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“Patrick Neu” Échos
à l’abbaye de Maubuisson, Saint-Ouen l’Aumône (95)

du 7 octobre 2018 au 17 mars 2019



www.valdoise.fr/614-l-abbaye-de-maubuisson.htm

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Patrick Neu, le 5 octobre 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Patrick Neu, Camisole de force en ailes d’abeilles. © ADAGP (Paris) Patrick Neu. © Palais de Tokyo. Photo : André Morin. Courtesy de l’artiste et de la galerie Thaddaeus Ropac, Paris/Pantin/Salzbourg.
2/  Vue de l’exposition Patrick Neu, CEAAC, Strasbourg, 2007. © Photo : Rémi Villaggi. © ADAGP (Paris) Patrick Neu. Courtesy de l’artiste.
3/  Portrait de Patrick Neu, 2018. © Photo : Catherine Brossais - Conseil départemental du Val d’Oise.

 


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Interview de Patrick Neu,
par Anne-Frédérique Fer, à Saint-Ouen l’Aumône, le 5 octobre 2018, durée 16'44". © FranceFineArt.com.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Isabelle Gabach, responsable-adjointe du service culturel de l'abbaye de Maubuisson, en charge de la programmation artistique et de la communication



L’abbaye de Maubuisson poursuit son programme d’expositions monographiques en invitant l’artiste français Patrick Neu.

Patrick Neu (né en 1963) vit et travaille dans le département de la Moselle. Formé à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, il a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 1995 et de la Villa Kujoyama à Kyoto en 1999.

Dans sa belle campagne vallonnée des Vosges du Nord, patiemment, longuement, méticuleusement, Patrick Neu pense et conçoit ses oeuvres. Patrick Neu est un artiste qui se fait rare, expose peu, se tient loin des circuits et des tendances du marché de l’art.

Ses oeuvres font appel à des gestes d’une grande précision : confectionner une tunique à partir de milliers d’ailes d’abeilles ; reproduire une armure en cristal ; dessiner à la pointe sur de la suie déposée sur du verre ; tisser un voile en cheveux naturels ; des gestes méticuleux et fastidieux que l’artiste répète et qu’il accomplit souvent seul dans le secret de son atelier. L’extrême concentration et la minutie qu’impliquent ses oeuvres, caractérisent l’ensemble du travail de Patrick Neu. Il s’oriente vers une certaine difficulté et choisit des matériaux qui nécessitent maîtrise et dextérité.

Patrick Neu détourne des savoir-faire traditionnels et des matériaux pour un usage insolite. Depuis 1996, il utilise le noir de fumée pour reproduire des oeuvres de Jérôme Bosch, d’Holbein ou de Rubens. Il applique la suie à l’aide de bougies à l’intérieur de vitrines ou de verres à pied en cristal et dessine sur sa surface des scènes bibliques ou emblématiques de l’histoire de la peinture. Patrick Neu possède une culture qui dépasse largement le champ strict de l’histoire de l’art : bénitiers, chasubles, marionnettes d’ombres de Bali et d’Indonésie, armures de samouraï, services en cristal, etc. occupent son espace de vie et de travail. Tous ces éléments constituent la grammaire de cet artiste qu’il revisite dans ses oeuvres. Ces réminiscences délicates de l’histoire de l’art offrent une lecture contemporaine de notre culture artistique classique au gré de matériaux tels que la suie, la cire, le cristal ou encore des ailes d’abeilles décimées pour réaliser une camisole de force. L’artiste oppose la fragilité des matériaux à la force que représentent les objets en transgressant les codes. Il interroge l’impermanence et la fragilité de la vie.

Sa démarche artistique tend vers une forme de lenteur méditative qui lui permet d’inscrire son travail dans le temps et le respect du cycle des saisons. À l’écoute de la nature, son oeuvre se construit patiemment dans un temps dissolu. Ses oeuvres trouvent un véritable écho dans l’ancienne abbaye cistercienne de Maubuisson. Pour son exposition, l’artiste a pensé, en résonnance à ce lieu et à son histoire, de nouvelles pièces (voile de cheveux ; corpus de vitrines couvertes de dessins sur suie autour de la thématique des sept péchés capitaux ; sculpture de la salle du Chapitre en cire et miel confectionnée par des abeilles).

Pénétrée de modestie, dénuée de grandiloquence, y privilégiant la simplicité des matériaux, la répétition des gestes et la délicatesse des formes, l’oeuvre de Patrick Neu est le prolongement de sa vie. Et peut-être un exemple à méditer.



