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“A Study in Scarlet” article 2419
Le Plateau, Frac Île-de-France, Paris

du 17 mai au 22 juillet 2018



www.fraciledefrance.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 16 mai 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Cosey Fanni Tutti's solo action, Omissions, Kiel, 1975. © Courtesy of Cosey Fanni Tutti and Cabinet, London.
2/  COUM Transmissions, action Jusqu'à la Balle Crystal, 9ème Biennale de Paris, 1975. © Courtesy of Cosey Fanni Tutti and Cabinet, London.
3/  Throbbing Gristle Promo Card B, 1980 © Courtesy of Cosey Fanni Tutti and Cabinet, London.

 


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Interview de Gallien Déjean, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 16 mai 2018, durée 16'34". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Gallien Déjean



Avec Ethan Assouline, Beau Geste Press, Lynda Benglis, Kévin Blinderman : masternantes, Pauline Boudry / Renate Lorenz, Jean-Louis Brau & Claude Palmer, Monte Cazazza, Chris & Cosey, COUM Transmissions, Vaginal Davis, Brice Dellsperger, Casey Jane Ellison, Harun Farocki, Karen Finley, Brion Gysin, Hendrik Hegray, Her Noise Archive, Robert Morris, Ebecho Muslimova, Meret Oppenheim, Pedro, Muriel & Esther, Lili Reynaud-Dewar, Christophe de Rohan Chabot, Louise Sartor, Throbbing Gristle, Cosey Fanni Tutti, Amalia Ulman et la participation des Vagues.

Cosey Fanni Tutti (née en 1951 à Kingston-upon-Hull en Angleterre) est connue pour avoir été membre, à partir de la fin des années 1970, du groupe Throbbing Gristle qui a eu une importance considérable sur la scène expérimentale. Conjointement à ses activités musicales, elle développa une pratique artistique singulière caractérisée par son activité au sein de l’industrie pornographique. Prenant l’oeuvre de Cosey Fanni Tutti comme axe de réflexion, A Study in Scarlet est une exposition collective dans laquelle se déploie une série de formes, de gestes et d’attitudes visant le dépassement ou la transgression des structures normatives d’identités et de genres.

Au cours de l’année 1976, l’Institut of Contemporary Art (ICA) de Londres programme une exposition intitulée Prostitution. À l’origine du projet, COUM Transmissions est un collectif, fondé en 1969, qui se consacre à la performance et au mail art en puisant ses influences dans Dada, la poésie Beat, l’actionnisme viennois, la contreculture ou encore l’occultisme. À l’occasion de l’exposition, Chris Carter, Cosey Fanni Tutti, Genesis P-Orridge et Peter « Sleazy » Christopherson, officialisent la transformation de COUM en une nouvelle entité musicale du nom de Throbbing Gristle. Cette formation deviendra en quelques années un groupe culte, pionnier de la musique électronique industrielle.

À l’époque, ce n’est pas tant la performance bruitiste du groupe le soir du vernissage que le contenu sulfureux de l’exposition qui choqua l’opinion publique. Une série de revues pornographiques contenant des photos de Cosey Fanni Tutti étaient encadrées comme des oeuvres d’art et présentées dans une salle de l’ICA que l’on pouvait visiter sur demande. Ne durant que quelques jours, l’exposition suffira pourtant à créer une véritable déflagration médiatique, relayée par les tabloïds, qui se propagera du monde de l’art jusqu’au Parlement, attisant le débat politique autour des questions de défense de l’ordre moral et de contrôle des dépenses publiques dans le domaine artistique.

L’oeuvre de Cosey Fanni Tutti, qu’il s’agisse du corpus de revues pornographiques ou de ses performances, se fonde sur une praxis émancipatrice qui transgresse les structures qui l’encadrent. Lorsqu’elle travaille dans l’industrie pornographique en tant que modèle et actrice durant plusieurs années, sa stratégie d’autoreprésentation devient paradoxale, car elle réussit simultanément à se libérer d’une identité figée tout en incarnant l’un après l’autre les stéréotypes féminins (la secrétaire, la femme de ménage, l’étudiante ingénue…) véhiculés par la pornographie hétéronormée. Par cette exhibition démultipliée d’elle-même (poses, vêtements, rôles), Cosey Fanni Tutti va à l’encontre d’une conception essentialiste de la féminité. Par la même occasion, elle dévoile les archétypes et la normativité des fantasmes patriarcaux produits par l’industrie capitaliste et, comme un miroir, retourne le regard désirant contre lui-même.

