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“Le cubisme” article 2544
au Centre Pompidou, Paris

du 17 octobre 2018 au 25 février 2019



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 16 octobre 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Juan Gris, Le Petit Déjeuner, octobre 1915. Huile et fusain sur toile, 92 x 73 cm. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-GP.
2/  Paul Cézanne, La Table de cuisine (Nature morte au panier), vers 1888-1890. Huile sur toile, 65 x 81,5 cm. Musée d’Orsay, Paris. © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay)/Hervé Lewandowski.
3/  Pablo Picasso, Pains et compotier aux fruits sur une table, 1908-1909. Huile sur toile, 163,7 x 132,1 cm. Kunstmuseum Basel, Bâle. © Kunstmuseum Basel, photo Martin P. Bühler. © Succession Picasso 2018.

 


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Interview de Ariane Coulondre,
conservatrice, collections modernes, musée national d'art moderne et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 18 octobre 2018, durée 29'19". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Brigitte Leal, Directrice adjointe, musée national d'art moderne, Paris
Christian Briend, Chef du service des collections modernes, musée national d'art moderne, Paris
Ariane Coulondre, Conservatrice, collections modernes, musée national d'art moderne, Paris




Le Centre Pompidou propose une traversée inédite et un panorama complet de l’un des mouvements fondateurs de l’histoire de l’art moderne : le cubisme (1907-1917). Première exposition consacrée au cubisme en France depuis 1953, le projet trouve son originalité dans la volonté de renouveler et d’élargir à d’autres artistes la vision traditionnellement concentrée sur ses deux inventeurs, Georges Braque et Pablo Picasso. Ces pionniers, bientôt suivis par Fernand Léger et Juan Gris, réservaient leurs créations expérimentales et novatrices à la très confidentielle galerie d’un jeune marchand alors inconnu, Daniel-Henry Kahnweiler, quand des artistes tels Albert Gleizes, Jean Metzinger, Francis Picabia, Marcel Duchamp, Robert et Sonia Delaunay assuraient à l’époque la diffusion du mouvement auprès de la critique et du public en participant aux Salons parisiens. L’exposition met ainsi en valeur la richesse, l’inventivité et le foisonnement de ce mouvement qui ne se limite pas uniquement à la géométrisation des formes et au rejet de la représentation classique mais dont les recherches radicales et l’énergie créatrice de ses membres sont aux sources de l’art moderne.

Riche de 300 oeuvres et de documents significatifs du rayonnement du cubisme, l'exposition est articulée chronologiquement en quatorze chapitres. S'en détachent des chefs-d’oeuvre, comme le Portrait de Gertrude Stein (1906) ou ceux d'Ambroise Vollard (1909) et Daniel-Henry Kahnweiler (1910) par Picasso ainsi que des ensembles de peintures et de sculptures jamais réunies. Le parcours de l'exposition vise à mettre en valeur l’évolution à rebondissements du cubisme en remontant aux sources primitivistes et à la fascination des cubistes pour Gauguin et Cézanne. Il reflète la progression formelle du mouvement, d’une première étape cézannienne - illustrée par la présence de l’exceptionnelle nature morte de Picasso Pains et compotier sur une table (1909) - vers une transcription analytique hermétique (1910-1912) puis transformée en version plus synthétique (1913-1917), qui marque ainsi le retour de la représentation et de la couleur.

Grâce à des prêts prestigieux du Kunstmuseum de Bâle, du Musée national Picasso et du Museum of Modern Art de New York, entre autres, la part la plus révolutionnaire du cubisme - l’invention des papiers collés, des collages et des constructions de Braque, Picasso, Gris et Henri Laurens -, est superbement représentée par des grandes icônes de l’art du XXème siècle, telles la Nature morte à la chaise cannée de Picasso (1912) ou sa Guitare en tôle et fils de fer (1914). D’autres aspects illustrent l’importance et le prestige de la constellation cubiste : ses liens avec le milieu littéraire sont retracés dans une salle dédiée aux critiques et aux poètes, incarnés par les portraits les plus marquants de Max Jacob ou d’Apollinaire réalisés par Picasso, le Douanier Rousseau et Marie Laurencin, les éditions Kahnweiler de livres cubistes ou la collaboration entre les Delaunay et Blaise Cendrars autour de La Prose du Transsibérien en 1913.

