contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Les Impressionnistes à Londres” Artistes français en exil, 1870-1904
au Petit Palais, Paris

du 21 juin au 14 octobre 2018



www.petitpalais.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 20 juin 2018.

2453_Impressionnistes-Londres2453_Impressionnistes-Londres2453_Impressionnistes-Londres
Légendes de gauche à droite :
1/  Camille Pissarro, Jardin de Kew, Londres. L’allée des rhododendrons, 1892, huile sur toile, collection particulière, Etats-Unis.
2/  Claude Monet, Le Parlement de Londres, vers 1900-1901, huile sur toile. The Art Institute, Chicago. Mr and Mrs Martin A. Ryerson Collection. Photo © The Art Institute of Chicago.
3/  James Tissot, L’impératrice Eugénie et le prince impérial dans le parc de Camden Place, Chislehurst, 1874-1875, huile sur toile, Musée national du palais de Compiègne. Photo © RMN - Grand Palais. Photo : Franck Raux.

 


2453_Impressionnistes-Londres audio
Interview de Isabelle Collet, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 20 juin 2018, durée 14'36". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Isabelle Collet, conservatrice en chef au Petit Palais
Dr Caroline Corbeau-Parsons, conservatrice à la Tate Britain,
Christophe Leribault, directeur du Petit Palais
Avec la participation scientifique d’Amélie Simier, directrice du musée Bourdelle.




Le Petit Palais présente cet été une exposition inédite dédiée aux nombreux artistes français réfugiés à Londres à la suite de la guerre franco-allemande de 1870 et à l’insurrection de la Commune. L’exposition plonge le visiteur dans cette période troublée qui eut des répercussions méconnues sur beaucoup d’artistes. Malgré leurs différences sociales et politiques, leurs diverses sensibilités artistiques, nombre d’entre eux vont se retrouver sur les rives britanniques et former une communauté d’exilés.

Organisée avec la Tate, l’exposition présente 140 œuvres empruntées à de nombreux musées de Grande-Bretagne comme la Tate Britain, le Victoria and Albert Museum, la National Gallery ; des États-Unis tels le Brooklyn Museum, l’Art Institute de Chicago, le Metropolitan Museum of Art de New-York ; mais également français comme le musée d’Orsay entre autres. Les oeuvres de Monet, Pissarro, Sisley, mais aussi de Tissot, Legros, ou celles des sculpteurs Carpeaux, Rodin et Dalou sont confrontées, à des moments précis du parcours, à celles d’artistes britanniques comme Alma-Tadema, Burne Jones ou Watts afin d’évoquer les réseaux de solidarité qui se tissent alors entre créateurs français et britanniques.

Le parcours qui suit un fil chronologique permet aux visiteurs de comprendre les raisons qui ont poussé ces artistes français à venir s’installer à Londres. Même si certains comme Legros sont déjà présents dans la capitale britannique, c’est bien la guerre franco-allemande de 1870 qui marque le point de départ d’une vague d’arrivées d’artistes quittant Paris. L’Empire britannique est alors au sommet de sa puissance. Londres représente un refuge sûr, mais le choix de leur destination est aussi guidé par l’idée que le marché de l’art y est plus porteur. Le marchand parisien Paul Durand-Ruel s’y installe également et sa nouvelle galerie devient une base de diffusion de la peinture française.

Les futurs impressionnistes comptent parmi les premiers artistes exilés. Monet et Pissarro arrivent à Londres à la fin de l’année 1870 et rencontrent leur aîné, le peintre Daubigny. Les paysages de Londres avec ses parcs et jardins, ainsi que son célèbre brouillard deviennent leurs sujets de prédilection. Pourtant ce premier séjour est difficile pour Monet qui n’arrive pas à vendre ses toiles et décide de rentrer en France à l’automne 1871.

Tissot, comme avant lui Legros, va au contraire très bien s’intégrer à la vie londonienne. Tissot adapte son style à un public qui apprécie particulièrement les scènes de genre. Il représente de manière méticuleuse et détaillée la haute-société victorienne à travers de nombreux portraits et des scènes de leur vie quotidienne comme les concerts, bals, pique-niques, promenades en bateau sur la Tamise… Sur les conseils de son ami Whistler, Legros est installé à Londres dès 1863 pour des raisons financières. Marié à une anglaise et rapidement naturalisé, il devient le pilier de cette communauté d’exilés français et l’un des professeurs de peinture et dessin les plus renommés de la capitale.

