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“Sugimoto” Versailles - Surface de Révolution
au Château de Versailles

du 16 octobre 2018 au 17 février 2019



www.chateauversailles.fr

www.chateauversailles-spectacles.fr

 

© Sylvain Silleran, présentation presse, le 12 octobre 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Hiroshi Sugimoto, Louis XIV, 2018. Tirage argentique / gelatin silver print,149 x 119.5 cm (58 3/4 x 47 inches). Courtesy de l'artiste / of the artist & Gallery Koyanagi (Tokyo) ; Marian Goodman Gallery (New York, London, Paris) ; Fraenkel Gallery (San Francisco). © Hiroshi Sugimoto.
2/  Hiroshi Sugimoto, Petit Théatre de la Reine, Versailles, 2018. 149 x 119.5 cm (58 3/4 x 47 inches). Courtesy de l'artiste / of the artist & Gallery Koyanagi (Tokyo) ; Marian Goodman Gallery (New York, London, Paris) ; Fraenkel Gallery (San Francisco). © Hiroshi Sugimoto.
3/  Hiroshi Sugimoto, Diana, Princess of Wales, 1999. Tirage argentique / gelatin silver print,149 x 119.5 cm (58 3/4 x 47 inches). Courtesy de l'artiste / of the artist & Gallery Koyanagi (Tokyo) ; Marian Goodman Gallery (New York, London, Paris) ; Fraenkel Gallery (San Francisco). © Hiroshi Sugimoto.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Dans la chapelle du Petit Trianon, deux grands portraits de Lady Di et d'Elisabeth II se font face dans une ambiance de mémorial funèbre. La princesse et sa belle-mère semblent à la fois réelles, saisies lors d'une bien officielle séance de pose, et irréelles, personnages raides d'un conte de fée cruel. Le profil de Louis XIV se découpe sur son fond noir avec une solennité toute royale de monarque prêt à orner les faces des pièces de monnaie. La photographie de Hiroshi Sugimoto a une noblesse qui appartient habituellement à la peinture, faisant de cette galerie de portraits une collection de toiles qui semble bien familière des lieux.

Le noir de fusain calciné qui remplit tout l'espace laisse la lumière sculpter les visages et les tissus, les fait s'élever au-dessus de la surface du papier, il transforme par opposition chaque ombre en faille, en gouffre stérile. Sous l'objectif, l'homme qui nous apparaissait vivant il y a juste un instant se révèle être une statue de cire. Les costumes d'apparat, les plis bien ordonnés, la brillance des soies ne peuvent dissimuler le teint froid et cadavérique du sujet. Le portrait n'est plus, il devient alors une nature morte. Le grand homme, le prince ou le roi nobles et fiers semblent absurdement décédés comme un poisson sur un étal.

Dans les appartements, Marie-Antoinette superbement immortalisée par Elisabeth Louise Vigée le Brun dialogue avec Norma Shearer, l'actrice qui l'incarna à l'écran dans le film éponyme de 1938. Voltaire et Benjamin Franklin représentant la révolution de l'esprit se voient rejoindre par d'autres révolutionnaires, Napoléon Bonaparte ou Fidel Castro. Mais chez Sugimoto la révolution ne doit pas tant être entendue dans son sens politique que dans sa signification mathématique. Dans le Belvédère, il propose au domaine de Versailles une révolution plus contemporaine. La colonne d'argent qui s'élève vers les cieux peuplés d'angelots de la coupole se marie avec les ors, les marbres, respecte parfaitement la symétrie, les reflétant de sa surface polie de miroir. La formule algébrique qui en détermine le rythme abstractise l'architecture, gommant la charge historique et les symboles pour en faire un décor d'intrigue et de spectacle.

Sur le Bassin du Plat-Fond une maison de thé se reflète dans les eaux paisibles. Le cube de verre au bout d'un ponton de bois brut est construit suivant les proportions de l'architecture traditionnelle japonaise. La transparence qui rapproche l'édifice de l'invisible lorsque l'on est face à son côté ainsi que la simplicité de sa forme l'intègrent dans le parc comme une pause hors du temps. L'art du thé rencontre ainsi l'art du jardin, le silence rejoint le silence. La maison de thé n'a pas l'arrogance d'une intervention, bien au contraire, elle est un espace où l'on s'assoit face à face, égal l'un à l'autre pour échanger et apprendre. Le verre sert à laisser voir l'intérieur depuis le dehors, à l'inverse des pavillons qui l'utilisent pour laisser entrer la lumière et les jardins.

