contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Miró” article 2520
au Grand Palais, Paris

du 3 octobre 2018 au 4 février 2019



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 1er octobre 2018.

2520_Miro2520_Miro
Légendes de gauche à droite :
1/  Joan Miró, Peinture-poème (« Photo : ceci est la couleur de mes rêves »), 1925. Huile et inscription à la main sur toile ; 97 x 130 cm. États-Unis, New York The Metropolitan Museum of Art. The Pierre and Maria-Gaetana Matisse Collection, 2002 (2002.456.5). © Successió Miró / Adagp, Paris 2018. Photo The Metropolitan Museum of Art, dist. Rmn-Grand Palais / image of the MMA.
2/  Anonyme, Joan Miró retouchant Bleu II, Galerie Maeght, Paris 1961. © Successió Miró / Adagp, Paris 2018. Photo Successió Miró Archive.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Dans les paysages peints à Mont-roig, maisons et potagers voient les éléments qui les composent séparés, éparpillés sur toute la surface. La campagne, comme les rouages d'une machine, est démontée puis remontée en alignements de plantes, de fleurs, de cailloux sur le chemin. Un palmier squelettique ressemble à un insecte géant coupant le tableau en deux, les sillons du jardin droits et triangulaires évoquent des toits d'usine tandis que sur les murs des granges, les pierres dessinent la cartographie d'un paysage aride. Les grands courants fauve et cubiste sont intégrés, ils se lisent sur le plissé des manches d'une robe, les sinuosités d'une chevelure, l'ombre du nez d'une danseuse espagnole ou les volumes aplatis en silhouettes colorées d'une fermière aux pieds de géante; mais Miró en restera là, il intègre juste ce dont il a besoin pour poursuivre son propre chemin.

La couleur par laquelle tout va naitre est le bleu. Ce ciel de Mont-roig est désormais immense et universel, il est un personnage-objet à part entière, une matrice. Il s'oppose aux terre ocres et limoneuses, ces fonds aux teintes rouges si organiques qu'ils semblent vivants et fertiles. Là, de petites formes plates blanches, rouges, jaunes, tracées d'un geste simple et précis sont les sujets de petites histoires courtes comme des chansons. Des visages sont simplifiés jusqu'au symbole, des étonnements ou des colères, presque des emojis. Ils sont liés par de fines lignes, plans et cartes d'interactions, de causes et de conséquences. La vision de Miró est expliquée sur la toile de façon didactique, notes de musique d'une leçon de solfège.

Aux animaux, chien, chevaux, lièvres, oiseaux viennent se joindre des figures humaines aux bras écartés comme des ailes, dont les doigts sont les plumes. Un cheval de cirque est une ligne continue qui serpente sur le fond blanc. Pourtant, il n'y a pas de hasard ici, la parcours de ce cheval et sa morphologie fusionnent dans ce trait, la matière s'allège et s'affranchit de la gravité. La surface de masonite brûlée, rafistolée de blanc comme par un enduit, alourdie par des amas de matière sombre goudronneuse ne peut freiner l'envol de petits êtres aux déflagrations de couleurs brutales. Les traits noirs qui les cernent les ramènent vers les formes vernaculaires du triangle, du rectangle, vers la sauvagerie de la bête peinte sur les parois de la caverne originelle. Du cri de rage et de désespoir de la Femme en révolte devant sa maison qui se consume à la foule compacte de femmes et d'oiseaux, enfermés par le petit format du papier, errant sans espoir comme des prisonniers, il s'agit de la même quête de liberté dans un monde en guerre qui devient claustrophobique.

Cette recherche de liberté est un travail d'ingénieur fabriquant une machine volante. Il s'agit d'alléger sans cesse le trait, la forme, se débarrasser de chaque gramme en trop pour pouvoir s'envoler enfin. La trilogie Bleu y parvient: le trait unique est fin comme un cheveu, la forme est un galet rond et noir. Un cheminement se fait dans une apesanteur bleue silencieuse, trouvant sa conclusion dans un point d'exclamation rouge.

