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“James Nachtwey” Memoria
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 30 mai au 29 juillet 2018



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 29 mai 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  James Nachtwey, Afghanistan, Kaboul, 1996. © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth. “Femme errant dans les ruines de la ville.”
2/  James Nachtwey, New York, 2001. © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth. “Une pluie de cendres et de fumée s’abat sur le quartier de Lower Manhattan suite à la destruction du World Trade Center.”
3/  James Nachtwey, Bosnie-Herzégovine, Mostar, 1993. © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth. “Une chambre transformée en terrain de guerre par un milicien croate tirant sur des cibles musulmanes.”

 


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Interview de Laurie Hurwitz et Roberto Koch, commissaires de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 29 mai 2018, durée 15'10". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition : Laurie Hurwitz, Roberto Koch et James Nachtwey



« J’ai été un témoin. Un témoin de ces gens à qui l’on a tout pris - leurs maisons, leurs familles, leurs bras et leurs jambes, et jusqu’au discernement. Et pourtant, une chose ne leur avait été soustraite, la dignité, cet élément irréductible de l’être humain. Ces images en sont mon témoignage. »
James Nachtwey

Réalisée en étroite collaboration avec James Nachtwey, cette exposition est la plus grande rétrospective jamais dédiée au travail du photographe. À travers son regard personnel, elle propose une remarquable réflexion sur le thème de la guerre, dont la portée est nécessairement collective.

Dix-sept sections différentes constituent le parcours de l’exposition, formant un ensemble de près de deux cents photographies. Elles offrent un vaste panorama des reportages les plus significatifs de James Nachtwey : Le Salvador, les Territoires palestiniens, l’Indonésie, le Japon, la Roumanie, la Somalie, le Soudan, le Rwanda, l’Irak, l’Afghanistan, le Népal, les États-Unis avec entre autres un témoignage singulier des attentats du 11 septembre, ainsi que de nombreux autres pays. L’exposition s’achève sur un reportage traitant de l’immigration en Europe, aujourd’hui plus que jamais d’actualité.

Elle rassemble ainsi les photographies de celui que l’on peut considérer comme le photoreporter le plus prolifique de ces dernières décennies, un observateur exceptionnel de notre monde contemporain et probablement l’un de ses témoins les plus clairvoyants.

James Nachtwey, dont la carrière est jalonnée par de nombreux prix et récompenses dans des domaines variés, est mondialement reconnu comme l’héritier de Robert Capa. Sa force morale et ses engagements sociaux et civils l’ont mené à consacrer sa vie entière à la photographie documentaire. Il saisit les conditions les plus extrêmes de la vie humaine - qui ne prennent que trop souvent les formes d’un enfer terrestre - se faisant ainsi le témoin épique de la cruauté de la guerre. Il n’a de cesse de photographier la douleur, l’injustice, la violence et la mort. Mais pour que jamais ne soient oubliées la souffrance et la solitude humaines, il crée des images d’une beauté vertigineuse, impeccablement cadrées et éclairées, et aux effets quasi cinématographiques. L’extraordinaire beauté et l’infinie tendresse qui en émanent sont autant de moyens de lutter et de résister.

Dans une posture toujours de compassion, il saisit des scènes et des contextes variés : en Bosnie, à Mostar, où un tireur d’élite vise à travers une fenêtre, la famine au Darfour, les malades de la tuberculose ou bien encore les terribles effets de l’agent orange au Vietnam. Parmi ses images les plus emblématiques, on pense immédiatement à celle qui représente un jeune garçon rwandais, survivant d’un camp de concentration hutu, le visage balafré. Viennent également en tête les photographies de la deuxième Intifada en Cisjordanie, où Nachtwey était alors en première ligne.

Il dépeint la guerre depuis 40 ans, montrant sans détour le sort des populations qui en font la terrible expérience. Comme le 11 septembre 2001, lorsque la guerre l’atteignit “chez lui”, sur le sol américain, lors de l’attentat des tours jumelles, suivi par la guerre en Irak et en Afghanistan. Les images de James Nachtwey révèlent une humanité mutilée par la violence, dévastée par les maladies et la faim, une humanité qui, par nature, semble se fourvoyer.

