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“Gina Proenza” Passe passe
au Centre culturel Suisse, Paris

du 27 octobre au 9 décembre 2018



www.ccsparis.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Gina Proenza, le 26 octobre 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Gina Proenza, L'ami naturel, vue d'exposition, Kunsthaus Langenthal, Suisse, 2018 / © Martina Flury.
2/  Gina Proenza, vue d'exposition, galerie ELAC, Lausanne, 2017 / © Gina Proenza.
3/  Gina Proenza, L'ami naturel, vue d'exposition Arbitraire, galerie Davel 14, Cully, Suisse, 2017 / © Olivia Fahmy.

 


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Interview de Gina Proenza,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 26 octobre 2018, durée 18'13". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Olivier Kaeser, ancien directeur du Centre culturel suisse



Le travail de Gina Proenza est basé sur des récits qui mêlent des recherches anthropologiques, des contes et légendes ancestraux et des influences littéraires, notamment d’auteurs sud américains tels que Borges, Bioy Casares ou Bolaño. Elle s’intéresse à la langue, que ce soit les idiomes, notamment des dialectes inventés par des groupes ethniques pour déjouer des systèmes de surveillance en Colombie, son pays d’origine, ou l’organe, qu’elle modèle et inclut dans des sculptures évoquant des gargouilles ou des bouches stylisées.

Gina Proenza (1994, Bogota) est lauréate du Prix d’art Helvetia 2018. Le CCS organise sa première exposition personnelle dans une institution.






Délier les langues par Élisa Langlois - extrait du journal Le Phare N°30 / septembre 2018

Les récentes recherches de Gina Proenza se sont concentrées sur la question du langage, sa transmission et son profil social, par une observation de la sédimentation de l’information véhiculée de manière orale. L’artiste a organisé son travail à la manière d’un recueil de nouvelles. Chaque nouvelle, ou épisode (comme elle les nomme aussi), prend la forme d’une exposition. Chacune peut, même si elle sert un tout, fonctionner de manière autonome. Utilisant l’exposition comme un médium, Gina Proenza produit – à son tour – une histoire à trois échelles : le recueil (l’ensemble des expositions), les épisodes (les expositions) et les protagonistes (les oeuvres), qui alimentent historiettes et grande histoire. L’exposition du Centre culturel suisse propose de clore cet ensemble de quatre épisodes.

o a o a, Elac, Lausanne
Ce premier épisode résulte de l’étude par l’artiste de la région du Darién. Cette forêt colombo-panaméricaine marécageuse reste, depuis la conquête de l’Amérique, aussi convoitée qu’impraticable. o a o a est une installation sculpturale et sonore présentée dans le cadre d’une exposition collective. Placée au centre de la galerie, sa structure en bois peint en vert jouait un rôle de carrefour embrassant l’ensemble de l’exposition. Sur ses parois étaient juchées de petites figurines simiesques. Leurs têtes, remplacées par des haut-parleurs, diffusaient un chant. Une enseigne lumineuse Coca-Cola dont les consonnes ont disparu, suggérait un balbutiement et l’équivoque transmission d’une langue inconnue. Allumée, mais détériorée, elle investissait le lieu d’une sorte d’« identité fantôme ».

o a o, Kunsthaus Langenthal
L’épisode 2 s’étirait sur trois espaces en enfilade. Lors de la déambulation, on pouvait y rencontrer deux gargouilles posées au sol : un roi et un porc auxquels un système motorisé permettait de tirer la langue. Ensuite on se retrouvait dans une pièce habitée par des sculptures en bois aux formes rappelant les Planks de John McCracken. Leur peinture a été mise au point en collaboration avec un chimiste : une nuance ocre restituant une odeur de pin. Cette pièce se distancie de son aspect minimal par son matériau et son revêtement, qui apportent une dimension organique. Le troisième espace confrontait l’enseigne Coca-Cola de l’épisode 1 à deux lithographies représentant des tours de passe-passe. o a o prend forme autour de Palenque, village colombien fondé par une communauté d’esclaves résistants, parvenus à s’évader grâce à l’élaboration d’une langue secrète.

a a e o, Liste, Bâle
Dans l’épisode 3, on retrouvait des statuettes qui tirent la langue. Leur facture était cependant devenue lisse et abstraite. Elles semblaient converser autour d’une grosse pierre artificielle. Cette installation évoque la juridiction des Wayuu (peuple indigène colombien) : pour résoudre les conflits, des médiateurs, les palabreros, sont missionnés. Ils sont chargés de régler les situations problématiques par la parole. La pierre est l’interprétation d’une roche mythique percée, dont la magie opère lorsqu’un homme la traverse. Son gabarit correspond au volume excavé de la roche magique. Fonctionnant à rebours du sujet auquel elle se réfère, cette pierre évoque le monolithe, dans ses versions tant celtiques que science-fictionnelle.

Si les récits sélectionnés par Gina Proenza ont trait à l’anthropologie, étant issus d’une tradition orale, ils oscillent entre histoire, science et légende. Intéressée aussi bien par leur ancrage dans la conscience collective que par la dégradation de leurs véracités, l’artiste développe ses sujets en brouillant les pistes. Aux références amérindiennes se mêlent des mythes populaires européens, des évocations de la sculpture minimale, ainsi que des dispositifs empruntés au théâtre. Ce syncrétisme iconographique produit des situations qui, en flirtant avec l’absurde, s’affranchissent de tout pathos.

Cette mise à distance par superpositions référentielles permet à l’artiste de se positionner à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de sa création, et de lui conférer une porosité formelle et sémiologique.