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“Ron Amir” Quelque part dans le désert
au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

du 14 septembre au 2 décembre 2018 (prolongée jusqu'au 6 janvier 2019)



www.mam.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 13 septembre 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Ron Amir, Bisharah and Anwar’s Tree (L’arbre de Bisharah et Anwar), 2015. photographie © Ron Amir.
2/  Ron Amir, Storage (Stockage), 2015. photographie © Ron Amir.
3/  Ron Amir, Dinning corners (coin repas), 2016. Photographie © Ron Amir.

 


2497_Ron-Amir audio
Interview de Emmanuelle de l’Ecotais, chargée des collections photographiques du musée d'art moderne de la ville de Paris et co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 septembre 2018, durée 14'40". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Noam Gal
Commissaire au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris : Emmanuelle de l’Ecotais




Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris accueille l’exposition Quelque part dans le désert du photographe israélien Ron Amir présentée au Musée d’Israël à Jérusalem en 2016. Composée de trente photographies grand format en couleurs et de six vidéos, l’exposition évoque les conditions de vie de réfugiés venus du Soudan et de l’Erythrée alors qu’ils étaient retenus dans le centre de détention de Holot, situé dans le désert du Néguev et aujourd’hui fermé. Ces migrants avaient fui vers Israël pour échapper à la terreur et à l’oppression dans leur pays d’origine et n’étaient pas autorisés à vivre ou travailler légalement en Israël. Bien qu’ils pouvaient se déplacer librement hors du centre d’Holot pendant la journée, ils étaient tenus de pointer matin et soir.

Les photographies de Ron Amir datant de 2014-2016 documentent les activités de journée de ces réfugiés. Elles montrent comment, en plein désert, et sans ressources, ils ont tenté de développer une vie commune et quotidienne. Utilisant des bâtons, du sable, des pierres et toutes sortes d’objets abandonnés, ils sont parvenus à construire des huttes communautaires ainsi que des salons de thé, des bancs, des salles de sport, des fours improvisés et d’autres équipements qui viennent compléter les équipements sommaires prévus à Holot.

Alors que les réfugiés eux-mêmes ne sont pas visibles sur les photographies, leur créativité, leur instinct de survie et leur sensibilité sont évidents dans les représentations de Ron Amir. Ce qui ressemble de prime abord à une photographie de paysage se révèle dans un second temps être une photo témoin, empreinte de l’attente avant la libération, du vivre ensemble et de l’espoir d’un foyer.

L’une des caractéristiques du travail de Ron Amir tient dans son implication active dans la vie de la communauté qu’il choisit de photographier – généralement aux marges de la société qui nous entoure. Il a ainsi entamé son projet photographique à Holot par des visites sans but prédéfini, si ce n’est de faire connaissance avec les demandeurs d’asile. Dès ses premières visites, les frontières entre action politique et art ont commencé à se brouiller. Contrastant avec la photographie documentaire ou de presse traditionnelle, les photographies de Ron Amir véhiculent plusieurs messages simultanément. Elles témoignent de la détresse sociale tout en racontant la créativité foisonnante des personnes qui la subissent. Elles sont à la fois un document et une métaphore.






Ron Amir, engagé en photographie par Noam Gal
– extrait du catalogue aux éditions Paris Musées -

(…) Parmi les photographes en activité en Israël ces dernières décennies, Ron Amir propose une oeuvre singulière, fidèle au camp de la photographie documentaire politiquement engagée. Pourquoi « engagée » ? En quoi ses actions artistiques sont-elles « engagées » dans le sens le plus profond du terme ? Est-ce parce qu’il ne s’agit pas simplement d’un autre sous-genre de la photographie documentaire ou de la photographie en général, mais d’une pratique artistique qui traverse les médiums et questionne la nécessité d’établir des catégories dans le domaine photographique, lequel relève de l’art contemporain ?

