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“Zao Wou-Ki” L’espace est silence
au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

du 1er juin 2018 au 6 janvier 2019



www.mam.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 31 mai 2018.

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Vue de l’exposition Zao Wou-Ki, L’espace est silence, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris du 1er juin 2018 au 6 janvier 2019. Photographie : © Anne-Frédérique Fer / FranceFineArt.com. [Zao Wou-Ki, 10.09.72 - En mémoire de May (10.03.72), 1972. Huile sur toile 200 x 525.7 cm. Don de l’artiste à l’Etat en 1973, Attribution au Centre Pompidou, Musée national d'art moderne/CCI, Paris. Zao Wou-Ki © ADAGP, Paris, 2018.]

 


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Interview de François Michaud, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 31 mai 2018, durée 10'51". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

De l'abstrait qui n'est pas de l'abstrait, la peinture de Zao Wou-Ki a le pouvoir d'évocation de la matière organique, de la terre humide libérant ses senteurs après la pluie. Le grand bond vers la modernité est malgré tout construit sur la fondation du classicisme asiatique: le trait d'encre qui se brise suffisant à être une branche printanière ou une patte d'oiseau contient déjà toutes les promesses d'abstractions.

Ces grands tableaux sont plus que des paysages, ils contiennent des mondes si vastes que le châssis le plus grand ne suffit pas à les dire, il faut juxtaposer les toiles en triptyques voire quadriptyques longs comme des murs pour avoir l'espace nécessaire à leur évocation. Car les toiles ne s'appréhendent pas tant en se plaçant immobile de face mais en marchant, en les parcourant d'un côté à l'autre. Le déplacement du spectateur lui permet de dérouler le fil d'une histoire, laisse les voix contenues dans l'œuvre lui parler, murmurant d'abord, puis s'élançant en éclats de syllabes, en rugissements de ténor.

Une étendue de glace sur un lac enneigé, des terres ocres qui brûlent, des rochers immémoriaux, des montagnes se dissipant dans le lointain: ces scènes au départ immobiles, intemporelles, sont saisies dans leur musicalité. Une alternance de chaud et de froid, d'empâtements glacés solides, de coulures liquides, de combustions s'achevant en suie et cendres composent une bande son de rythmes et de mélodies. Cent couches successives accumulent une tension que le cadre peine à contenir. Le mouvement, élégance fluide ou griffure nerveuse, est agitation d'un liquide au bord de l'ébullition, une lumière dévoreuse de l'obscurité.

Une détonation jaune s'illuminant vers la fluorescence, une étendue indigo de lac nordique, un ciel nocturne pâle où l'on cherche quelques constellations alternent avec d'autres paysages, ceux-ci intérieurs. Lorsque Zao Wou-Ki évoque la perte d'un être cher, des idéogrammes perdent leur fonction de langage, devenant de profondes entailles si épaisses qu'elles ne peuvent cicatriser. L'obscurité qui en sort consume tout, engloutit le monde dans un infini de néant. Tandis qu'un océan de flammes crépite, des formes allongées, lourdes comme des pierres tombales, lui opposent une implacable force gravitationnelle, une inertie noire de désespoir.

Au loin, une montagne émerge de l'étendue tranquille d'un lac, le ciel de brume disparaît sous la silhouette noire du feuillage d'un arbre. Une vague immense, cyclonique, transforme toute la mer en un bouillonnement d'écume, menaçant une frêle barque de pêcheur repoussée vers le néant qu'est le bord de la toile. La réflexion d'arbres dans un étang pointilliste, douce incertitude de bleus et de roses, est un hommage aux Nymphéas de Monet. Quelques impressions mauves et rouille viennent cerner cette idylle, rappelant à cette paix immobile sa fugacité.

Revenant par la suite à une simplicité d'encre et de papier, Zao Wou-Ki parcourt l'étendue de la feuille d'un pinceau dansant, s'approchant puis s'éloignant de la surface, ralentissant jusqu'à l'immobilisation pour repartir dans de vives accélérations, laissant la matière liquide s'accumuler ou la dispersant en fines gouttelettes. Malgré l'échelle démesurée de ces travaux, un rapport à l'intime se noue, le champ se resserre sur de courts instants, des sentiments plus légers saisis vite avant que l'instant ne glisse entre nos doigts. La fragilité du papier agit comme un révélateur, ne pouvant souffrir ce qui n'est pas juste, ne laissant pas le superflu encombrer cette parole. Il ne reste alors qu'une épure faite de joies et de peines, quelque chose de très sentimental somme toute.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires : François Michaud et Erik Verhagen. Avec la collaboration de Marianne Sarkari



L’exposition du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris est la première grande exposition consacrée à Zao Wou-Ki (1920-2013) en France depuis quinze ans. Si son oeuvre est aujourd’hui célèbre, les occasions d’en percevoir la complexité sont demeurées trop rares à Paris. L’exposition souhaite en renouveler la lecture et invite à une réflexion sur le grand format.

Le parcours débute au moment où Zao Wou-Ki adopte une expression nouvelle, « abstraite » – terme trop restrictif à ses yeux – avec l’oeuvre de 1956 intitulée Traversée des apparences. Cette étape décisive précède un premier séjour aux Etats-Unis, l’année suivante, qui le conforte dans la quête d’un espace toujours plus vaste.

Artiste au croisement de plusieurs mondes, Zao Wou-Ki quitte la Chine en 1948 pour venir à Paris au moment où l’« art vivant » commence à se partager entre les États-Unis et la France. Son oeuvre traverse les débats esthétiques qui marquent le développement de l’art moderne et, s’il appartient à une scène parisienne qu'il apprécie, il perçoit très tôt la vitalité de la peinture américaine. Progressivement, il renoue aussi avec certains traits de la peinture chinoise dont il s’était écarté de façon volontaire.

Zao Wou-Ki n’aime pas le mot « paysage » auquel il préfère celui de « nature ». Ses rapports avec le monde extérieur sont faits de découvertes et de voyages, de rencontres fécondes dont les premières furent avec Henri Michaux et le compositeur Edgar Varèse. Poésie et musique demeureront pour lui deux pôles d’attraction permanents, comme une tension nécessaire avec la peinture – donnant sens, à mesure que son art s’affirme, à l’expression que l’artiste a inspirée très tôt à Michaux : L’espace est silence.

En insistant sur la portée universelle de son art et sur sa place aux côtés des plus grands artistes de la deuxième moitié du XXe siècle, le Musée d’Art moderneprésente une sélection de quarante oeuvres de très grandes dimensions dont certaines, comme un ensemble d’encres de 2006, n’ont jamais été exposées.


Un catalogue de l’exposition sera publié aux éditions Paris Musées (157 pages, 35 euros).

L’exposition bénéficie du soutien de la Fondation Zao Wou-Ki.