La tragédie de la Grande Guerre (1914-1918) qui mobilise ou exile les artistes et leurs soutiens est retracée par des oeuvres des artistes présents au front (Raymond Duchamp–Villon, Fernand Léger) ou qui sont restés à l’arrière, parce qu’ils étaient étrangers (Pablo Picasso, Cartes à jouer, verres, bouteille de rhum, « Vive la France »,1914-1915). La fin du parcours de l'exposition présente à la fois la renaissance des rescapés comme Georges Braque (La Musicienne, 1917-1918), les derniers feux du cubisme avec des oeuvres remarquables de Juan Gris et Marc Chagall et revient sur l’impact exercé par le cubisme sur ses contemporains (Henri Matisse), ses héritiers abstraits (Piet Mondrian, Kasimir Malevitch) ou contestataires (Marcel Duchamp), tous tributaires de la révolution cubiste.

Grâce à un parcours qui éclaire pour le grand public les concepts clés, les outils et les procédures qui ont assuré l’unité du cubisme, l'exposition met en lumière le caractère expérimental et collectif de ce mouvement dont l’esthétique révolutionnaire est à la fois la matrice et le langage même de la modernité.






L’exposition :

Introduction

L’exposition offre un panorama du cubisme à Paris, sa ville de naissance, entre 1907 et 1917. Au commencement étaient deux jeunes artistes, Georges Braque et Pablo Picasso qui, nourris d’influences diverses – Gauguin, Cézanne, les arts primitifs… –, font table rase des canons de la représentation traditionnelle. En procédant par géométrisation et abstraction, ils inventent ensemble un nouveau langage visuel et conceptuel. La perspective est évincée par une grille linéaire transparente et décolorée où volumes et motifs sont aplatis en plans-facettes, et transposés en signes allusifs. Avec des matériaux pauvres et ordinaires, des techniques de bricolage sont inventées des formes plastiques inédites : des collages, des papiers collés, des constructions et des assemblages. D’abord confidentielles, ces expériences radicales s’élargissent à d’autres artistes comme Fernand Léger, Juan Gris et Henri Laurens. Le phénomène cubiste se développe alors en échappant à ses créateurs et devient un mouvement. Dès 1912, Apollinaire parle d’un « cubisme écartelé », en options différentes. En constante évolution, le cubisme se convertit à la couleur, au mouvement, à l’orphisme, fait retour au sujet. Il infiltre la poésie et la littérature, se propage dans les salons parisiens où il fait polémique et s’internationalise. Foudroyée par la Grande Guerre, la révolution cubiste s’éteint après 1917 mais sa portée sur la naissance des abstractions dans les années 1910 et sur l’ensemble de l’art du 20e siècle est immense.

Section 1 / Les sources du cubisme
Au tournant du 20e siècle, le musée imaginaire des artistes s’ouvre à des formes artistiques ignorées ou méprisées, en raison de leurs origines extra-européennes ou populaires. Georges Braque, Pablo Picasso et André Derain trouvent dans les arts primitifs, archaïques ou naïfs, des contre-modèles aux formes classiques qu’ils considèrent épuisées. Parmi leurs prédécesseurs, seuls trouvent grâce à leurs yeux les artistes qui ont rompu avec les conventions académiques. Paul Gauguin, artiste auquel le Salon d’automne de 1906 consacre une rétrospective, incarne la recherche « du sauvage, du primitif », de la Bretagne aux îles Marquises. L’engouement de la jeune génération pour les oeuvres d’Afrique ou du Pacifique s’inscrit également dans le contexte colonial qui voit l’essor des musées d’ethnographie. En 1906, Derain découvre les collections du British Museum et visite l’année suivante avec Picasso le Musée d’ethnographie du Trocadéro. Dans le capharnaüm de leurs ateliers, masques et sculptures africains voisinent avec des objets de quatre sous et des lithographies des Grandes Baigneuses de Paul Cézanne, que Picasso considère comme « notre père à nous tous ».