« J’ai voulu devenir photographe pour saisir la guerre. Mais j’étais poussé par le sentiment inhérent qu’une image qui dévoilerait sans détour le vrai visage d’un conflit se trouverait être, par définition, une photographie anti-guerre ».
James Nachtwey






James Nachtwey, Le devoir de mémoire par Roberto Koch, co-commissaire de l’exposition

« La mémoire est la chose la plus essentielle que nous ayons pour imaginer le futur et prévenir des erreurs du passé. À travers ses photographies et ses paroles, James Nachtwey nous rappelle ainsi que si nous sommes incapables de nous souvenir du passé, nous serons condamnés à sa perpétuelle répétition.

Depuis près de quarante ans, James Nachtwey photographie la douleur, l’injustice, la violence et la mort. Cette mort si particulière qui ne connaît ni la plénitude de la vieillesse ni la chaleur des êtres chers, mais qui a les yeux d’un enfant, les mains émaciées d’une femme ou le visage d’un homme que la pauvreté a ravagé.

Ce qui le fait tenir, coûte que coûte, au sein de cette “communauté affligée” que forme notre condition humaine, dans ce tourbillon “d’éternelle douleur”, c’est cette conviction infaillible que le photojournalisme, dans ce qu’il a de plus abouti, peut encore influencer l’opinion publique, comme les premiers jalons d’un livre d’histoire qui resterait à écrire.

Né à Syracuse dans l’État de New York en 1948, James Nachtwey grandit dans les années 1960. Ses yeux s’inondent des images de la guerre du Vietnam et des marches pour les droits civiques. Rapidement, il sent combien il est important de témoigner et, à travers son propre travail, il s’engage dès lors à combattre l’hypocrisie, celle qui si souvent nous fait détourner notre regard, tout autant que notre conscience.

Le reportage réalisé en Roumanie, qui suit la chute du mur de Berlin puis l’effondrement de l’URSS, marque un point de non-retour. Des portes commencent à s’ouvrir. Comme celles d’un enfer terrestre, un orphelinat où un dramatique crime contre l’humanité venait d’être commis. L’insupportable réalité le bouleversa jusqu’à la moelle : “Je voulais m’enfuir, je ne voulais pas regarder plus loin. Mais c’était devenu un test. Devais-je me dérober ou bien assumer l’entière responsabilité d’être là, avec mon appareil photographique ?”.

Ces regards paniqués, saisis en gros plan, se succèdent comme autant de cercles infernaux : celui par exemple de la famine en Somalie, “où la privation de nourriture est utilisée comme une arme de destruction massive et où, depuis le milieu de l’année 1992, les épidémies et la faim ont causé la mort de plus de 200 000 personnes”. Le Soudan également, dévasté par la guerre et la famine, ainsi que la Bosnie en 1993, le Rwanda en 1994, le Zaïre ou bien encore la Tchétchénie. L’objectif de James Nachtwey vise aussi la pauvreté en Inde et en Indonésie, le fléau du sida, de la drogue ou de la tuberculose, mais aussi les actes d’amour des proches qui restent au chevet des malades.

Puis vient le 11 septembre 2001. La guerre, qui n’avait pas touché la partie plus riche du globe depuis soixante ans, retourne à l’Ouest. Cette histoire marque un nouveau tournant. Nachtwey documente les guerres qui s’ensuivent en Afghanistan, en Irak, et qui rappellent amèrement les erreurs du passé.

Sa compassion lui inspire un sentiment indéfectible d’empathie envers ceux qui souffrent, des populations traumatisées par les tremblements de terre, comme au Népal, en Haïti ou au Japon, et par le tsunami qui frappe l’Indonésie. Puis il côtoie la terrible tragédie contemporaine des migrants en Europe, chez nous, où des centaines de milliers de personnes sont obligées de fuir pour essayer de survivre dans un ailleurs qu’ils imaginent terre d’espoir et d’accueil.

Nachtwey écrit : “Mon travail photographique est fondamentalement lié à l’instinct humain, celui qui l’emporte lorsque les règles de la civilisation et de la socialisation volent en éclat. À ce moment-là, la loi de la jungle prend le dessus. Violence et revendications territoriales s’imposent alors, charriant avec elles leur lot de cruauté, de terreur et de souffrance, mais aussi un esprit de survie ancestral. C’est un mécanisme sombre et terrifiant, et je tente à travers mon travail d’y apporter une part de spiritualité. Essentiellement de la compassion.”

Un regard compassionnel est un regard de connaissance, de conscience et de mémoire : le seul antidote possible contre cette obscure étendue, ce coeur des ténèbres qui prend sa charge horrifique à l’aune de ce dont tout l’homme est capable. Nous regardons les images de Nachtwey et nous le savons désormais : nous ne pouvons plus jamais oublier. »

Roberto Koch