Puis la matière devient plus fluide, plus rapide. Sur le fond blanc, la peinture noire est liquide comme de l'encre, elle retombe en coulures, rattrapée par la gravité. Miró peint dans une urgence d'éclaboussures, de griffures sur une toile brûlée et trouée. Ses femmes et ses oiseaux ne volent plus, ils sont solidement ancrés sur terre. Sur un fond noir d'ardoise, une forme de mammouth que vient percer une lame triangulaire évoque la peinture rupestre. Peut-être est-elle là, la liberté qu'il a tant cherché, dans ce dernier envol hors du cadre du temps.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Jean-Louis Prat, ancien directeur de la fondation Maeght (1969-2004), historien de l’art, membre du Comité Joan Miró et ami de l’artiste



Dans cette rétrospective dédiée au grand maître catalan Joan Miró (1893-1983), près de 150 œuvres essentielles sont réunies afin de donner à cet oeuvre unique et majeur toute la place qui lui revient dans la modernité. Cette exposition intervient quarante-quatre ans après celle qu’avait organisée Jean Leymarie et Jacques Dupin dans ce même lieu en 1974. Des prêts exceptionnels, provenant de grands musées internationaux, européens et américains, ainsi que de grandes collections particulières mettent l’accent sur les périodes charnières de Miró qui déclarait : « Les gens comprendront de mieux en mieux que j’ouvrais des portes sur un autre avenir, contre toutes les idées fausses, tous les fanatismes ». La création de cet artiste d’exception irrigue l’art de tout le XXe siècle, irradiant de sa puissance et de sa poésie près de sept décennies avec une générosité et une originalité inégalées.

Dans une scénographie, créée tout spécialement pour les espaces du Grand Palais et rappelant l’univers méditerranéen de Miró, des oeuvres majeures (peintures et dessins, céramiques et sculptures, livres illustrés) se côtoient afin de mettre en lumière cet itinéraire marqué de renouvellements incessants. L’exposition débute au premier étage, avec les périodes fauve, cubiste et détailliste, suivie de l’époque surréaliste où Miró invente un monde poétique, inconnu jusqu’alors dans la peinture du XXe siècle. Ces périodes fécondes mettent en évidence les questionnements de l’artiste, ses recherches ainsi que sa palette de couleurs toujours au service d’un vocabulaire de formes inusitées et nouvelles. Ni abstrait ni figuratif, riche de multiples inventions, c’est dans un parcours poétique que l’on découvre le langage résolument neuf que n’a eu de cesse de développer Miró. Son art prend ses sources dans la vitalité du quotidien pour s’épanouir dans un monde jusqu’alors méconnu où les rêves du créateur occupent une place privilégiée. « Il me faut un point de départ, explique Miró, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme me procure une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. Ainsi un bout de fil peut-il me déclencher un monde. »

La montée du fascisme, dans les années 1930, le voit s’engager dans une lutte sans fin pour la liberté. Des peintures dites « sauvages » illustrent la force étrange et inédite qu’il donne à son oeuvre dans ces moments de tension extrême. Dans les années 1940, l’apparition des Constellations, une série de petits formats exceptionnelle exécutée à Varengeville-sur-Mer, en Normandie, livre un dialogue avec des rêves inassouvis. Bientôt ce sera l’interrogation sur la céramique qui donnera naissance à une sculpture qui témoigne, là aussi, de cette passion pour la réalité et une part de rêverie qui n’était pas a priori imaginable dans cette discipline.

Miró transforme le monde avec une apparente simplicité de moyens, qu’il s’agisse d’un signe, d’une trace de doigt ou de celle de l’eau sur le papier, d’un trait apparemment fragile sur la toile, d’un trait sur la terre qu’il marie avec le feu, d’un objet insignifiant assemblé à un autre objet. Il fait surgir de ces rapprochements étonnants et de ces mariages insolites un univers constellés de métamorphoses poétiques qui vient réenchanter notre monde. « Pour moi, avoue Miró, un tableau doit être comme des étincelles. Il faut qu’il éblouisse comme la beauté d’une femme ou d’un poème ».

Les dernières salles sont consacrées aux vingt-cinq dernières années de la création du peintre. Dans son grand atelier de Palma de Majorque construit par son ami l’architecte Josep Lluis Sert, Miró peint des œuvres de plus grands formats qui donnent une ampleur nouvelle à un geste toujours aussi méticuleusement précis. Le vide s’empare d’une grande partie des toiles longuement méditées. Miró déploie une énergie nouvelle avec des signes et des formes mettant en évidence une création toujours en éveil. De grandes sculptures en bronze, parfois peintes, disent, aussi à cette époque, la juxtaposition heureuse entre le réel et l’irréel. Dans cette oeuvre ultime où le noir surgit souvent avec une force nouvelle, le tragique frôle toujours l’espoir. Ainsi Miró investit-il l’univers pictural et sculptural avec une acuité attisée par le temps qui passe.

Jean-Louis Prat, ancien directeur de la fondation Maeght (1969-2004), membre du Comité Joan Miró et ami de l’artiste auquel il a dédié de nombreuses expositions dont la dernière en date était au Musée de l’Albertina à Vienne en 2012, assure le commissariat de cette rétrospective aux Galeries nationales du Grand Palais en 2018.