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“Giacometti” Entre tradition et avant-garde
au musée Maillol, Paris

du 14 septembre 2018 au 20 janvier 2019 (prolongée jusqu'au 3 février 2019)



www.museemaillol.com

www.fondation-giacometti.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 13 septembre 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Aristide Maillol, Les Trois Nymphes de la Prairie, 1930-1937. Bronze, 157 x 144 x 78 cm. Fondation Dina Vierny - Musée Maillol, Paris. Photo © Jean-Alex Brunelle.
2/  Alberto Giacometti, Petit buste d’Annette, vers 1951. Plâtre peint, 21,5 x 14,5 x 9,4 cm. Fondation Giacometti, Paris. © Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti, Paris + ADAGP, Paris) 2018.
3/  Alberto Giacometti, Trois hommes qui marchent [petit plateau], 1948. Bronze, 72 x 32,7 x 34,1 cm. Fondation Giacometti, Paris. © Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti, Paris + ADAGP, Paris) 2018.

 


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Interview de Thierry Pautot,
responsable de la Recherche à la Fondation Giacometti et commissaire associé de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 septembre 2018, durée 16'51". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Catherine Grenier, commissaire générale, directrice de la Fondation Giacometti
Thierry Pautot, commissaire associé, attaché de conservation, responsable de la Recherche à la Fondation Giacometti




À la rentrée 2018, le musée Maillol met à l’honneur l’artiste suisse Alberto Giacometti et propose, en collaboration avec la Fondation Giacometti, Paris, une relecture de son oeuvre en dialogue avec les grands sculpteurs classiques et les modernes de son époque.

L’exposition présentera plus de cinquante sculptures de l’artiste, toutes issues de la collection de la Fondation Giacometti, mises en regard avec près de vingt-cinq oeuvres d’autres artistes majeurs tels que Rodin, Bourdelle, Maillol, Despiau, mais aussi Brancusi, Laurens, Lipchitz, Zadkine, Csaky ou encore Richier.



Giacometti : d’un style à l’autre
À travers un parcours chronologique et thématique, l’exposition mettra en lumière les relations entretenues avec ces artistes à chacune des étapes de l’évolution du style de Giacometti. Le parcours proposera ainsi un éclairage nouveau sur la période méconnue d’avant-guerre : d’abord les oeuvres de jeunesse de Giacometti encore empreintes de modernité classique (Despiau, Maillol), puis une seconde section plus importante consacrée à la rencontre des avant-gardes parisiennes après 1925 (Zadkine, Lipchitz, Csaky). La tentation de l’abstraction, en marge du surréalisme, sera éclairée par de riches comparaisons (Brancusi, Laurens). Le retour définitif à la figuration d’après modèle de l’artiste après 1935, permettra d’évoquer la formation de son style de la maturité. De manière thématique, l’exposition proposera de nombreuses comparaisons avec Rodin, Bourdelle et Maillol : motif de la tête, question du socle, inspiration de la Haute Antiquité.

Un dialogue entre les sculptures
Les grands thèmes de l’après-guerre (groupes de figures, femme debout et homme qui marche), seront évoqués depuis leur source dans le surréalisme avec la Femme qui marche (1932) jusqu’aux oeuvres iconiques des années 1950-60 comme La Clairière (1950), Femme de Venise III (1956), ou encore l’Homme qui marche II (1960). Les orientations formelles de Giacometti seront analysées de façon novatrice par la comparaison avec plusieurs artistes de référence, en particulier Rodin, et avec certains de ses contemporains comme Richier.


Afin de guider le public, le parcours sera enrichi d’une sélection d’arts graphiques et de documents d’archives. Faisant écho à l’atelier d’Aristide Maillol reconstitué au sein du musée, le mythique atelier parisien de Giacometti sera également évoqué par un ensemble de lithographies de l’artiste et des photographies prises par certains des plus grands photographes du XXe siècle tels que Brassaï, Denise Colomb, Sabine Weiss ou Herbert Matter.






Parcours de l’exposition

1 - Le langage de la tradition

Alberto Giacometti (1901-1966), est le fils aîné d’un peintre néo-impressionniste renommé, Giovanni Giacometti. Il grandit dans l’atelier paternel, à Stampa en Suisse italienne, et s’initie très tôt à l’art. En 1914, âgé seulement de treize ans, il réalise son premier buste d’après-nature, prenant son frère, Diego, pour modèle. Par la suite tous les membres de la famille poseront régulièrement pour lui. En 1922, il part à Paris pour suivre les cours du sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1929) à l’Académie de la Grande Chaumière, où des élèves du monde entier viennent s’initier à la sculpture d’après modèle. Bourdelle associe un enseignement classique d’après nature à une approche formelle du volume par facettes géométriques. De la même génération que Bourdelle, Aristide Maillol (1861-1944) et Charles Despiau (1874-1946) ont eux aussi cherché à renouveler la tradition du portrait classique en faisant poser leurs proches.