Carpeaux trouve refuge à Londres à la chute de Napoléon II I qui l’avait tant soutenu mais la capitale ne lui offre pas le succès escompté. Son élève, Dalou, communard, fuit à son tour Paris au printemps 1871 et rejoint la capitale britannique pour huit années plus fructueuses. Bien accueilli par ses confrères anglais, il dispense plusieurs cours de sculpture et ses sujets liés à la sphère intime connaissent un réel succès auprès des financiers et des propriétaires terriens.

Bien après ces années difficiles, les impressionnistes comme Pissarro et Monet reviennent à plusieurs reprises dans la capitale londonienne. Ces séjours les confortent dans leur attachement à travailler en plein air. Les nombreux jardins que compte la capitale britannique comme Hyde Park, Kew Garden ainsi que la Tamise et ses plaisirs nautiques deviennent des motifs récurrents de leur peinture.

De 1899 à 1901, Monet choisit le fleuve et les infinies variations de la lumière sur l’eau comme sujet d’une longue série de peintures. Il en peindra plus d’une centaine représentant le pont de Charing Cross, de Waterloo et du Parlement. Les toiles du Parlement sont parmi les plus belles. Le bâtiment est un prétexte permettant d’immortaliser le spectacle de la Tamise et de ses brumes, sujets à une multitude de variations chromatiques selon l’heure de la journée.

Le parcours s’achève sur Derain qui rend hommage à Monet en 1906-1907 en reprenant les mêmes motifs. Il défie ainsi le maître en développant sa propre expression et en proposant une image nouvelle de Londres.






Parcours de l’exposition :

1870-1871 : Paris en guerre, Paris en ruine

Le 19 juillet 1870, la France du Second Empire se lance dans la guerre à la Prusse. Au lendemain de la défaite de Sedan, l’Empereur capitule et la II Ie République est proclamée. Les combats se poursuivent néanmoins et le 19 septembre débute le siège de Paris. La population subit alors pendant plusieurs mois l’épreuve d’une guerre d’attente aggravée par les rigueurs d’un hiver exceptionnel, les privations alimentaires et les bombardements. La paix est signée le 26 février 1871. L’Allemagne victorieuse annexe l’Alsace et une partie de la Lorraine. Cependant cet armistice paraît insupportable aux Parisiens. Le 29 mars, lors des élections municipales, une majorité de gauche est élue à l’Hôtel de Ville, tandis qu’à l’Assemblée nationale les deux tiers des députés sont monarchistes ou bonapartistes. La Commune de Paris prend alors son indépendance et décide de légiférer. Face à ces événements tragiques, beaucoup d’artistes sans travail quittent Paris. Ceux qui restent sont témoins des rigueurs de la guerre, tels James Tissot, Ernest Meissonier ou Gustave Doré, enrôlés volontaires dans la Garde nationale. Durant la Commune, certains, comme Gustave Courbet ou le jeune sculpteur Jules Dalou, prennent une part active à la gestion des institutions artistiques en posant les jalons d’une administration associative des arts. En mai 1871, les armées gouvernementales mettent fin à l’insurrection parisienne, faisant environ 20 000 victimes civiles. Durant cette « semaine sanglante » de grands monuments sont incendiés. Leurs façades en ruine resteront en l’état pendant plusieurs années, vision désolée qui tranche avec la fièvre de construction que Paris avait connue sous le Second Empire.

L’arrivée à Londres
Claude Monet a trente et un ans lorsque la guerre est déclarée. Il quitte Bougival, entrepose ses toiles à Louveciennes chez Pissarro et s’installe à Trouville avec sa compagne Camille Doncieux qu’il épouse le 28 juin. Père d’un enfant et sans clientèle, le peintre s’embarque avec sa famille au Havre parmi le flot des réfugiés français affolés par l’invasion allemande, et gagne Londres à la mi-septembre 1870. Londres est une ville immense, dont la population croît à une vitesse phénoménale. Cette croissance est en grande partie due à la migration de travailleurs depuis toute l’Angleterre et l’Irlande, alors que la capitale s’impose comme le plus grand centre industriel de l’Europe. L’Angleterre victorienne offre un refuge attractif aux exilés qui arrivent de France pour des raisons économiques ou politiques. La liberté d’opinion, l’indépendance de la presse et l’absence de contrôle douanier permettent à tout étranger de rejoindre l’Angleterre et de s’y installer. La proximité géographique avec la France ainsi que le rôle économique de l’Empire britannique font de Londres une base idéale. En 1870, la communauté française y est déjà bien implantée, notamment depuis qu’une première vague de réfugiés s’y est installée à la suite du coup d’État de Napoléon III en 1852. Après la semaine sanglante (mai 1871) environ 3 500 communards fuient à leur tour la France et resteront en Angleterre jusqu’à leur amnistie, en 1880.

