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“De Baldus à Le Gray” Les Primitifs de la photographie du XIXe siècle à Chantilly
au Cabinet d’Arts Graphiques - Domaine de Chantilly

du 30 octobre 2018 au 6 janvier 2019



www.domainedechantilly.com

 

© Anne-Frédérique Fer, voyage presse, le 29 octobre 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Gustave Le Gray, Le brick au clair de lune, 1856. Papier salé albuminisé à partir de deux négatifs verre. H. 32 x L. 41, 7. Inv. PH 646.
2/  D’après Antoine François Jean Claudet (1798-1867), Le duc d’Aumale (1822-1897) et le prince de Joinville, en 1848 à Claremont. H.16 ; L. 11,5.
3/  Adolphe Braun, Vue Suisse. Le lac noir à Zermat et le Gabelhorn, entre 1863 et 1865 (tirage avant 1871). Papier albuminé à partir d'un négatif verre. H. 36, 7 x L. 48. Inv. PH 52.

 


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Interview de Nicole Garnier,
conservateur général du Patrimoine, chargée du musée Condé et commissaire de l’exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Chantilly, le 29 octobre 2018, durée 12'48". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Nicole Garnier, Conservateur général du Patrimoine, chargée du musée Condé



Du 30 octobre 2018 au 6 janvier 2019, le Domaine de Chantilly proposera une exposition exceptionnelle présentant la remarquable collection de photographies de la seconde moitié du XIXe siècle réunie par le duc d’Aumale. Sont à découvrir : les célèbres marines de Gustave Le Gray, les vues des Alpes des frères Braun ou encore les photographies d’actualité de Robert Howlett, les premières photographies d’amateur et les prémices de la photographie industrielle.

Le duc d’Aumale et la photographie
Outre sa collection de tableaux et de livres précieux, le Domaine de Chantilly conserve aussi 1 400 photographies de la deuxième moitié du XIXe siècle. Cet ensemble provient d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897), cinquième fils du roi Louis-Philippe, qui a donné en 1886 le château de Chantilly et ses collections à l’Institut de France. Né quelques années après les premiers essais de Niepce (1816), le duc d’Aumale a dix-sept ans en 1839 lorsque François Arago donne au monde la technique photographique mise au point par Louis Daguerre devant l’Académie des Sciences et l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France. Du daguerréotype à la première photographie en couleurs, le duc d’Aumale collectionne des oeuvres représentatives de la photographie de son temps. Sa collection recouvre la génération des pionniers de la photographie, avec Baldus, Le Gray, ou Fenton, jusqu’au tournant du siècle, avec les premières photos d’amateur de son neveu Robert d’Orléans, duc de Chartres, ou l’apparition de la photo industrielle ; elle reflète les différentes facettes de la personnalité de ce grand amateur.

Vues de Paris : l’exilé
Chassé de France après la chute de la Monarchie de Juillet de 1848 à 1871, puis de 1886 à 1889, le duc d’Aumale a vécu exilé vingt-trois ans en Angleterre près de Londres. C’est sans doute pourquoi il a souhaité posséder des photographies du Paris de Napoléon III, alors en pleine transformation, et notamment des sites parisiens où il avait vécu dans sa jeunesse comme le Louvre et les Tuileries de Napoléon III, alors en pleine transformation, par Baldus ou les frères Bisson. Edouard Baldus (1813-1889) est peut-être le plus grand photographe d’architecture des années 1850 ; il participe à la Mission Héliographique commandée en 1851 par la Commission des Monuments Historiques pour photographier les principaux monuments français. Le duc d’Aumale possède des vues d’autres monuments, comme l’abbaye des Vaux-de-Cernay, appartenant alors à la baronne Nathanaël de Rothschild.

L’Algérie et l’Orientalisme
Le duc d’Aumale est lié à l’Algérie où il fait ses premières armes en 1840 aux côtés de son frère aîné le duc d’Orléans, s’illustrant en 1843, à vingt-et-un ans, lors de la prise de la Smalah d’Abd-el-Kader, et succédant en 1847, à vingt-cinq ans, au maréchal Bugeaud comme gouverneur général de l’Algérie. Très attaché à l’Afrique du Nord, il collectionne les peintures orientalistes, mais possède aussi des photographies d’Algérie, malheureusement anonymes, comme la grande Vue panoramique du port d‘Alger ou des vues stéréoscopiques de Constantine. C’est d’ailleurs d’Alger qu’il quitte le territoire français lors de la révolution de 1848 sur le navire de son frère le prince de Joinville. Ce dernier lui offre des photographies de Types arabes : femmes orientales alanguies, hommes fumant le narguilé ; ces épreuves ont été altérées par une exposition prolongée à la lumière, car le duc d’Aumale les exposait, ce qui montre son intérêt.