Sugimoto renoue ici avec une fonction essentielle de l'histoire des peuples et des cultures, celle d'ambassadeur. Le rituel, sa précision absolue, l'allègement de toute superficialité sont matérialisés dans cette épure architecturale. Si il ne reste que l'intention et le geste, alors les portraits si nobles deviennent des vanités, les statues de cire des avertissements.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Alfred Pacquement, commissaire pour les expositions d'art contemporain à Versailles
Jean de Loisy, commissaire pour l'exposition Sugimoto Versailles et président du Palais de Tokyo




Ma carrière artistique a démarré avec la photographie, un travail en deux dimensions. Après des années passées à exposer mes photographies dans des galeries aux espaces pensés par des architectes stars, et difficiles à utiliser, j’ai décidé de devenir architecte pour créer des espaces tridimensionnels qui servent les artistes plutôt que l’ego des architectes. Mon intérêt s’est ensuite tourné vers le spectacle vivant, ce qui ajoute à l’espace l’élément temps, la quatrième dimension, et j’ai réalisé des productions de théâtre. Loin d’aller vers l’harmonie, comme on pourrait raisonnablement s’y attendre, ma carrière artistique semble s’orienter vers le désordre.

Pour cette exposition au Château de Versailles, j’ai décidé de réunir toutes mes activités avec une certaine cohérence. Je présenterai de l’art visuel, de l’architecture et des spectacles dans différents espaces du Domaine de Trianon : le Bassin du Plat Fond, le Petit Trianon, le Belvédère, le Théâtre de la Reine, le Pavillon Français et le Salon des Jardins.

Hiroshi Sugimoto





"RÉVOLUTIONS" - Extraits du texte des commissaires de l'exposition Sugimoto Versailles du catalogue à paraître chez Flammarion.

Hiroshi Sugimoto s’est installé à Trianon comme un astronome organise son observatoire. Il en scrute les habitants ou les visiteurs comme autant de planètes en révolution autour d’un même aimant : Versailles. […] Pour l’artiste, photographe et philosophe, son miroir réfléchit quelques personnages, des hôtes de passage, pour en dire plus sur les facettes de notre propre humanité et sur l’importance de l’histoire, ses vérités, ses leurres, ses vanités…

Trianon est une partie plus privée du domaine de Versailles. La discrétion recherchée là par les rois et leurs proches en fait un lieu de délassement, certes, mais aussi, malgré tout, un théâtre. De Louis XIV qui y installa la Montespan puis Madame de Maintenon à Louis XV et la Reine Marie Leczinska, puis de Madame de Pompadour à Madame du Barry jusqu’à Marie-Antoinette qui en accomplit l’esthétique, c’est pour mettre en scène cette apparente intimité que furent bâtis, par Le Vau puis Gabriel puis Mique avec souvent la complicité d’Hubert Robert, ces chefs-d’oeuvre de l’architecture et du jardin. Ils furent aussi des laboratoires de l’évolution du goût, du classicisme au rococo, tout en s’ouvrant aux influences nouvelles de la Chine, de l’Orient, du jardin anglais et de l’architecture champêtre.

Alors que les conservateurs, les architectes du patrimoine restaurent les murs et les formes de Versailles, Hiroshi Sugimoto fait défiler, restaure donc lui aussi à sa façon, les ombres qui ont hantés ces lieux et qui ont produit ou hérité de ce grand basculement à l’effet universel qu’a été la Révolution Française. Pour invoquer ces fantômes, il interpelle une technique ancienne dont il ne néglige ni le caractère mortuaire ni le pouvoir magique puisqu’il en a patiemment exploré les sortilèges depuis sa visite au musée Tussaud en 1994. Il photographie depuis, systématiquement ces figures de cire de tyrans, souverains, artistes, savants, puissants d’époques diverses. […]

[…] La présence dans les collections du château d’un autre chef-d’oeuvre historique, photographié lui aussi pour cette exposition par Sugimoto, justifierait à lui seul la pertinence de cet intérêt pour les effigies céroplastiques. Il s’agit du portrait de cire de Louis XIV conservé au château et réalisé par moulage direct en 1705 par Antoine Benoist qui, officiellement nommé « peintre du Roi et son unique sculpteur en cire coloriée » réunit à partir de 1668, comme le fait aujourd’hui Sugimoto avec ses photographies, son Cercle Royal, ensemble de mannequins en cire grandeur nature représentant le Roi, la Reine, le Dauphin, le Frère du Roi, sa femme, et d’autres personnages de la cour. […]

Au-delà de la présence de ces illustres à Versailles, les oeuvres de Sugimoto questionnent à la fois notre relation à la photographie et ainsi, ce que nous sommes. Ce sont des images sans jugement. […]

Un autre aspect surgit de cette succession d’opérations techniques entre le vivant moulé par le céroplasticien et cette première empreinte de laquelle le praticien extraira un masque de cire pour en faire un mannequin réaliste et la photo prise de celui-ci transposée à son tour d’un négatif, une empreinte de lumière, a une épreuve positive. Cet emboitement, semble être un commentaire entre l’identité, et le type. […]