Le cercle des futurs impressionnistes
Londres, avec son marché d’art prospère, offrait une destination attractive pour les artistes en exil. Le paysagiste Charles-François Daubigny était déjà venu deux fois tester ses potentialités dans les années 1860 et s’y réfugia à l’automne 1870. Il fit la connaissance du marchand d’art Paul Durand-Ruel, qui avait transféré son stock de Paris à Londres, et ouvert une galerie sur New Bond Street, un mois plus tôt. Cette nouvelle galerie devint une base de diffusion de la peinture française, en particulier pour l’école de Barbizon appréciée par les collectionneurs britanniques. Le premier séjour de Monet, arrivé à l’automne 1870, fut difficile et l’artiste ne peignit que six vues des parcs londoniens et de la Tamise. Ses oeuvres furent refusées par le jury de la Royal Academy, car trop en décalage avec la scène artistique anglaise de l’époque. De même, les tableaux de Monet ne correspondaient pas aux attentes du marché de l’art anglais. Il ne vendit rien en dépit des encouragements de Daubigny qui le présenta à Durand-Ruel. Découragé Monet quitta Londres et passa l’été 1871 en Hollande, avant de regagner la France dès l’automne. À quarante ans, Camille Pissarro avait quitté lui aussi précipitamment la France début septembre 1870 sous la pression de l’avancée prussienne. Arrivé en décembre, il s’installa à Norwood, banlieue verdoyante au sud de la Tamise. À Londres, Pissarro retrouvait des parents proches (sa mère, son frère et sa famille) et fréquentait le quartier français entre Soho et Leicester Square. Durand-Ruel lui acheta deux toiles mais ne vendit rien. Le 14 juin 1871, Pissarro épousa sa compagne de nouveau enceinte, puis le couple rentra en France, retrouver leur maison de Louveciennes saccagée par les Prussiens.

L’exil économique de Carpeaux
La guerre de 1870 avait privé les artistes de moyens de subsistance. Pour un sculpteur aussi célèbre que Carpeaux (1827-1875), Londres fut d’abord un lieu d’exil économique. Il y séjourna de mars à décembre 1871, et tenta de trouver de nouvelles commandes en exposant annuellement à la Royal Academy et en participant à des ventes chez Christie’s, auxquelles il réservait ses oeuvres d’édition. Carpeaux se rendit dès 1871 à Chislehurst, lieu de l’exil impérial, avec le projet de faire un portrait de Napoléon III. Des dessins émouvants et un buste posthume commandé par l’impératrice Eugénie restent les derniers témoignages des liens qui unirent l’artiste à son mécène. Carpeaux fit également le portrait d’artistes célèbres, des amis français exilés comme lui : le peintre Jean-Léon Gérôme ou le compositeur Charles Gounod, et de quelques commanditaires anglais : lord Ashburton et Henry James Turner, jeune mécène de Gérôme et de Tissot. Il parvint ainsi à vendre de gracieuses oeuvres décoratives en marbre qu’il adapta au goût de ses commanditaires. Hormis de brefs séjours pour suivre ventes et commandes, Carpeaux ne passa guère de temps à Londres avant sa mort en 1874. Contrairement à son ancien élève, le sculpteur Dalou, lui aussi exilé à Londres, l’auteur de La Danse (façade de l’Opéra de Paris) eut peu d’influence sur la création artistique de son temps en Grande-Bretagne.

James Tissot, l’anglophile
Tissot (1836-1902) vécut onze ans en Angleterre, après avoir fui Paris en pleine guerre civile pour se réfugier à Londres en mai 1871. Il y fut accueilli par son ami Thomas Gibson Bowles, directeur de Vanity Fair et ancien correspondant de guerre en France durant le siège de Paris. Tissot, qui exposait à Londres depuis 1861, avait anglicisé son prénom de Jacques-Joseph en James dès 1859. Après son installation outre-Manche, son adhésion à l’Arts Club de Hanover Street, lieu de rencontre des artistes, renforça son intégration à la vie londonienne. Les peintures réalisées en Angleterre démontrent l’adaptation du style de Tissot à un public friand de scènes de genre. Ses représentations méticuleuses de la vie contemporaine offrent un point de vue nuancé d’ironie sur les rituels sociaux de l’Angleterre victorienne. Peintre de la vie citadine, Tissot accorde une grande importance à la mode et aux règles complexes de l’étiquette imposée par la haute société. En homme d’affaires avisé, l’artiste sut adapter sa production au marché anglais. Son œuvre fut largement diffusé par le biais de gravures à l’eau-forte. Ce succès commercial se prolongea après son retour en France, en 1882. Tissot quitta en effet brusquement l’Angleterre après le décès de sa jeune compagne, Kathleen Newton, qui était devenue à Londres la figure centrale de son oeuvre.