Aumale et la photographie archéologique
Grand voyageur, le duc d’Aumale parcourt toute l’Europe. Comme tout grand collectionneur de cette époque, nourri des auteurs gréco-latins, il s’intéresse particulièrement à l’archéologie, visite les sites, collectionne les antiques, notamment les pièces qu’on lui offre au sortir des fouilles de Pompéi en 1843. Sous le Second Empire, il participe au débat sur l’identification du site d’Alésia. Comme tous les amateurs, il possède des vues de Rome, ville qu’il connaît bien et qu’il traverse presque chaque année pour se rendre dans ses propriétés de Sicile (il est à demi-italien par sa mère et par son épouse), et d’Athènes, qu’il visite en 1864 en famille. Son neveu Robert d’Orléans, duc de Chartres, prendra des photos d’amateur lors de voyages en Italie du Sud et en Sicile à Syracuse, Ségeste, Sélinonte, Paestum, en avril 1885. Aumale possède aussi des vues stéréoscopiques du site archéologique de Timgad en Algérie. A la fin du siècle, il acquerra des photos industrielles à des professionnels comme l’allemand Sommer, établi à Naples dans les années 1860, ou Incorpora.

Aumale et la reproduction d’oeuvres d’art
Collectionneur, le duc d’Aumale possède de nombreuses reproductions d’oeuvres d’art: dès 1859, il dispose des tableaux de Gérôme photographiés par l’anglais Bingham et édités par Goupil. Il fait photographier au charbon par Braun les vingt tableaux qu’il prête en 1874 en 1978 aux expositions du Palais-Bourbon et du Palais du Trocadéro, acquiert des tirages d’oeuvres des musées nationaux, comme La Joconde par Gustave Le Gray, ou de sculptures célèbres, comme le Moïse de Michel-Ange à l’église S. Pietro ai Vincoli à Rome, ou d’objets d’art divers comme les seize photographies par Louis-Rémy Robert (1810-1882), chef des ateliers de la manufacture de Sèvres, des porcelaines exposées à l’Exposition Universelle de 1855.
Parfois le duc d’Aumale acquiert des clichés qui répondent à un besoin documentaire : ainsi, le Portrait de Simonetta Vespucci par Botticelli du musée de Francfort fait écho à son tableau de Piero di Cosimo acquis en 1879 ; La Source d’Ingres (Louvre) est proche de sa Vénus Anadyomène ; il recherche les photographies des Raphaël ayant fait partie de la collection d’Orléans au Palais-Royal avant la Révolution et documente ses quarante enluminures de Fouquet acquises en 1891 grâce aux clichés du Louvre et d’Anvers.

Aumale et le portrait
Les plus anciennes photographies conservées à Chantilly sont des portraits, ce qui est cohérent avec le développement de la photographie naissante. Le duc possédait son portrait au daguerréotype dans un écrin en cuir (non conservé). Après la révolution de 1848 qui chasse son père Louis-Philippe du trône, le duc d’Aumale vit exilé en Angleterre avec les siens, d’abord à Claremont, où il est photographié avec son frère le prince de Joinville, par Antoine-François-Jean Claudet (1797-1867), français installé en Angleterre, proche du Prince Albert et photographe de la Reine Victoria, cousine du duc d’Aumale.
En septembre 1852, toute la famille d’Orléans en exil est photographiée à Claremont par le vicomte Joseph Vigier (1821-1894). Personnalité éminente de la photographie naissante, membre fondateur de la Société Française de Photographie (SFP), cet amateur qui apprit la photographie aux côtés de Gustave Le Gray, était un ancien condisciple du duc d’Aumale au lycée Henri IV et demeura son ami sa vie durant, au point de s’installer en 1872 à ses côtés au château de Lamorlaye (Oise). Il joua un grand rôle dans l’intérêt du duc d’Aumale pour la photographie.
Le duc d’Aumale était parent avec la plupart des têtes couronnées d’Europe. De ce fait, sa collection conserve des portraits de famille dus à Gustave Le Gray, Ludwig Angerer, Luigi Caldesi ou Camille Silvy (1834-1910) (Orléans House à Twickenham). Il existe également un album de famille des années 1858-1859 dont les photos anonymes peuvent être attribuées à Caldesi (La reine Victoria et sa famille en 1857 à Osborne) et Le Gray. La reine Marie-Amélie possédait également un album contenant des portraits de Le Gray.