2 - Rencontre des avant-gardes
Paris, capitale effervescente des arts, plonge le jeune Giacometti dans les avant-gardes. Bien qu’il trouve le cubisme trop éloigné de la réalité, il s’inspire de ses formes et expérimente de nouvelles voies d’expression qui l’éloignent progressivement de l’enseignement de Bourdelle. Tout en prenant ses distances avec le travail d’après nature, il garde la figure humaine au cœur de son travail et réalise une série de personnages géométrisés qui ne sont pas sans rappeler certaines oeuvres d’Ossip Zadkine (1890-1967), Jacques Lipchitz (1891-1973) ou bien encore Henri Laurens (1885-1954). Il rencontre chacun de ces artistes, qui sont ses aînés de quelques années, dans leurs ateliers respectifs. La décomposition de la figure en volumes permet à ces sculpteurs d’envisager une figure sous tous ses angles et toutes ses perspectives à la fois. En tournant autour de la sculpture, le regard recompose le motif entre figuration et abstraction.

3 - Aux sources de l’art
Le milieu artistique des premières décennies du XXe siècle se passionne pour les arts extraoccidentaux. L’Afrique, en particulier, inspire de nombreux sculpteurs. Giacometti, au fait de ces recherches, puise lui aussi dans les arts primitifs qu’il étudie et copie lors de visites au musée du Louvre et au musée ethnographique du Trocadéro. Détails de masques, de boucliers ou de totems lui ouvrent tout un monde de formes nouvelles. Les stèles et les figures plates, qu’il exécute dans les années 1927-29 sont d’une stylisation extrême, parfois proche de l’abstraction. Elles évoquent également le caractère magique de la sculpture archaïque des Cyclades et le mettent sur la voie du surréalisme, qu’il suit de 1930 à 1935. Henri Laurens et Constantin Brancusi (1876-1957), qui le précédent de quelques années dans ses recherches, explorent le même type de stylisation à la recherche de nouvelles voies pour leur sculpture.

4 - Les têtes
Comment représenter la figure humaine de la manière la plus ressemblante possible ? À partir de 1935, cette question accapare Giacometti lorsque, abandonnant l’imaginaire onirique surréaliste, il revient au travail d’après nature. Il prend pour modèles ses proches, qu’il contraint à rester assis sur un tabouret pendant de longues heures, tandis qu’il sculpte sans relâche, poursuivi par un sentiment d’échec permanent. Il embauche également Rita Gueyfier, un modèle professionnel féminin, pour poser chaque jour et ce qui devait être l’affaire de quelques jours devient l’obsession d’une vie. Les têtes réalisées par Maillol d’après Renée Rivière et d’autres jeunes modèles féminins dans la première décennie du XXe siècle évoquent celles de l’antiquité romaine. Giacometti revient lui aussi aux formes classiques dans certaines sculptures de bustes et de têtes. Cependant, il retient aussi la leçon de Bourdelle et, considérant le socle comme partie intégrante de l’oeuvre, multiplie les variations tant de formes de proportions entre figures et bases.

5 - Les groupes de figures
À partir du début des années 1950, Giacometti travaille à des compositions plus complexes de plusieurs figures. Bien qu’éloignées de celles de l’époque surréaliste, elles en reprennent néanmoins l’esprit, opérant la rencontre improbable d’une tête et d’une figurine dans une cage, ou réunissant sur un même plateau plusieurs sculptures composant un paysage. Ces oeuvres, qu’il associe au souvenir d’une clairière, d’une forêt ou d’une place, se proposent comme des paysages anthropomorphiques où les arbres sont figurés par des silhouettes de femmes et les rochers par des têtes. Le mouvement de ces figures est suspendu, figé dans de grands socles-plateaux. A la fin des années trente, Maillol a lui aussi travaillé à une composition de plusieurs figures, les Trois Nymphes (1930-1937). Les trois corps féminins, représentés de face ou de dos, échappent à la frontalité, à l’instar des peintures italiennes du XVe siècle qui tentaient de déjouer la planéité de la peinture par ce même effet de mouvement. De par sa composition complexe, le groupe dense des Bourgeois de Calais sculptés par Auguste Rodin en 1885, marque un tournant radical dans le traitement du socle qui fusionne totalement avec la base des figures au lieu de les isoler, donnant l’impression d’un groupe pétrifié dans son mouvement.