Alphonse Legros, un peintre au coeur de la communauté française
Legros (1837-1911) était déjà parti s’installer à Londres avant la guerre pour des raisons économiques. Il se maria avec une Anglaise puis fut même naturalisé anglais en 1881. Son Ex-voto exposé à Paris au Salon en 1861 avait fait sensation auprès des peintres mais avait été mal reçu par la critique. Incompris, miséreux, Legros avait traversé la Manche dès 1863 sur les conseils de son ami Whistler. Il fut bien accueilli par les peintres anglais préraphaélites Rossetti, Watts et Burne-Jones. La Royal Academy de Londres refusa longtemps d’exposer ses tableaux, mais le Français bénéficia du soutien de collectionneurs passionnés, en particulier dans la communauté d’origine grecque gravitant autour de Rossetti. À partir de 1870, Legros devint le principal recours pour ses compatriotes réfugiés. Monet et Pissarro le contactèrent, ainsi que Tissot et le marchand Paul Durand-Ruel. Avec générosité, Legros leur fit profiter de son réseau anglais. Le sculpteur Jules Dalou fut introduit par lui auprès des grands collectionneurs et mécènes qu’étaient les Howard et les Ionides ; il aida de même Rodin, lorsque celui-ci chercha dix ans plus tard à conquérir le marché londonien. Remarquable professeur à la South Kensington School of Art, puis à partir de 1876 à la Slade School of Fine Arts, Legros dispensa en français (il n’apprit jamais l’anglais) et par l’exemple un enseignement renommé de dessin, de peinture, de gravure puis de modelage.

Les leçons de Jules Dalou ou l’art du modelage
Après la répression très dure qui s’abattit sur les communards en mai 1871, Dalou (1838-1902) rejoignit Londres pour un exil qui dura huit ans. Legros, son ancien condisciple de l’École impériale et spéciale de dessin à Paris, lui permit de trouver un toit, un travail alimentaire, et des mécènes. Bien accueilli par ses confrères anglais, dans un moment où la sculpture connaissait une certaine désaffection, Dalou exposa dès 1872 à la Royal Academy. Le Jour des rameaux à Boulogne, une statuette en terre cuite acquise par George Howard, fut la première d’une série d’œuvres à succès. Les sujets modelés par Dalou étaient liés à la sphère intime. Ils correspondaient à l’importance qu’il accordait à sa vie familiale et au goût de ses commanditaires, des financiers ou des propriétaires terriens, qui voyaient en lui un artiste dans la tradition des sculpteurs du XVII Ie siècle français. Nommé professeur à la National Art Training School en 1877, ainsi qu’à la South London Technical Art School en 1880, Dalou mit en application un enseignement nouveau. Sa maîtrise du modelage, et l’alliance de réalisme et de charme qui caractérisait ses oeuvres anglaises ont marqué une génération d’étudiants, en particulier les tenants de ce qu’on appellera la New sculpture (nouvelle sculpture). Ce proscrit communard vécut néanmoins son exil avec le mal du pays et une impatience grandissante de faire ses preuves chez lui. Gracié par la France en mai 1879, il revint à Paris avec un projet de monument à la République.

Portraits croisés
Les portraits réunis dans cette salle sont le fruit des échanges entre artistes. Ils témoignent des réseaux de solidarité qui les ont unis durant leurs séjours à Londres. Établi en Grande-Bretagne dès 1863, Alphonse Legros, encouragé par son ami d’alors Whistler, bénéficiait de solides relations dont il fait bénéficier les français venus lui demander aide et conseils. Le marchand Paul Durand-Ruel, qui possédait pourtant son propre réseau de galeristes et de clients à Londres, sollicita l’appui de Legros pour ses expositions de la Society of French Artists.

