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“Henri-Edmond Cross” Peindre le bonheur
au musée des impressionnismes, Giverny

du 27 juillet au 4 novembre 2018



www.mdig.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 26 juillet 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Henri-Edmond Cross, Plage de Baigne-Cul, 1891-1892 . Huile sur toile, 65,3 x 92,3 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, L. L. and A. S. Coburn, and Bette and Neison Harris funds; Charles H. and Mary F. S. Worcester Collection; through prior acquisition of the Kate L. Brewster Collection, 1983.513. © The Art Institute of Chicago, dist. RMN - Grand Palais / Image The Art Institute of Chicago.
2/  Henri-Edmond Cross, Étude pour le portrait de madame Irma Clare (madame Cross) en robe de bal, vers 1891. Aquarelle sur papier, 16 x 10,5 cm. Collection Carole Plaussu par l'intermédiaire de la galerie de la Présidence. © Galerie de la Présidence.
3/  Henri-Edmond Cross, Nocturne, 1896. Huile sur toile, 65 x 92 cm. Genève, Association des Amis du Petit Palais, 7059. © Studio Monique Bernaz, Genève.

 


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Interview de Marina Ferretti,
directeur scientifique, musée des impressionnismes Giverny, et commissaire de l’exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Giverny, le 26 juillet 2018, durée 15'04". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Lorsque Henri-Edmond Cross peint des blanchisseuses en Provence, celles-ci se fondent entre les pins et les draps tendus, camouflées dans le paysage. Au premier plan ce sont des enfants qui jouent habillés de couleurs lumineuses de confiserie qui occupent l'espace et deviennent le sujet du tableau. Ce bonheur acidulé de l'enfance, cette innocence qu'il faut saisir avant qu'elle ne disparaisse, voilà ce que semble chercher le peintre, ce qui sera le fil conducteur de sa recherche.

La cueilleuse de fleurs dans Monaco se perd dans la jungle de roses et de citrons. Le jardin devient forêt vierge, envahit tout l'espace, intégrant la servante comme une de ses créatures. Les fleurs et les fruits, les taches de lumière passant à travers le toit de feuillage forment une trame pointilliste de jaunes et de roses. Ils annoncent, au-delà de l'académisme encore présent, le tournant que Cross s'apprête à prendre. Car, des calanques qui se décomposent en géométrie de plans découpés au portrait de Madame Hector France, irréel et onirique de surfaces plates et vaporeuses, la rupture est consommée. La déconstruction du réel prend la forme d'une chevelure tombant en cascade. Les points qui la composent, du chaos originel s'organisent en lignes pointillées, alignements des perles d'une jalousie. L'aplat semble se gondoler comme une feuille de papier humide puis un bras émerge, modelé d'ombre et de lumière, tenant un peigne.

Les compositions sont d'une précision d'architecte. la terre, les troncs d'arbres et l'espace qui les sépare, les masses sombres de feuillage et les ciels clairs et jaunes créent des tensions qui se résolvent dans la paix et l'harmonie. Une ligne d'horizon délimite un ciel de points alignés régulièrement, air immobile de chaleur de l'été, des reflets sur l'océan, denses et aveuglants au loin et revenant au calme d'un carrelage de bassin en s'approchant du rivage. Il y a une tentation de la sculpture dans l'épaississement de la matière, dans les points rouges remontant le long des troncs des pins comme des écailles de serpent, la vapeur d'une cheminée de bateau qui se déroule et s'enroule sur elle-même comme une pâte.

La Plage de Saint-Clair ressemble à un Eden avec ses personnages anonymes, nus et libres, respirant l'insouciance, se baignant dans la chaleur d'une lumière d'or autour de la figure centrale d'un arbre. Si cette image du bonheur rappelle la quête paradisiaque de Gauguin, ici le bonheur n'est pas celui des personnages qui restent au second plan, mais il est la couleur. Il est ces milliers de points de lumière qui sont chacun ce qu'il y a de plus beau à cet instant, à cette place. Il est le paysage tout entier de La Lavandière, qui par ses verts et ses violets est devenu une fleur de lavande, et dans laquelle se fond le personnage aux bras et visage parsemés de taches vertes et mauves.