L’exposition :


Salle du parloir


Dans la salle du parloir, Patrick Neu présente deux pièces existantes : une armure en cristal et une camisole de force en ailes d’abeilles. Ces deux pièces vestimentaires évoquent le combat et la résistance en écho aux anciennes religieuses qui elles aussi renonçaient à l’habit civil. Armure et camisole sont censées protéger l’homme (des menaces extérieures et de lui-même) mais perdent ici leur fonction première du fait de la fragilité des matériaux transparents qui les constituent, du cristal pour l’une, des ailes d’abeilles pour l’autre.

La camisole de force a été réalisée à partir d’ailes d’abeilles mortes et récupérées auprès d’apiculteurs dont certaines des ruches avaient été décimées. Ces ailes ont été soigneusement détachées, une à une, par l’artiste puis collées les unes aux autres, à l’aide d’un vernis. Ces ailes transparentes offrent un jeu subtil de teintes irisées, de riches couleurs et de scintillements. La fragilité des matériaux utilisés détourne l’usage des objets créés et nous pousse à les voir autrement. La force n’est plus physique mais technique et poétique : une force symbolique. Tout le paradoxe de cette camisole de force réside dans son apparente fragilité et l’idée de résistance qu’elle sous-tend et cette dualité qui intéresse l’artiste. Cet instrument de contention, habituellement utilisé dans les hôpitaux psychiatriques, ne pourrait aucunement remplir ses fonctions s’il était porté. Les ailes d’abeilles qui le composent symbolisent la résistance de ces abeilles qui sont de véritables guerrières tant dans leur quotidien que dans leur lutte contre la disparition qui menace leur espèce. Le parallèle entre abeilles et religieuses nous apparaît dans leur organisation quotidienne et communautaire et dans leur sens du dévouement et du devoir.

Patrick Neu travaille depuis de nombreuses années en tant que responsable de création aux Cristalleries de Saint-Louis-lès-Bitche, situées depuis 1586 dans les Vosges du Nord. Cette ancienne maison détient un savoir-faire qui se transmet de génération en génération et qui incarne l’excellence française. Le cristal, sonore et lumineux, né d’une boule de feu et du souffle des hommes, est un matériau noble qui nécessite technicité, patience et abnégation tant son travail est long et complexe et son résultat soumis à des paramètres aléatoires. Patrick Neu travaille souvent avec ce matériau qu’il connaît bien. L’armure présentée dans la salle du parloir de l’abbaye a été réalisée aux Cristalleries de Saint-Louis avec l’aide de maîtres verriers, sous la direction de l’artiste. Si ce matériau fascine Patrick Neu c’est entre autres pour ses particularités : « c’est à la fois la pureté, la fragilité, mais aussi le danger, puisque c’est un matériau très coupant. J’aime cette contradiction ».1

Cette armure, équipement défensif de la toute fin du Moyen Âge, qu’on appelait également harnois, est ici reprise à échelle 1 par l’artiste. Patrick Neu joue sur cette dualité entre l’armure, symbole de l’imaginaire militaire, de l’esprit chevaleresque et la vulnérabilité apparente du matériau qui la constitue. L’armure est censée protéger alors même qu’elle est faite dans un matériau fragile et potentiellement dangereux pour celui qui la porte (tranchant du cristal et présence de plomb dans sa composition). Sans doute est-ce pour cela que l’artiste la présente telle un gisant dans une attitude figée et de long sommeil.


1 - In : Patrick Neu, Être attentif aux choses, conversation entre Patrick Neu et Jean de Loisy, catalogue d’exposition du Palais de Tokyo, les presses du réel, 2015, p. 52



Passage aux champs

Suspendu sous la voûte en arc brisé du passage aux champs, un voile de cheveux tissés long de 80 cm par 500 cm, semble flotter dans cet espace. Patrick Neu a pensé cette oeuvre spécifiquement pour l’abbaye de Maubuisson, en écho aux moniales qui après des mois de noviciat prononçaient leur voeu et « prenaient le voile ». Cîteaux réglementa l’habit des moniales en 1237. Sous le voile, les cheveux, symbole de séduction, étaient tondus au rasoir ou coupés ras aux ciseaux. En entrant dans les ordres, les moniales renonçaient à leurs corps et à leurs attributs féminins pour se couvrir d’un vêtement fonctionnel et commun à toutes.

