliste, parfois habité de présences surnaturelles.