Les points qu'utilise Cross pour peindre s'épaississent en petits rectangles de peinture plus dense, se rapprochent jusqu'à se poser les uns sur les autres comme des pétales de fleurs fraichement tombées, donnant un volume à la toile. La recherche picturale ouvre une voie vers l'abstraction. Les rouleaux des vagues successives se décomposent pour venir éclater sur la plage dans une écume solide faite d'éléments séparés et réunis comme une foule. Le peintre a réussi à disparaitre dans le rivage méditerranéen, son tableau est la lente pulsation de la mer, le bourdonnement des insectes, le parfum des fleurs et des aiguilles de pins se mêlant à la brise iodée.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Marina Ferretti, directeur scientifique, musée des impressionnismes Giverny



Le musée des impressionnismes Giverny a programmé pour l’été 2018 une rétrospective consacrée au peintre néo-impressionniste Henri-Edmond Cross. La dernière exposition monographique qui lui a été consacrée, Cross et le néo-impressionnisme, s'est tenue au musée de la Chartreuse à Douai, ville natale du peintre, en 1998. Rappelons aussi l'importante exposition Henri-Edmond Cross et le néo-impressionnisme. De Seurat à Matisse, qui eut lieu en 2012 au musée Marmottan-Monet à Paris ainsi qu'au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis. Strictement monographique, l’exposition Henri-Edmond Cross, peindre le bonheur vise à montrer l'ensemble de sa production et réunit près de 110 oeuvres, peintures, dessins et aquarelles. Organisé et présenté par le musée des impressionnismes Giverny du 27 juillet au 4 novembre, le projet connaîtra une seconde étape à Potsdam, au Museum Barberini.

Né à Douai en 1856, Henri-Edmond Cross s'installe à Paris où il expose dès 1881 au Salon des artistes français. En 1884, il participe à la fondation de la Société des artistes indépendants à laquelle il sera fidèle jusqu'à sa mort en 1910. Il rencontre alors Georges Seurat et les peintres qui se réuniront sous la bannière néo-impressionniste en 1886. Mais ce n'est qu'en 1891, l'année de la mort de Seurat, qu'il adopte la technique de la division des couleurs et se rallie au groupe des « néos ». C'est aussi en 1891 qu'il choisit de s'installer dans le Midi. Ses amis, Paul Signac, Maximilien Luce, Charles Angrand et Théo Van Rysselberghe lui adressent livres ou catalogues, s'occupent de ses envois aux expositions et le tiennent régulièrement informé des événements artistiques. Grand lecteur, sensible à la littérature, Cross échange avec eux une correspondance nourrie, qui éclaire ses intentions et l'évolution de son art. Il encourage Signac à s'installer à son tour dans le Midi et dès 1892, ils se voient régulièrement au cours de l'été. Ensemble, ils ne tarderont pas à faire évoluer la technique de Seurat vers le second néo-impressionnisme, privilégiant l'étude de la couleur à celle de la lumière. À partir de 1895, ils renoncent en effet progressivement à la technique du petit point et adoptent une touche plus large en usant de couleurs de plus en plus fortes, rehaussées encore par l'effet du contraste. Cross participe à toutes les manifestations néo-impressionnistes et ses premières expositions monographiques ont lieu en 1905 et 1907. Ses tableaux qui célèbrent l'harmonie de l'homme et de la nature expriment alors un vitalisme nietzschéen. Dans sa retraite de Saint-Clair, il reçoit les futurs fauves Henri Matisse et Henri Manguin dès 1904 et noue avec eux des liens d'amitié. À cette époque, il connaît un succès international et il est considéré, aux côtés de Paul Signac, comme l’un des pères de la modernité. Ses oeuvres sont très demandées à l'étranger où il expose en Belgique, en Hollande, et surtout en Allemagne.






Parcours de l’exposition :

Le parcours de l'exposition se déroule selon trois sections qui se succèdent chronologiquement, soulignant une montée en puissance chromatique qui illustre le rôle essentiel joué par Cross dans le mouvement de libération de la couleur. Une importante section est consacrée aux oeuvres sur papier, dessins et aquarelles.