Ni rétrospective ni historique, ni même monographique, l’exposition se pense comme une nébuleuse qui se déploie à partir de la pratique de Cosey Fanni Tutti pour rayonner à la fois du côté de ses influences (Beat Generation, Fluxus), de ses compagnons de route (COUM Transmissions, Monte Cazazza) et de ses contemporains (Karen Finley), tout en reliant un certain nombre de problématiques ou de stratégies à travers des pratiques récentes : l’infiltration d’une institution ou d’une industrie (qu’elle soit artistique, pornographique ou musicale), l’absorption d’un corps dans une chaîne de production, le renversement d’une norme par son exacerbation ou sa redondance, l’autoreprésentation et l’autodéfinition de sa propre identité, le féminisme « pro-sexe », la visibilité des femmes sur les scènes musicales radicales, etc.

L’exposition n’est pas thématique – il ne s’agit pas d’un projet sur la pornographie. Au contraire, A Study in Scarlet a pour objectif de construire sans exhaustivité une réflexion avec des pratiques et des gestes, historiques ou contemporains, qu’il faut envisager selon les similitudes et les spécificités liées à leurs contextes d’émergence.

Outils d’émancipation et de réagencement des identités, ces stratégies se déploient au coeur des réseaux de distribution, de consommation et de communication de la culture pour mieux les subvertir.

Dans A Study in Scarlet, ces questions convergent également dans l’observation de la relation entre l’artiste et son modèle – motif récurrent qu’un certain nombre de participants tentent, dans l’exposition, de déconstruire et d’inverser, à l’instar de Vaginal Davis et Christophe de Rohan Chabot. Dans l’histoire de l’art, la construction du regard se fonde sur des rapports de genre et de domination (homme/femme, artiste/modèle, habillé/ dénudée, hors-champ/exhibée). Lorsqu’elle intègre le monde de la pornographie, Cosey Fanni Tutti rejoue ces schémas séculaires. En s’infiltrant hors du champ de l’art, elle accepte de porter atteinte à l’intégrité même de son statut d’artiste, puisqu’il lui faut abandonner, en tant que modèle, une partie de l’autorité créatrice au profit des opérateurs de l’industrie qui véhiculent son image – à commencer par les photographes chargés de la mettre en scène. En attaquant les prérogatives traditionnelles de sa position d’artiste, elle renouvelle les stratégies antihiérarchiques développées par les avant-gardes historiques qu’elle confronte aux circuits de production et de diffusion médiatiques du système capitaliste post-industriel.

Avertissement : en raison de la nature de certaines images pouvant heurter la sensibilité des visiteurs, l’exposition est interdite aux mineurs de – de 18 ans.






Cosey Fanni Tutti, Art Sex Music — Extraits


On m’a souvent demandé ce que signifiait COUM – de l’expliquer. La définition de COUM était intentionnellement évasive. C’est ce qui nous permettait une liberté d’expression et d’interprétation totale (y compris pour le «public»), une valeur clé de COUM qui créait un espace de débat et parfois attirait de nouveaux membres. COUM n’était pas simplement un « groupe », plutôt un mouvement, une famille, un collectif composé de personnes diverses issues de tous horizons, où chacune explorait et exprimait ses fantasmes, ses obsessions, avec l’objectif d’atteindre une conscience de soi créative et une confiance en soi en tant qu’artiste, en faisant fi des compétences et critères conventionnels qui définissent les « artistes », et en s’y opposant. Avec COUM, il s’agissait de donner libre court aux idées, de ne pas se laisser limiter par les règles ou le doute – ce qui a donné lieu à quelques tensions puisque l’on défiait et brisait les règles établies, les conventions culturelles et sociales.

Dans le collectif, chacun était soutenu, les idées se croisaient et se nourrissaient, elles étaient réalisées, écrites, représentées en public ou en privé, via le moyen ou la situation la plus appropriée ou disponible dans la foulée. Grâce à l’élan et la force de toutes ces énergies combinées, COUM ressemblait à une entité de création autosuffisante et en perpétuelle évolution. COUM était un concept égalitaire ; personne ne pouvait le revendiquer à titre individuel, pas plus que les travaux créés collectivement. C’était la théorie et l’objectif.