Pissarro et Sisley, retours à Londres
Pissarro et Sisley ont participé avec Monet à l’exposition parisienne qui a donné son nom au mouvement impressionniste, en mai 1874. L’impressionnisme, qui choquait les partisans d’une peinture lisse prônée par les maîtres académiques français comme par ceux de la Royal Academy, accordait une importance nouvelle à la matérialité de la peinture et aux sujets de la vie moderne. Durant cette période de maturation du mouvement, les séjours des paysagistes à Londres renforcèrent leur attachement au travail en plein air, malgré un climat changeant et humide. Les lieux qu’ils choisissaient étaient ceux fréquentés par les nouveaux citadins en quête de loisirs que le chemin de fer conduisait hors des brumes du centre de Londres. Après 1871, Pissarro revint à plusieurs reprises à Londres où ses fils Lucien et Georges s’étaient installés. La soixantaine passée, il trouvait enfin un succès longtemps attendu. Paul Durand-Ruel lui consacra sa première grande rétrospective à Paris en janvier 1892, où toutes ses toiles furent vendues. Pissarro repartit ensuite pour un long séjour outre-Manche. Bien que de nationalité britannique, Sisley vécut toute sa vie en France. Son père l’envoya à Londres pour suivre une formation commerciale, mais le jeune homme préféra se destiner à la peinture, partageant la vie de bohème de ses amis Renoir et Monet. Ruiné par la guerre de 1870 et père de deux enfants, Sisley dut par la suite affronter une situation précaire. Les ventes de ses oeuvres furent rares malgré le soutien actif de Durand-Ruel et du collectionneur, le célèbre chanteur d’opéra Jean-Baptiste Faure, qui finança son séjour à Londres, durant l’été 1874.

Monet et la Tamise
Dès leur arrivée, Tissot et les futurs impressionnistes se sont intéressés à la Tamise en tant que coeur d’une capitale moderne ; le fleuve allait ainsi devenir un motif récurent chez les peintres français pour lesquels le brouillard londonien représentait un défi particulier. La vision impressionniste comme celle de Whistler sublimait les vapeurs charbonneuses de la cité industrielle pour en révéler le charme mystérieux. Lors de son exil en 1870, Monet était pauvre et méconnu. Son échec commercial lors de la première exposition de ses œuvres par Durand-Ruel avait suscité en lui le désir de revenir peindre à Londres en artiste à présent couronné de succès. De l’automne 1899 à janvier 1901, il séjourna à plusieurs reprises au Savoy Hotel, observant la Tamise de la fenêtre de sa chambre. Conservant le même point de vue d’une toile à l’autre, l’artiste s’attache à capter les infinies variations de la lumière si particulières, à la jonction du fleuve et du ciel. La série des vues du Parlement s’impose comme le testament artistique de l’exil londonien, et l’archétype des représentations de la Tamise. Elle fut exposée parmi les Vues de la Tamise à la galerie parisienne de Durand-Ruel en 1904, l’année de l’Entente cordiale, à une période où le dynamisme de Londres attirait une nouvelle vague de peintres français.

Derain à Londres, hommage et défi
André Derain (1880-1954) n’avait que vingt-trois ans lorsqu’il visita l’exposition des Vues de la Tamise de Monet à la galerie Durand-Ruel. Il écrivit alors au sujet du maître de Giverny désormais reconnu et célébré : « En dépit de tout, je l’adore, à cause de son erreur même qui m’est un enseignement précieux. Mais en somme, n’a-t-il pas raison de rendre avec sa couleur fugitive et peu durable, l’impression naturelle qui n’est qu’une impression ? Moi je cherchais autre chose: ce qui, dans la nature, au contraire, a du fixe, de l’éternel, du complexe. » (Lettre à Maurice de Vlaminck, juin 1904) Lors du Salon d’automne de 1905, de jeunes peintres « fauves », groupés autour de Matisse, avaient fait scandale. Le marchand d’art Ambroise Vollard, à la recherche de nouveaux talents, y repéra Derain et décida de le prendre sous son aile. Il finança en 1906 son séjour hivernal à Londres en lui commandant des vues de la ville, en écho à celles de Monet. Derain rendit effectivement hommage à Monet en choisissant les mêmes motifs sur les bords de la Tamise et dans les parcs. Il défiait ainsi le vieux maître sur son terrain, développant progressivement sa propre expression et proposant à son tour une image radicalement nouvelle de Londres sur pas moins d’une trentaine de toiles. De terre d’exil forcé pour les artistes de la génération de 1870, Londres a conquis en trois décennies le statut de motif artistique majeur dans l’art français.