Photographie d’actualité
Le duc d’Aumale s’intéresse aux photos d’actualité, comme celles du Great Eastern par Robert Howlett (1830-1858). L’oeuvre la plus célèbre de ce jeune photographe anglais, prématurément disparu à l’âge de vingt-huit ans, peut-être à cause des produits chimiques alors utilisés en photographie, concerne la construction d’un bateau à vapeur géant, le Great Eastern, hymne à la technologie et au commerce. Le nom du bateau était le Léviathan, mais il était connu sous le nom de Great Eastern, car pendant cinq ans sa construction s’était déroulée dans le quartier populaire de l’East End à Londres.
D’autres achats ne s’expliquent que par un goût réel du prince pour l’art nouveau que constituait alors la photographie. Sa collection comprend tous les courants de la photographie entre 1848 et 1897, à l’exception du pictorialisme.

Marines de Le Gray
Les photographies les plus célèbres de Chantilly sont à coup sûr les cinq superbes Marines de Gustave Le Gray (1820-1884). Le Gray commence en 1842 une carrière de peintre dans l’atelier de Delaroche aux Beaux-arts, où il a pour condisciples Henri Le Secq, Charles Nègre qui comme lui seront photographes et non peintres, et Jean-Léon Gérôme qui utilisera la photographie pour diffuser son oeuvre. Après son séjour à Rome, Le Gray développe un atelier très à la mode où il enseigne la photographie, notamment à des aristocrates comme le vicomte Joseph Vigier, l’ami d’Aumale, ou le conservateur Léon de Laborde dont les soeurs et les beaux-frères sont des amis intimes du duc. Les deux inventions majeures de Le Gray sont le négatif sur papier ciré sec et le négatif sur verre au collodion. Il souligne « l’immense importance » de la photographie pour l’art : « son influence sur la peinture sera d’une portée immense » et souhaite que la photo rentre dans le domaine de l’art, et non du commerce et de l’industrie.
Sa première marine, Brick au clair de lune, est exposée le 6 novembre 1856 à Londres dans une réunion de la Photographic Society of London, ce qui lui assure l’argent et la gloire artistique. C’est un succès à Londres et à Paris en 1857 et 1858, il a 50 000 francs de commandes. Aumale a probablement acquis alors ces superbes clichés, composés de deux plaques exposées différemment pour rendre à la fois la mer et le ciel avec des temps de pose différents.

VUES DES ALPES par Adolphe Braun
Les vues de montagnes enneigées furent très à la mode dans les années 1860, et constituèrent un véritable genre au sein de la photographie naissante ; or, le duc d’Aumale faisait l’été de longues randonnées en montagne en Suisse et en Italie du Nord. Les artistes les plus réputés dans ce genre étaient les frères Bisson ou Adolphe Braun, dont le musée Condé conserve plusieurs grandes vues des Alpes suisses typiques de ce courant. Le duc d’Aumale acquit également une vue panoramique de Besançon qui témoigne à la fois de son attachement pour cette ville de garnison où il reprit une activité militaire au service de la Troisième République après son retour d’exil, et de son intérêt pour les recherches optiques menées par les photographes de l’époque afin de rendre un paysage dans sa totalité.
Adolphe BRAUN (1812-1877), après des études à Mulhouse, suit sa famille à Paris où, passionné de dessin, il fait son éducation artistique : dès l’âge de seize ans, il est dessinateur et conçoit ses dessins comme des modèles pour l’industrie. Veuf en janvier 1843, il s’installe avec ses trois enfants à Mulhouse en juillet 1843 comme premier dessinateur dans l’industrie textile, avant de se tourner vers les vues de montagnes et vers les reproductions d’oeuvres d’art.
Ces derniers achats ne peuvent s’expliquer que par des coups de coeur du prince collectionneur qui a légué Chantilly à l’Institut de France.