6 - D’après l’antique
La copie des maîtres est un exercice qu’affectionnent les artistes de la modernité, qui envisagent la sculpture de l’Antiquité classique fondée sur le réalisme comme un modèle à dépasser. Giacometti copie lui-même très tôt des sculptures antiques, exercice qu’il pratiquera avec assiduité jusqu’à la fin de sa carrière. Plusieurs de ses bustes, perchés sur des doubles socles ou fusionnant avec eux témoignent de l’influence formelle de la sculpture romaine. Sa Femme assise rappelle également les divinités égyptiennes, qu’il a découvertes en 1921 lors d’un séjour à Florence. La sculpture égyptienne, qu’il copie régulièrement lors de visites au Louvre, ou directement dans les nombreux livres et revues d’art qu’il possède, influencera ses femmes debout d’après-guerre, aux pieds lourdement ancrées dans de massifs socles rectangulaires.

7 - L’atelier
En décembre 1926, Giacometti s’installe dans un atelier d’à peine 23 m2, au 46 rue Hippolyte-Maindron dans le quartier des artistes à Montparnasse, où il restera toute sa vie. C’est dans cet espace modeste tant par sa surface que par son manque de confort que Giacometti produira la grande majorité de son oeuvre. L’atelier devient très vite l’espace d’une mythification de l’artiste au travail, entièrement absorbé par l’urgence de l’oeuvre à réaliser. Quand il n’y fait pas poser ses modèles, Giacometti y accueille volontiers les plus grands photographes de son temps qui défilent entre les années 1930 et 1960 pour témoigner d’un espace à l’image du travail de l’artiste, à la fois en perpétuel mouvement et néanmoins figé hors du temps.

8 - Les figures féminines : Giacometti, Richier, Zadkine, Bourdelle, Maillol
La représentation du nu féminin, qui reste un sujet de prédilection pour certains artistes tout au long du XXe siècle, est centrale chez Giacometti. Il réalise sa première figure féminine d’envergure en 1932, la Femme qui marche, dont le corps juvénile s’inspire des mannequins de vitrines qui fascinent alors les surréalistes. Ce sujet va dominer son oeuvre jusqu’à la fin de sa carrière. La plupart de ses nus d’après-guerre seront réalisés de mémoire ou d’après sa femme Annette, qu’il épouse en 1949 et qui sera son modèle principal. Pour d’autres artistes, la représentation réaliste du corps féminins croise une variété d’influences, comme l’Antiquité chez Bourdelle et Maillol, ou le primitivisme chez Zadkine. Germaine Richier (1904-1959) quant à elle, renoue après la guerre avec la figuration allégorique en fusionnant représentation de la femme et formes issues de la nature.

9 - L’Homme qui marche
Giacometti se confronte à la représentation du mouvement dès les années 1930, avec le pas timide de la Femme qui marche, inspiré de la statuaire antique. Après la guerre, cette thématique devient prépondérante. Entre 1947 et 1951, il sculpte différentes versions d’hommes et de femmes en marche isolés ou en groupes. Le mouvement de la marche va cependant être rapidement réservé à ses figures masculines, tandis que ses sculptures de femmes sont strictement hiératiques et immobiles. Giacometti s’intéresse aussi à la dimension de ses figures, qu’il allonge et agrandit de plus en plus, jusqu’à cette version ultime de l’Homme qui marche, réalisée en 1959 dans le cadre d’un projet destiné au parvis du gratte-ciel de la Chase Manhattan Bank, à New York. En fait d’ « homme », cette figure sans identité, réduite à ses caractéristiques morphologiques essentielles, symbolise plutôt l’humanité en marche dans sa forme la plus universelle. Giacometti reste influencé par l’Antique, mais l’oeuvre évoque surtout l’art de Rodin, en particulier son Saint-Jean-Baptiste (1880) qui préfigure son propre Homme qui marche, dont Giacometti copie et étudie soigneusement le mouvement dans un de ses livres sur le maître. De Rodin, Giacometti retient la manière de propulser la figure vers l’avant tout en gardant les deux pieds solidement ancrés dans la terrasse de la sculpture. Ce mouvement contredit des marcheurs de Rodin et de Giacometti, mélange d’avancée irrépressible vers l’avant et de retenue, provoque un sentiment d’insécurité qui définit l’expérience du sublime et les place parmi les sculptures les plus iconiques du XXe siècle.