Section 2 / Primitivisme
Pour Pablo Picasso, la découverte au Louvre en 1906 de sculptures ibériques de l’époque préromaine, puis l’été passé à Gósol dans un village de haute-Catalogne, marquent un tournant. Reprenant à son retour le Portrait de Gertrude Stein, le peintre transforme le visage de son amie américaine en masque inexpressif. Son saisissant Autoportrait pousse plus loin la sauvagerie de la représentation. Entre l’automne 1906 et l’été 1907, Picasso s’attelle au vaste chantier des Demoiselles d’Avignon, oeuvre capitale du 20e siècle parfois considérée comme l’origine du cubisme. Les nombreuses études préalables témoignent du passage du narratif vers l’iconique, menant au rejet radical de la figuration et de l’unité stylistique. L’espace se fait discontinu, les ombres deviennent de violentes scarifications obliques. En 1908, Georges Braque répond au choc de la découverte de ce « tableau d’exorcisme » par son Grand nu, inaugurant un fertile dialogue artistique entre les peintres. Dans le champ de la sculpture, un même goût pour l’archaïsme s’affirme chez Picasso et Derain, à travers la taille directe, le respect du bloc (bois, pierre) ou le choix de sujets antiquisants (statue-cube, cariatide).

Section 3 / le rapport à Cézanne
La célèbre leçon de géométrie cézannienne (« traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône ») a marqué de son empreinte la peinture cubiste. Elle l’a mené sur la voie d’un réalisme de conception en rupture avec la vision directe et la fiction narrative du passé. Qu’ils soient figures, natures mortes ou paysages, les motifs traités par Cézanne sont conceptualisés et unifiés par une intelligence abstraite des formes humanisée par sa « petite sensation ». Peints en 1908, les vues de l’Estaque de Braque et les paysages de La Rue-des-Bois de Picasso, aux couleurs réduites, aux compositions solidifiées en plans, sont considérés comme les premières peintures cubistes. Les toiles de Braque, présentées en novembre 1908 dans la petite galerie inaugurée par Daniel-Henry Kahnweiler, seront qualifiées négativement de « petits cubes » qui lanceront le mot « cubisme ». L’année suivante, une nouvelle série de paysages et de natures mortes de Braque et de Picasso confirme le rapport formel à Cézanne en exploitant sa technique du passage, qui brise la linéarité des motifs éclatés en facettes fondues dans l’espace.

Section 4 / L’éclatement de la forme homogène
En 1909, Picasso crée à Horta de Ebro, en Catalogne, un ensemble de peintures et une sculpture (Tête de femme) qui prennent pour modèle sa compagne Fernande Olivier. En raison de son volume accidenté en surfaces bosselées alternativement concaves et convexes, la tête sculptée, qui entérine l’éclatement de la forme homogène, est considérée comme la première sculpture cubiste. Entre 1909 et 1910, Picasso et Braque accélèrent le processus de liquidation des conventions optiques. La perspective et le volume illusionnistes disparaissent au profit d’une peinture plane et frontale, structurée par une trame orthogonale. La forme est suggérée par l’imbrication de plans-facettes et de lignes structurelles. Les couleurs sont réduites à des camaïeux de gris bruns qui renforcent l’hermétisme des représentations (Picasso, Le Guitariste, 1910). Comment dépasser ce stade ultime de réduction formelle sans glisser vers l’abstraction qu’ils récusaient ? En recourant, comme le fait Braque avec Broc et Violon, au stratagème du trompe-l’oeil. Au sommet de la composition, est peint un clou avec son ombre portée, qui introduit un indice réaliste dans la grille analytique du tableau et préfigure l’apparition des mots imprimés qui font retour au sujet et au récit.