Il est important pour Ron Amir de placer son appareil, les spectateurs et lui-même face à une réalité complexe, souvent douloureuse, dont la plupart d’entre nous ne sommes pas conscients. Ainsi, par exemple, dans les années 2010-2011, il visita régulièrement deux chantiers de construction de la ville de Kfar Saba où étaient employés des « étrangers illégaux » (des Palestiniens qui travaillaient en Israël mais n’avaient pas les papiers nécessaires pour franchir chaque jour le mur de séparation). Dans la série intitulée Présence invisible, qu’il a créée dans ce lieu, les ouvriers sont photographiés à l’intérieur d’espaces clos de béton – des « pièces sécurisées » aménagées, de nos jours, dans chaque appartement. Ces espaces sont dépourvus de fenêtres, ce qui empêche les illégaux qui y séjournent d’être vus le soir ou le week-end. Le travail d’Amir se fonde ici sur un simple engagement qui en constitue le point de départ : un renversement de notre attitude commune face aux franges de la réalité qui nous entoure, attitude qui consiste à les ignorer, à justifier l’ordre existant, à nous concentrer sur nous-mêmes. De fait, son travail artistique s’inspire bel et bien des principes humanistes de Cornell Capa, sans pourtant présumer qu’il est du devoir de l’art d’améliorer la condition du sujet photographié ou d’atteindre un objectif concret dans le monde. L’engagement de Ron Amir en faveur de la photographie est avant toute chose une déclaration de l’acte même de se rendre sur le terrain, à la rencontre de ce qui s’y trouve, peu importent les conséquences. En outre, engagement ne signifie pas identification, et nous aurions tort d’identifier à une doctrine politique bien réglée l’engagement en faveur des marges du champ de vision et de la vie en Israël. Ce déplacement vers les marges débute par une expérience élémentaire : tendre une main vers l’autre – un simple geste d’ouverture afin de lier connaissance. Chaque nouveau chapitre du travail d’Amir – le projet mené au centre de détention de Holot, par exemple – commence par une longue série de visites qui visent à tisser des liens avec les gens dans l’environnement qu’il souhaite photographier ; et cela brouille déjà la frontière entre action et observation, frontière sur laquelle se fondent tant de conventions sur la représentation et sur le lien entre l’art et son éventuel horizon politique. (…)

(…) À l’instar d’autres artistes qui ont commenté l’oeuvre de Ron Amir, Rabina mentionne un autre aspect hybride de la photographie engagée : lorsque le photographe s’abstient délibérément de créer des images qui se rapportent à un événement majeur ou qui ont un centre d’attention bien défini. « Ces photographies ne capturent aucun événement extrême, écrit Rabina, elles contiennent tout au plus un “événement”. Leur puissance s’explique par l’exigence d’une observation persistante, soutenue, et par la valeur de la “durée”. Le “moment décisif” cède la place à la patience, et à l’image forte se substitue un ensemble de qualités qui s’accumulent peu à peu. »

Les photographies d’Amir, qu’elles représentent des paysages ou des intérieurs, donnent l’impression de véhiculer plusieurs messages simultanés : l’histoire de la détresse sociale dont on rend compte, l’histoire de l’incessante créativité des gens qui subissent cette détresse, et l’histoire du photographe lui-même dans cet environnement. Ainsi, ses visites répétées des ateliers de réparation de moteurs ou des cabanes de pêcheurs de Jisr al-Zarqa ont conduit Ron Amir à photographier des gribouillages sur les murs, des objets et divers bibelots appartenant aux gens qu’il photographie et grâce auxquels ils organisent leur cadre de vie. Il n’y a dans ces photographies aucun sujet unique précis, et le cadre empêche pour ainsi dire le regard de se détourner de l’espace qui contient à la fois le travail d’Amir et celui des individus photographiés. L’observation de chacune de ces images composites, qui n’orientent pas vers un message unique et particulier, exige en soi que l’on consente à « séjourner », à s’attarder face à une photographie plutôt que de chercher une conclusion – et nous aborderons de nouveau plus loin cette nécessité d’investir du temps. Ce type d’images est dépourvu de foyer narratif défini, et Amir les construit méticuleusement. Son travail n’a rien de commun avec le geste journalistique du cliché réalisé sur commande, du mouvement du photographe s’efforçant de se retrouver en première ligne de l’événement ou de capturer l’instant décisif. Apparaît ici une frontière explicite entre les caractéristiques de la photographie d’Amir (relevant de la « photographie de l’après » telle que Campany la définit), et celles des traditions du photojournalisme ou de la photographie humaniste (que promouvait Cornell Capa, entre autres). (…)

(…) Ces deux caractéristiques – l’abondance d’informations fournie par ce format et le temps qu’exige un travail réalisé dans ledit format – sont à la base de la surprise que nous éprouvons face à cette série de photographies en couleur qu’Amir a rapportée de Holot : on n’y voit en effet ni être humain ni le moindre signe d’incarcération ou de restriction de liberté ou de mouvement. Amir s’abstient de photographier le camp lui-même – ses barrières, ses grilles, ses containers tenant lieu de logements – et ne rend compte que de son environnement extérieur. La présence humaine est pourtant extrêmement palpable dans ces photographies « vides », ce qui les exclut du genre de la « photographie de paysage ». On y voit des lieux désertiques, des parcelles de terre aride agrémentées d’un arbre, d’un buisson ou d’un monticule de pierres ; chacune laisse entrevoir les signes d’une activité ayant eu lieu la veille au soir et qui sans nul doute reprendra le lendemain. Amir photographie ces endroits alors que les réfugiés sont emprisonnés dans l’enceinte du camp ; pour cette raison, le court laps de temps qui lui est imparti pour réaliser, dans la lenteur, ces prises de vue se focalise sur la zone de tension. Il photographie à l’extérieur, de telle sorte que l’espace situé « autour de Holot » se retrouve au coeur du projet, une base adéquate pour élaborer une critique contemporaine de la situation de la liberté humaine en Israël (un pays qui, au passage, ne paraît plus si familier dans ces photographies en « extérieur » de Holot). (…)