1. Apprentissage et premières années

Henri-Edmond Cross, qui répond alors au nom d'Henri Delacroix, a dix ans quand Carolus Duran lui donne en 1866 ses premières leçons de peinture à Lille, une initiation éclair car le maître s'installe à Paris la même année. Encouragé par le Docteur Soins, un cousin qui aide les parents de l'artiste en finançant son éducation, le jeune Delacroix s'inscrit en 1878 aux cours des Écoles académiques de Dessin et d'Architecture de Lille. On le retrouve en 1881 à Paris où il expose au Salon des artistes français. Pour se différencier d'Eugène Delacroix, l'artiste adopte de 1883 à 1887 le nom d'Henri Cross, avant de se faire appeler Henri-Edmond Cross, pour éviter d'être confondu avec le peintre, sculpteur et verrier Henry Cros.

Ses premières oeuvres connues sont des portraits de ses proches, peints dans un style réaliste où les visages vivement éclairés contrastent avec un fond sombre. Mais à partir de 1883, Cross séjourne l'hiver à Monaco où sa famille s'est installée et il s'intéresse au paysage. Il adopte alors une gamme de couleurs plus large qui traduit les effets de la lumière méridionale et sa palette s'éclaircit. Sa technique se rapproche de celle des impressionnistes quand il s'agit d'évoquer la nature qu'il traite avec une certaine liberté, mais ses figures restent quant à elles plus nettement dessinées.

En mai 1884, il est membre du comité de placement de l'exposition du « groupe des peintres indépendants », avant de participer en décembre au premier Salon, « sans jury ni récompense », de la Société des artistes indépendants nouvellement constituée. Il a alors l'occasion de rencontrer Georges Seurat, Paul Signac, Albert Dubois-Pillet et Charles Angrand. Il assiste de près à la naissance du néo-impressionnisme et au scandale suscité en 1886 par les premières expositions du groupe autour du tableau manifeste de Seurat, Un dimanche après-midi à l'île de la Grande-Jatte (1884-1886, The Art Institute of Chicago). Mais il n'adopte pas encore la technique de la division des couleurs et le critique Félix Fénéon décrit alors très justement son art : « M. Henri Cross. Une palette claire, les objets, les êtres indiqués par teintes plates et bémolisées, une facture légère, une fantaisie jolie. » (L'Art Moderne, 19 septembre 1886).


2. Cross, peintre néo-impressionniste

L'année 1891 est celle de tous les changements. Élu vice-président de la Société des artistes indépendants, Cross expose sous le titre Portrait de Mme. H.F. (1891, Paris, musée d'Orsay), l'effigie grandeur nature d'Irma Clare, compagne du romancier Hector France. Cette oeuvre, dominée par une délicate harmonie bleu et rose traitée en petites touches régulières et structurée par une géométrie rigoureuse, marque son adhésion définitive au néo-impressionnisme. L'artiste rejoint ainsi le groupe constitué par ses amis Paul Signac, Théo Van Rysselberghe, Maximilien Luce et Charles Angrand, l'année même de la mort de Georges Seurat.

En octobre 1891, Cross s'installe avec Irma Clare dans le Var à Cabasson, avant de faire construire une maison à Saint-Clair près du Lavandou. Dès lors, il ne retourne à Paris qu'à l'occasion du Salon des indépendants et trouve dans le paysage méditerranéen une inépuisable source d'inspiration. Les premières séries néo-impressionnistes disent son émotion face à la pureté et aux couleurs d'une nature encore vierge, un décor enchanteur dont il ne se lassera pas. « Ici nos plages sont désertes. L'élégance ne réside que dans les pins qui sortent du sable et dans la délicieuse demi-lune que forme le rivage. Mais que cela est éternellement beau ! » écrira-t-il à Angrand en 1901. Une très riche correspondance s'établit avec ses amis qui le tiennent au courant des événements de la vie artistique à Paris. C'est le temps des premières expositions du groupe néo-impressionniste, organisées dans les salons de l'Hôtel Brébant, puis dans l'éphémère boutique néo de la rue Laffitte à Paris et Cross y participe activement.