L’emploi des cheveux par l’artiste, matériel fragile, évanescent et au combien difficile voire impossible à travailler sous la forme du tissage, est un hommage aux religieuses de cette ancienne abbaye qui tissaient et travaillaient quotidiennement à leur ouvrage. Comme elles, patiemment, l’artiste a tissé des dizaines et des dizaines de carrés de vrais cheveux de 20 cm de côté, assemblés par un subtil jeu de couture, formant un délicat voilage teinté de nuances. Le voile – habituellement couvrant – est ici quasi transparent par la finesse des cheveux. L’objet perd sa fonction et le geste de l’artiste sublime le matériau.

Ce voile tissé est fait de véritables cheveux qui proviennent pour la plupart de femmes, d’amies de l’artiste ou d’anonymes, vivant ici ou là (Inde, Chine, etc.). Ce mélange aléatoire de chevelures, ces chemins de vies entremêlés est un hommage silencieux rendu à ces lointaines inconnues en écho à ces femmes qui vécurent jadis à l’abbaye et qui s’engagèrent pour le sauvetage des âmes pénitentes. Ces mariages aléatoires rendent cette oeuvre émouvante et construisent une géographie de la mémoire et de l’imaginaire intime.


Salle des religieuses

Dans la salle des religieuses, Patrick Neu expose des meubles-vitrines où apparaissent sur les parois vitrées des évocations de scènes bibliques ou historiques tirées de tableaux de grands maîtres anciens, tels que Bosch ou Dürer. L’artiste passe au noir de fumée l’intérieur des vitrines sur lesquelles il vient, à l’aide de pinceaux très fins, de pointes ou encore de bouts de carton, enlever la matière et dessiner ses reproductions d’images. Le dessin est guidé par les qualités propres de la matière. Le moindre repentir est impossible. La petite échelle du dessin rend le résultat saisissant. De nouveau, Patrick Neu détourne l’utilité première de l’objet : ici, ce n’est plus le contenu de la vitrine que le visiteur observe mais ses parois graphiques et ses apparitions tracées dans la suie.

Cette série sur verre a été initiée par Patrick Neu en 1996. Les premiers essais se sont d’abord faits à l’intérieur de verres à pied. « En 2012, Patrick Neu déploie ce geste à l’intérieur de vitrines. De formes et de dimensions variables, celles-ci permettent à l’artiste de produire, sur le même principe, des dessins de plus grande ampleur. Chaque détail choisi et reproduit par l’artiste voit son potentiel narratif amplifié. La lumière, tout comme la position du visiteur, joue un rôle important pour saisir le dessin. Le regard est interpellé, faisant écho à une mémoire collective. »1

Les représentations qui ont été minutieusement dessinées sur la fine couche de suie qui recouvre l’intérieur de ces vitrines font référence aux sept péchés capitaux (luxure, envie, orgueil, etc.) et aux peintures majeures de l’histoire de l’art.

1 - In : Patrick Neu, catalogue d’exposition du Palais de Tokyo, les presses du réel, 2015, p. 91


Anciennes latrines

Patrick Neu est fasciné par le monde complexe et organisé des abeilles. À l’image de celles-ci et de leur reine, la vie des moniales s’organisait autour d’une abbesse qui prenait les décisions et faisait régner l’ordre.

Pour son exposition, Patrick Neu a expérimenté un nouveau procédé avec lequel il a réalisé une réplique d’une des salles de l’abbaye. Une modélisation 3D de la salle voûtée du Chapitre lui a permis de dupliquer l’architecture de cette salle en bois de tilleul à l’échelle 1/10. Au mois de juin dernier, deux essaims d’abeilles mellifères ont été déposés à l’intérieur de cette réplique par un apiculteur des Vosges du Nord, d’où est originaire Patrick Neu. Les abeilles et leur reine se sont saisies de cet espace comme elles le font habituellement au sein des rayons de la ruche. Cette structure s’est alors transformée avec l’activité des abeilles et s’est remplie d’alvéoles en cire, couvertes de propolis. Une fois vidée de leurs habitantes et des couvins, cette « ruche » hybride, tapissée de miel et de cire ocre, constituera l’oeuvre de Patrick Neu. Cette évocation de la salle du Chapitre remplie d’alvéoles en cire et de miel à l’odeur saisissante, douce et sucrée, encore souples et malléables, questionne la matérialité de cette représentation et sa pérennité. « Dans ce mécanisme de création, nécessitant une patience et une concentration constantes pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, il ne s’agit pas de rechercher la virtuosité, mais d’inscrire une idée dans un projet en acceptant les inconnues et les contraintes de la matière. »1

1 - In : « Patrick Neu », « Lors même que les pétales seraient flétris et tombés au sol, le parfum planerait là, dans la mémoire », texte de Katell Jaffrès, commissaire de l’exposition, catalogue d’exposition au Palais de Tokyo, les presses du réel, 2015, p. 24