Section 5 / La lettre et le signe
L’été 1911 passé dans le village catalan de Céret consacre une période d’intense expérimentation et d’étroite complicité entre Braque et Picasso. La quête d’expression d’un espace « tactile » les conduit à fragmenter le visible en facettes cristallines, qui tend à dissoudre le sujet. Pour pallier cette abstraction grandissante, les peintres mettent en place un système de signes diffus, qui renvoient à la réalité sous forme cryptée : un cercle associé à des lignes horizontales désigne une guitare ; le violon est réduit à sa crosse ou à ses ouïes. Aux symboles fragmentaires s’ajoutent des caractères d’imprimerie, invariants graphiques offrant un repère visuel stable. Dans Le Portugais, Braque introduit des lettres au pochoir pour reconstituer une scène de café. Les toiles se muent en rébus visuels et jeux d’allusions, que le spectateur se doit de compléter mentalement. À l’été 1912, Braque, nourri de sa formation de peintre-décorateur, introduit des effets de matière (sable, sciure) pour apporter relief et matité à ses compositions. Picasso redéfinit avec humour le genre du portrait, en coiffant les cheveux et les moustaches du Poète et de l’Aficionado avec un peigne à faux bois.

Section 6 / Les « Salons cubistes » (1911-1912)
Le cubisme est porté à la connaissance du public parisien par le biais des Salons, grands-messes artistiques auxquelles ne participent ni Braque, ni Picasso. Partageant des convictions esthétiques communes, nourries par l’influence de Cézanne, Robert Delaunay, Albert Gleizes, Fernand Léger, Henri Le Fauconnier et Jean Metzinger obtiennent d’exposer groupés au Salon des indépendants de 1911. Cette première manifestation collective connaît un succès de scandale, relayé par une presse majoritairement hostile. Leurs oeuvres se distinguent par la place du sujet, lié à la tradition de la peinture de Salons, et par des formats souvent imposants, tels ceux qu’adoptent Delaunay et Léger au Salon des Indépendants de 1912. Au Salon d’automne suivant, le peintre et décorateur André Mare présente derrière une façade à pans coupés conçue par le sculpteur Raymond Duchamp-Villon un important ensemble décoratif passé à la postérité sous le nom de « Maison cubiste ». Au même moment, le Salon de la Section d’or, qui réunit la plupart des cubistes, voit le triomphe du mouvement en même temps que son « écartèlement », comme le note alors Guillaume Apollinaire, fervent défenseur de la jeune peinture.

Section 7 / Le collage et l’assemblage
L’année 1912 est celle des inventions les plus radicales de Braque et de Picasso. La Nature morte à la chaise cannée de Picasso est le premier acte de désacralisation de la peinture. Le vulgaire morceau de toile cirée qui remplace la toile traditionnelle et la grosse corde qui fait office de cadre tirent le tableau vers l’objet.Constitués de bandes de papiers peints du commerce ou de coupures de journaux mis en rapport avec des compositions transparentes dessinées au trait, les papiers collés mis au point par Braque représentent les formes en raccourcis et réintroduisent la couleur. Les premières constructions de Picasso sont des guitares en papier ou en carton découpées, collées et pliées, punaisées au mur et accrochées par des ficelles. Ce sont aussi des objets inclassables, entre dessin et sculpture. Leurs assemblages par plans superposés et creux défient les conventions de la sculpture traditionnelle, fondées sur la masse et des matériaux nobles. Ils annoncent sa grande Guitare de 1914 taillée dans des plaques de tôle découpées au chalumeau. Sa caisse ouverte et restructurée en caissons vides reliés par des cordes métalliques instaure un type de sculpture inédit qui sera renouvelé en 1915 par les constructions colorées d’Henri Laurens.