Les paysages néo-impressionnistes peints alors touchent à l'abstraction tant ils sont synthétiques. Citons Les Îles d'Or (vers 1891-1892, Paris, musée d'Orsay) où la description du site se perd dans la vibration des petites touches de couleur qui oscillent du bleu au jaune pâle. Car, si l'artiste privilégie les couleurs primaires, il les mélange souvent avec du blanc pour les adoucir et leur donner un aspect plus mat, qui évoque l'art serein de Pierre Puvis de Chavannes.


3. À l'aube du XXe siècle : de la lumière à la couleur

Avec Signac, qui passe ses étés à Saint-Tropez depuis 1892 et qui y attire beaucoup de peintres, tels Maximilien Luce et Théo Van Rysselberghe mais aussi Henri Matisse et Henri Manguin, Cross fait évoluer la technique néo-impressionniste. Dès 1895, sa manière de peindre évolue. Il utilise désormais les couleurs pures et, pour leur donner plus d'éclat encore, il élargit sa touche. Sensible au jeu des lignes directrices, il use de plus en plus souvent de larges arabesques qui guident l'oeil du spectateur à la surface de ses toiles. À l'aube du XXe siècle, son oeuvre exprime un panthéisme nietzschéen célébrant avec lyrisme l'harmonie de l'homme et d'une nature exubérante.

Très présent sur la scène artistique européenne, il joue un rôle de premier plan dans le mouvement de libération de la couleur qui marque les premières années du XXe siècle. Fidèle aux Indépendants, il montre également ses oeuvres chez Bing en 1895 et chez Durand-Ruel en 1899. Sa première exposition monographique se tient à la galerie Druet en 1905, suivie d'une exposition personnelle chez Bernheim-Jeune en 1907. On ne le voit pas moins à l'étranger. À Bruxelles, il participe au Salon des XX en 1893 et on verra régulièrement ses oeuvres accrochées aux cimaises de la Libre Esthétique. Il expose aussi à Helsinki en 1904 et à l'importante exposition Manet and the Post-Impressionists aux Grafton Galleries à Londres en 1910. Il est accueilli très favorablement en Allemagne où il participe aux manifestations consacrées au néo-impressionnisme à Berlin, Hambourg et Weimar, puis à l'exposition du Sonderbundes de Cologne en 1912 où il apparaît comme un des pères de la modernité. Car, après sa mort en 1910, les hommages posthumes se multiplient en France et en Europe.


4. OEuvres sur papier

Très jeune, Cross a témoigné d'un goût particulier pour les arts graphiques, et son talent de dessinateur s'est développé au gré d'une formation classique. Rappelons aussi que l'artiste se livra longuement à l'exigeant travail de traduction du texte de John Ruskin, The Elements of Drawing.

Plusieurs feuilles mises au carreau prouvent que Cross a respecté la méthode traditionnelle d'élaboration du tableau, passant par des études préparatoires prises sur le motif avant d'être reprises à l'atelier. En dépit de quelques dessins d'imagination produits pour satisfaire aux amis, l'observation attentive de la nature est à la source de ses oeuvres. Précises et synthétiques à la fois, les notes prises en plein-air émaillent en effet les pages des nombreux carnets de croquis qui accompagnaient l'artiste dans tous ses déplacements.

Ses admirations se lisent dans le très riche éventail des techniques qu'il a pratiquées, de la ligne claire chère à Puvis de Chavannes jusqu'au dessin sans contours de Seurat. Grâce notamment au prêt généreux du musée d’art moderne André Malraux, l'exposition présente un large ensemble de dessins, qui permet de dégager les grandes lignes de l'évolution de son art, depuis les premières feuilles en noir et blanc, jusqu'aux libres aquarelles exécutées dans le Midi. Cross s'est livré très tôt à l'art de l'aquarelle et il a suivi les conseils de Ruskin qui recommande de débuter par l'usage de la monochromie. Traditionnellement, l'aquarelle est l'art du voyageur, et Cross l'a pratiquée largement à l'occasion du séjour à Venise en 1903. Dès lors, il expose plus souvent ses aquarelles à côté des tableaux. De plus en plus libres, souvent caractérisées par un tracé vermiculé, elles accompagnent la montée en puissance de la couleur et font écho à la liberté des oeuvres peintes à l'huile.