Nous avions dressé une liste intitulée ‘1001 Ways to COUM ’ (« COUM : les 1001 façons ») (un clin d’oeil, notamment, à l’idée bouddhiste des millions de façons de nommer Dieu). Il s’agissait de slogans d’une seule ligne faisant référence, avec sérieux ou avec humour, à des événements sociaux, culturels ou personnels, ainsi que de définitions contradictoires de COUM, comme par exemple : ‘Everything about COUM is true’ (« Tout ce que vous savez sur COUM est vrai ») et à l’inverse : ‘Everything about COUM is false’ (« Tout ce que vous savez sur COUM est faux »). Cette stratégie nous laissait le champ libre. Les actions COUM généraient des réactions, que l’on intégrait à nos actions suivantes, générant ainsi un flux constant de matériau brut. La nature intouchable de COUM représentait le stratagème parfait pour détourner toutes critiques, reproches ou responsabilités – comme pour se permettre d’accepter, au passage, des éloges imprévus.

Cosey Fanni Tutti, Art Sex Music, Faber & Faber, Londres, 2017, p. 81-82.



Dans les années 1970, la pornographie était un petit milieu tenu par un cercle restreint de personnes, parmi lesquelles de sombres opportunistes. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de choisir les mauvaises personnes avant de comprendre avec qui il était plus sûr de travailler. Les films étaient généralement tournés par des professionnels : des cadreurs, des techniciens, des producteurs de télé et de cinéma, des acteurs, des maquilleurs et (rarement) une costumière. Les principaux protagonistes travaillaient tous avec un petit groupe de personnes de confiance, fiables et compétentes qui faisaient du hardcore. J’ai été intégrée à ce groupe. On prenait soin les uns des autres. On connaissait nos limites et on n’hésitait pas à le faire savoir quand quelque chose nous mettait mal à l’aise –  par exemple, quand une fille préférait être la meneuse dans un plan lesbien. J’ai relevé le défi de nouvelles expériences. J’en ai aimé certaines, d’autres moins que j’ai décidé de ne pas répéter. Les modèles avec qui je travaillais ignoraient pourquoi je faisais du mannequinat et du porno. Elles le faisaient pour diverses raisons – pour l’argent, par nécessité ou simplement par choix plutôt que de faire un métier moins bien payé. Certaines étaient entrées dans le milieu par le biais d’amis, d’autres l’avaient choisi juste pour le sexe. C’était difficile de travailler avec celles qui ne le faisaient qu’une fois ou deux et qui étaient inhibées par la timidité et la nervosité ; il fallait faire preuve d’une grande délicatesse avec elles. Travailler avec des gens qu’on connaissait facilitait vraiment la tâche. On connaissait le métier, on était efficace et on s’amusait. Beaucoup des films softcore avaient aussi une version hardcore pour le marché international. J’ai fait les deux et je faisais la doublure corps d’une actrice qui ne voulait pas être nue à l’écran.

Renoncer au contrôle de mon image et de mon identité était une partie importante du projet et ça m’a autant intriguée que l’expérience du procédé de co-création de ces images. Que ce soit « Tessa from Sunderland », « Slippery Milly from Piccadilly », « Geraldine », « Susie » ou « Cosey », j’étais comme les autres filles : du matériel de fantasme sexuel pour la masturbation. […] Je n’étais pas une « victime » de l’exploitation. J’exploitais l’industrie du sexe à mes propres fins. Je la détournais et je l’utilisais pour créer ma propre forme d’art. C’était mon choix. Je voulais connaître l’industrie du sexe de l’intérieur, pouvoir en parler en connaissance de cause. Je cherchais une pureté dans mon travail pour repousser les attentes et mes propres inhibitions, et comprendre toutes les nuances complexes et les difficultés que ça imposait aux acteurs de ce business, y compris le marché visé. Je transgressais les règles – y compris les règles féministes. Je vis ma vie en tant que « personne », je considère que toutes les options nous sont ouvertes, à moi comme à n’importe qui d’autre. Je refuse d’être définie par mon genre ou réduite à celui-ci.

Cosey Fanni Tutti, Art Sex Music, Faber & Faber, London, 2017, p. 171-172.