[…] Ayant depuis 1976 commencé une série de photos sur les théâtres il était prévisible que Sugimoto retienne ce lieu si significatif pour évoquer la vie de la Reine. C’est encore une fois en une très longue pose photographique qu’il capture sur sa pellicule, à l’endroit même où elle vécut, les milliers d’images qui composent le film et restituent les moments de la vie de Marie-Antoinette telle que Sophia Coppola l’a décrite. La photographie de ce théâtre réalisée par Sugimoto pendant la projection du film est à la fois une invocation et un exorcisme. Les images successives sont dissoutes par la durée sereine de la pose. L’existentiel auquel se consacre tout cinéma est évanoui au profit de l’essentiel comme si la photo avait conjuré les moments, les intrigues, les passions. […]

[…] Ces passants considérables*, revenus à Versailles par l’entremise de l’artiste ont leur photos installés dans deux lieux du domaine de la Reine. Celles-ci, au Pavillon français et dans le Petit Trianon, girent autour d’un pivot symbolique, une sculpture que l’artiste a adapté pour qu’elle soit à la mesure exacte de la dernière fabrique réalisée pour Marie-Antoinette à Versailles, le Belvédère. […]

[…] Ce n’est pas sans humour bien sûr que l’artiste installe là cet intitulé d’une formule mathématique classique « surface of revolution » ou plus précisément dans le cas de l’oeuvre exposée au pavillon du Belvédère « Surface de révolution à courbure constante négative de type hyperbolique (hypersphère) ». Etant l’expression verbale parfaite pour signifier un bouleversement historique dont le domaine de Trianon est l’un des épicentres, Sugimoto en fait malicieusement le titre de son exposition, mais joue aussi de ses nombreuses autres significations : notons en premier la révolution solaire dont les quatre frontons consacrés aux saisons rythment la course. La révolution mathématique qui au début du XIXe siècle, avec la représentation des espaces courbes et l’invention d’une géométrie non-euclidienne bouleverse deux mille trois cents ans de certitudes. […]

[...] Si les oeuvres de Sugimoto installées dans le domaine du Petit Trianon se trouvent sur le théâtre même des évènements qu’il décrit, là, dans la perfection du crayon de Jules Hardouin-Mansart guidé par le Roi Soleil, dans l’éclat somptueux du Trianon de marbre, c’est à une révolution contradictoire au site qui le reçoit que Sugimoto installe sa maison de thé.

Au-delà de sa pratique photographique, Sugimoto ne cesse en effet de diversifier sa démarche. Il aborde différents champs de réflexion et de création dans un projet multiculturel confrontant les temps historiques. […]

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la pratique architecturale de Sugimoto, soit qu’il en ait lui-même pris l’initiative, soit qu’il ait répondu à diverses sollicitations. Une pratique associant un projet moderniste aux traditions japonaises dans les matériaux de construction, la conception de l’espace, la relation à la nature, etc. […]

À Versailles Sugimoto réinstalle la Maison de thé Mondrian précédemment montrée à Venise dans le cadre de la Biennale d’architecture. Ce cube de verre situé au centre du bassin du Plat Fond dans la perspective du Grand Trianon s’inspire des préceptes du maitre de thé Sen no Rikyu, figure fondatrice de cet art traditionnel. […]

[…] Mais Sugimoto ajoute des innovations dont la plus spectaculaire est l’entière transparence du volume, lui-même parfaitement géométrique, ayant pour conséquence que le public peut voir de l’extérieur le déroulement de la cérémonie. […]

[…] Ici, comme pour ses autres interventions, Sugimoto a su exploiter les édifices et les sites offerts par le domaine de Trianon, en une relecture qui les transforme.

En une promenade dans le domaine de Marie Antoinette, le tour de force de l’artiste est de parvenir à conjuguer une narration historique sur la Révolution et ses conséquences, une analyse technique des mediums, du portrait en cire à la photographie ou au cinéma, et une analyse sur les mutations esthétiques radicales de l’art. […]

Nous ne pouvions imaginer au début de la réflexion sur cette exposition à quel point des hasards objectifs viendraient ainsi confirmer l’évidence de la présence de l’oeuvre d’Hiroshi Sugimoto à Versailles. […]

[…] Aucun artifice dans ces connivences puisque tous ces sujets sont abordés par Sugimoto depuis près de trente ans. Mais à Versailles, ces oeuvres sont rassemblées dans l’endroit même qui leur manquait pour qu’elles s’enrichissent d’une évidence supplémentaire. Elles sont littéralement développées par ce nouveau contexte comme on le dirait des 36 poses d’une pellicule argentique. Et apparaissent enfin les épreuves que l’on devinait dans le laboratoire à la lumière rouge de la lampe, soudain lisibles, cohérentes, liées les unes aux autres par ce lieu qui en accomplit les significations.

Jean de Loisy, commissaire pour l'exposition Sugimoto Versailles et président du Palais de Tokyo & Alfred Pacquement, commissaire pour les expositions d'art contemporain à Versailles