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“Thierry Fontaine” Les Pluriels Singuliers
au Centre Photographique d’Île-de-France, Pontault-Combault

du 6 octobre au 23 décembre 2018



www.cpif.net

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Thierry Fontaine, le 4 octobre 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Thierry Fontaine, Collection - 1, 2017-2018. © Adagp, Paris, 2018, courtesy Les Filles du Calvaire, Paris.
2/  Thierry Fontaine, Le fabricant de rêves, 2008. © Adagp, Paris, 2018, courtesy Les filles du calvaire, Paris.
3/  Thierry Fontaine, Porter la terre, 1998. © Adagp, Paris, 2018, courtesy Les filles du calvaire, Paris.

 


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Interview de Thierry Fontaine,
par Anne-Frédérique Fer, à Pontault-Combault, le 4 octobre 2018, durée 19'39". © FranceFineArt.com.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Dominique Abensour et Nathalie Giraudeau



Cette exposition rassemble plus de trente pièces photographiques. Réalisées entre 1995 et 2018, elles marquent le parcours de l’artiste (né à La Réunion en 1969). L’exposition cherche à rendre sensible la dynamique créatrice d’une oeuvre dont la singularité se construit à travers une pluralité de ressources puisées dans des sphères hétérogènes, artistiques, culturelles, politiques et poétiques.

Au milieu des années 1990, Thierry Fontaine prend une décision déterminante : alors même qu’il est engagé dans une pratique de sculpteur, ses travaux prennent place dans l’espace photographique et n’existent désormais que sous la forme d’une image. Dès lors, l’artiste développe une oeuvre hybride et nomade où l’esthétique du divers est cultivée. D’une part il occupe le champ élargi de la sculpture, de l’objet à l’installation, de l’intervention à la performance, et d’autre part, il utilise les multiples ressorts du médium photographique, sa fixité, son réalisme et sa polysémie.

La photographie reste la seule partie visible du processus de création, les actions éphémères disparaissent d’elles-mêmes et les objets sont détruits. Sans exception, les prises de vues ont lieu en extérieur dans des sites choisis mais les cadrages centrés et serrés sur les sujets nous empêchent de les localiser. Chacune de ses images argentiques est le fruit d’une recherche détaillée et d’une mise en scène rigoureusement pensée dont les effets renvoient à de multiples références. Parfaitement lisibles à première vue, ces oeuvres demandent une attention particulière pour déchiffrer la pluralité du sens qu’elles véhiculent.

Le déplacement des sculptures de Thierry Fontaine dans la photographie ouvre un large espace d’échange entre ces deux médiums. Dans plusieurs de ses oeuvres, la photographie fixe et fige des corps en action aux prises avec de l’argile, un matériau des plus anciens. Certains ont des visages de terre ou de plâtre à peine modelés. Privés de sens et de parole, ils sont inachevés, telles les ébauches des figures de Prométhée, inventeur du statuaire et créateur de l’humanité. L’artiste est-il l’acteur ou l’opérateur de ces images ? L’ambiguïté demeure ; en revanche ces corps livrés au rituel de la création ne sont pas sans évoquer la construction complexe de l’identité réunionnaise.

En écho à ces sculptures vivantes statufiées, une série photographique de masques africains, Collection (2018), révèle l’ambivalence de ces figures sculptées. À première vue immobiles, ils incarnent pourtant un esprit ou un être. Dotés d’un pouvoir d’agir ils interviennent lors de cérémonies rituelles, sociales ou religieuses. Les prises de vues de l’artiste en attestent, ils ont été utilisés : ces masques ont récemment pleuré des larmes de cire.

La photographie ne se contente pas de documenter ou de reproduire les actes du sculpteur. Il s’agit plutôt de les traduire et de les interpréter. Cet exercice de traduction incite Thierry Fontaine à tester les limites des formes d’expression mobilisées. Ainsi, dans Zouave (1997), il cherche à représenter physiquement le détail d’une peinture reproduite dans un livre. En équilibre sur un vieux canon tourné vers l’océan, l’artiste fait corps avec l’image pour figurer la posture d’un lieutenant algérien de l’infanterie française peint par Van Gogh (1888). Il ne cherche pas à se mettre dans la peau d’un autre, il donne chair à une image exotique de l’Europe coloniale.

Des liens de réciprocité se tissent entre les oeuvres. Face à Esprits (2014), une femme à la peau noire nous regarde intensément. Dans une zone géographique impossible à identifier, elle semble avoir réalisé la multitude de squelettes en perles à taille humaine qui l’entoure. Curieusement, elle reprend la pose de La Pietá, une sculpture de Michel-Ange. L’intrusion de cette référence biblique du 15e siècle italien remet en jeu les écarts entre art et artisanat, entre ici et ailleurs, entre présent et passé. Sa puissance symbolique est-elle capable de réduire une distance culturelle apparemment infranchissable ?

Pour Thierry Fontaine, traduire, c’est agir. La diversité prolifère dans l’ensemble de son oeuvre et dans chacune de ses photographies. Il y cultive des registres antagonistes, conjugue des références inconciliables et jongle avec la polysémie. Bien qu’elles s’avèrent rétives à la logique du classement, on y découvre des emprunts aux genres traditionnels de la photographie. L’artiste y recourt, non sans en défier les principes.

Les autoportraits, dont il a été question plus haut, mettent en échec la fonction première du genre. Les figures enfermées dans des gangues d’argile ou de plâtre empêchent toute identification. Les natures mortes, elles, semblent respecter les conventions d’un genre lié à la vie et à la mort, pourtant l’artiste y compose des alliances insolites : un arbre vivant est colonisé par des coeurs d’animaux, des oursins ont trouvé refuge dans une paire de chaussures de ville. Qui plus est, elles mettent en scène une nature dénaturée, voire transfigurée comme ce parterre de fraises noires, ces bouteilles en plastique ou ces poissons qu’une opération alchimique a transmutés en or. Quant aux paysages, l’un d’eux, Une île de plus (2003), découpe une minuscule surface de l’océan cadrée par une main floue. Ailleurs des miroirs, supposés dupliquer la réalité, fragmentent et délocalisent des environnements devenus irréels.

Certaines images troublent les lois des genres. Ici, une série de nus, Études (2016), bascule dans la photographie documentaire d’une mission archéologique. Là, des images fidèles à la photographie ethnographique, témoignent de la richesse d’un artisanat vernaculaire insolite mais, plus intéressées par les objets (phallus en bois ou ballons de football en noix de coco) que par leurs auteurs, elles vacillent dans la photographie touristique. Plus loin, des prises de vue ont capturé de curieux phénomènes, comme ces feux alimentés par des ampoules électriques ou portés par une chaîne métallique.

Différences, divergences et dissonances cohabitent résolument dans toutes ces images. À travers une gamme extensive de dispositifs, Thierry Fontaine cherche à transmettre une expérience de la diversité du monde et de l’échange entre des registres éclectiques et parfois contradictoires. Ses photographies témoignent d’une pratique polyphonique, active dans le monde où nous vivons, à la fois pluriel et singulier.

D.A.
Critique d’art et commissaire d’exposition, Dominique Abensour enseigne à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne. Directrice du Quartier Centre d’art de Quimper de 1995 à 2008, commissaire de la Biennale de Bourges depuis 2010, elle a organisé de multiples expositions. En 2009, son essai sur L’art et son exposition a été publié par les Editions du MAC/VAL. http://aicafrance.org/portrait-de-dominique-abensour/