Section 8 / Matière et couleur
Le cubisme a souvent été réduit à tort à un art de la monochromie. La couleur devient pourtant après 1912 un enjeu central pour de nombreux artistes. Robert et Sonia Delaunay ou encore Fernand Léger s’engagent dans une « bataille de la couleur » célébrant la vitalité de la ville moderne. Guillaume Apollinaire désigne sous le terme d’« orphisme » cette « peinture pure », qui exacerbe les contrastes colorés jusqu’à abandonner toute référence figurative. à partir des ressources formelles du collage, Juan Gris développe un cubisme personnel dans lequel la palette d’aplats profonds ou acides vient bousculer la structure géométrique. Parallèlement, la peinture de Braque et Picasso prise au jeu du collage s’éloigne des « toiles d’araignée » des années précédentes. L’ajout d’éléments rapportés ou imités, vecteurs de reliefs et de matières (granuleux, veinés, pointillistes), mène à des compositions à la fois lisibles et hétérogènes. Dès 1914, la fantaisie de Picasso s’exprime dans l’usage d’une palette audacieuse. Une même surenchère se déploie dans ses constructions, assemblages hétéroclites de matériaux pauvres, et dans les différentes versions de son Verre d’absinthe en bronze peint.

Section 9 / Sculpture
En dehors des collages et des assemblages, l’existence d’une « sculpture cubiste » a été contestée par certains artistes, pourtant réunis sous ce qualificatif par la critique. Inspirée par les arts extra-européens et les formes archaïques (la sculpture africaine, khmère, celte…), la jeune génération de sculpteurs privilégie la taille directe à l’expressivité du modelage. La recherche de simplification et de géométrisation des volumes rapproche les innovations de la sculpture de la syntaxe cubiste. Dans des oeuvres aussi variées que celles de Constantin Brancusi, d’Alexandre Archipenko ou de Raymond Duchamp-Villon, s’affirme une stylisation de plus en plus abstraite de la figure humaine. L’exploration du motif classique de la tête, traité sous la forme d’un fragment ovoïde (Brancusi), d’un bloc cubique (Amedeo Modigliani) ou de volumes géométriques (Joseph Csaky), témoigne de cette décantation du visible. La puissante monumentalité du visage anonyme sculpté par Jacques Lipchitz évoque l’élégance de l’architecture gothique qui fascine l’artiste, en quête d’« un art aussi pur que du cristal ».

Section 10 / Poètes et critiques
Sur la porte de son atelier au Bateau-Lavoir, Pablo Picasso avait écrit : « Au rendez-vous des poètes ». Les amitiés entre les jeunes artistes et hommes de lettres favorisent de fructueuses rencontres plastiques et littéraires, dans un même esprit d’émancipation. Les poètes, tels André Salmon ou Pierre Reverdy, apportent également un nouveau souffle à la critique d’art. Dans le journal L’Intransigeant et la revue Les Soirées de Paris, qu’il contribue à fonder en 1912, Guillaume Apollinaire publie chroniques et textes théoriques majeurs, qui formeront les chapitres de la première synthèse critique, Les Peintres cubistes. Les alliances entre poètes et artistes transforment aussi l’édition de livres illustrés. Ayant fondé sa propre maison d’édition, Daniel-Henry Kahnweiler fait figure de précurseur, en initiant des collaborations entre Apollinaire et Derain ou Picasso et Max Jacob. En mêlant les vers de Blaise Cendrars aux couleurs de Sonia Delaunay, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France bouleverse les codes de l'édition d'art. Les collaborations ultérieures du poète avec Fernand Léger témoignent d’une prodigieuse inventivité tant du point de vue poétique que graphique.

Section 11 / Les « Salons cubistes » (1913-1914)
Dans les Salons de 1913 et 1914, les commentateurs s’accordent sur la multiplication des oeuvres d’inspiration cubiste et sur la sensible internationalisation du mouvement. Le Salon des Indépendants de 1913 apporte son lot de peintures aux sujets littéraires, tel L’Oiseau bleu de Jean Metzinger, ou modernes, comme les représentations sportives d'Albert Gleizes et de Robert Delaunay. Piet Mondrian y expose un Paysage avec arbres, remarqué par Apollinaire. À l’automne, avec son monumental Udnie, Francis Picabia engage le cubisme dans la voie de l'abstraction. Aux Indépendants de 1914, l’influence du futurisme italien transparait dans L’Atelier de mécanique de Jacques Villon, et plus encore, chez Félix Del Marle qui opère une synthèse d’éléments cubistes et futuristes. Parmi les nombreux artistes étrangers à exposer dans ce Salon, les Russes sont très présents (Alexandre Archipenko, Kasimir Malévitch…). Les Prismes électriques de Sonia Delaunay manifestent de façon éclatante la présence de l’orphisme, dont Apollinaire s’est fait le promoteur. Destinés à un film d’animation abstrait, les Rythmes colorés de Léopold Survage achèvent de placer ce Salon sous le signe du mouvement et de la couleur.

Section 12 / La Guere
Le début de la Première Guerre mondiale, dont Le Cheval majeur de Raymond Duchamp-Villon constitue une saisissante prémonition, marque le coup d’arrêt des Salons et provoque la dispersion des artistes parisiens. Mobilisés, Georges Braque, Fernand Léger, Albert Gleizes, Jean Metzinger, Jacques Villon font bientôt l’expérience traumatisante du Front. Certains, comme Gleizes, Léger ou Duchamp- Villon recourent au langage cubiste pour décrire la réalité de la guerre. Dans les carnets qu’il tient durant tout le conflit, André Mare engage le cubisme dans une voie plus décorative. Parallèlement, à l’arrière, les artistes non mobilisables car ressortissants de pays neutres, tels Juan Gris, Jacques Lipchitz ou Pablo Picasso, continuent à oeuvrer dans le secret de leurs ateliers. Grièvement blessé en mai 1915, Braque ne revient à la peinture qu’en 1917, poursuivant l’exploration d’un « cubisme synthétique ». Pour Picasso, la préparation du ballet Parade, créé au théâtre du Châtelet en mai 1917, constitue un tournant. Si les décors et certains costumes restent cubistes, le rideau de scène signale le retour du peintre espagnol à une nouvelle figuration, sonnant le glas du « cubisme essentiel ».

Section 13 / Postérité du cubisme
En 1918, Blaise Cendrars proclame que, ralenti par la guerre et menacé par le courant du rappel à l’ordre, « le cube s’effrite ». En réalité le cubisme, porté et transformé par d’autres artistes que les pionniers, demeure bien vivant. Sa leçon de simplification et de géométrisation, affirmée par la grille linéaire et la frontalité, s’impose comme le langage fondateur de la modernité. Il nourrit à distance l’évolution de Matisse, contemporain depuis 1907 de l’histoire cubiste et en 1914, proche de Juan Gris. Porte-fenêtre à Collioure centrée sur un écran noir opaque encadré de plans colorés et Tête blanche et rose qui assume la formule des papiers collés, témoignent de la portée du cubisme sur sa peinture. Si les cubistes ont récusé l’abstraction, la conjonction de la planéité, de la perte de la couleur et du sujet ouvre la voie à l’art abstrait. Mondrian est parti de l’espace cloisonné pour tendre vers l’absolu de l’angle droit néoplastique. Malévitch a tiré du système orthogonal sa grammaire de plans suprématistes en croix, cercles et carrés. Si la pratique de l’assemblage et l’apparition de l’objet ont déstabilisé la sculpture, Marcel Duchamp en radicalise le sens en s’attaquant par le biais du ready-made (l’objet tout fait) au fétichisme artistique. Sa Roue de bicyclette est ironiquement posée sur un piédestal comme une sculpture de musée. Fresh Widow correspond à son « idée de faire quelque chose qu’on ne puisse pas appeler un tableau ».