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“Rodin” Dessiner découper
au Musée Rodin, Paris

du 6 novembre 2018 au 24 février 2019 (prolongée jusqu'au 7 avril 2019)



www.musee-rodin.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 6 novembre 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Auguste Rodin, Résurrection, après 1900. Crayon au graphite (trait), gouache et aquarelle sur papier filigrané, crème, H. 49,5 cm ; L. 31,7 cm. © musée Rodin, Ph. J. de Calan.
2/  Auguste Rodin, Femme nue aux longs cheveux, renversée en arrière. H. 27,5 cm ; L. 21,4 cm. © musée Rodin, Ph. J. de Calan.
3/  Auguste Rodin, Homme nu agenouillé et renversé en arrière, vers 1898 – 1900. Crayon au graphite (trait et estompe), aquarelle et gouache sur papier vélin, H. 32,5 cm ; L. 24,8 cm. © musée Rodin, Ph. J. de Calan.

 


2571_Rodin audio
Interview de Sophie Biass-Fabiani, conservateur du patrimoine, chargée des œuvres graphiques,
des peintures et de l’art contemporain au musée Rodin, et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 6 novembre 2018, durée 14'24". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Un masque noir de Minos dont les traits émergent à peine de la pénombre garde l'entrée d'un enfer de têtes grimaçantes. Sur des petits carrés de papier brun, des hommes grimacent et crient, fixent le spectateur avec une gravité prête à basculer dans la furie. La brume grise d'entrelacs à la plume, de lavis, de lumière de gouache blanche se solidifie en un instant, l'instant où le nuage sous nos yeux, prend la forme d'un couple enlacé, d'une mère et son enfant, d'une Médée. Les personnages sont denses et tendus, prêts à se déchirer en un orage. Puis leurs détails s'estompent, ils deviennent des silhouettes s'allongeant, des démons solitaires dansant.

Un même personnage, une même pose se répète dessin après dessin dans des séquences d'images comme de la pellicule de cinéma. La rapidité de l'exécution répond à la brièveté de la pose, un instant à peine, une image de film. Si le temps s'écoule, le corps, lui, semble figé, condamné à une position éternelle. Pourtant le contour de crayon se sépare de l'aplat d'aquarelle, décomposant la forme en plusieurs dimensions indépendantes. Le modèle, la danseuse se libère, tant du trait qui la capture que de la pesanteur de son incarnation. Il se met à flotter dans une douce apesanteur avant de prendre son envol. Le corps éthéré est tantôt plein, ferme et tactile, tantôt flou, vapeur odorante.

Les danseuses dessinent de leurs bras et jambes des motifs floraux, des caractères hébraïques. Le corps découpé lévite sur le rectangle blanc et vide de la feuille de papier. Le sol et le ciel invisible se matérialisent à partir de sa position, de ses appuis. La gravité est là, ordonnant le monde entre un haut et un bas, mais les personnages de Rodin s'en moquent. Qu'ils soient allongés, alanguis ou plongeant tout droit, les pieds dressés en l'air, les forces de la nature n'ont plus prise sur eux. Cette puissance leur appartient désormais. Ils triomphent de leur force physique et sont des déesses aux bras puissants, aux hanches comme des maisons, aux jambes colonnes de temples et de palais.

En équilibre sur une jambe, le corps tendu jusqu'à la douleur, ces femmes s'offrent dans une impudeur érotique à un œil venant de toutes directions, de dessus, du dessous. Le regard tourne autour, cherche le point de rupture, là où le bel assemblage de chair se disloque et donne naissance à autre chose, un papillon, une fleur, un vase. Cette torsion du corps est une offrande. Le corps est magnifié jusqu'au sacrifice, consumé en une abstraction, une allégorie. En découpant, Rodin quitte par moments le contour de ses personnages, y revient en ayant créé d'un détour la forme d'une aile d'ange ou d'oiseau, une queue de sirène. Le corps séparé de tout ce qui lui est extérieur garde la trace des forces terrestres, océaniques, des marées et des tempêtes qui l'ont modelé. Une nervosité de crayon en obscurcit ici une vallée, l'éclaboussure d'une tache extérieure outrage une rondeur.

Cette liberté de mouvement nous emmène jusqu'à l'envol, elle s'incarne avec une grâce absolue, celle réservée à l'intimité, qui n'est pas destinée à être vue. L'audace folle avec laquelle Rodin expérimente fait de ces petites danseuses de papier des pionnières de l'histoire de l'art. Ce ballet montre le chemin aux artistes du XXéme siècle qui oseront tout.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat général :
Catherine Chevillot, Conservateur général du patrimoine, Directrice du musée Rodin

Commissariat :
Sophie Biass-Fabiani, Conservateur du patrimoine, chargée des oeuvres graphiques, des peintures et de l’art contemporain au musée Rodin




Si Rodin reste aux yeux du public un sculpteur, ses dessins sont, dit-il, « la clé de mon oeuvre ». L’exposition Rodin, dessiner découper, montre au public près de deux cent cinquante dessins au sein desquels quatre-vingt dix ont pour particularité le découpage et l’assemblage de figures. Jouant de la mise en espace de ces corps, ce procédé révèle d’audacieuses silhouettes découpées et un dynamisme d’une grande modernité. Cette exposition annonce un des modes d’expression novateurs du XXe siècle.

« J’ai une grande faiblesse pour ces petites feuilles de papiers ». C’est ainsi que Rodin manifestait son attachement à son oeuvre dessiné. Dès ses débuts, Rodin réalise – de façon indépendante de ses sculptures – des dessins qu’il exécute d’après le modèle vivant. Il présente ses dessins dans toutes les expositions qui lui sont consacrées, d’abord à Bruxelles, Amsterdam, Rotterdam, La Haye en 1899, puis à Paris en 1900, Prague en 1902 ou encore à Düsseldorf en 1904. Le musée conserve la majeure partie de cette oeuvre dessinée, environ 7 500 feuilles.

Un mode opératoire inédit : dessiner, découper
Rodin soumet ses dessins faits d’un premier jet à diverses métamorphoses. Il décalque ses dessins, repère le trait qui lui convient, pose la couleur en utilisant l’aquarelle, découpe ses figures, les replace, les assemble à d’autres figures et construit progressivement un dispositif inattendu. Dès ses jeunes années, Rodin procède au découpage de dessins et croquis qu’il colle dans des albums. Entre 1900 et 1910, il découpe une centaine de dessins de nus aquarellés qui forment le coeur de cette exposition. En les découpant, Rodin aime à les manipuler, les situer dans l’espace de multiples façons, les découper de manière volontairement approximative. Il joue avec les petites figures de papier qui sont l’équivalent de ses figures en plâtre. En mettant en relation ces découpages avec le caractère tridimensionnel de la sculpture, les figures découpées apparaissent comme un nouvel « objet » entre le dessin bidimensionnel et la sculpture. Dans une autre série, Rodin exécute à partir de ses figures découpées de véritables assemblages qu’il fixe lui-même sur un nouveau support, entrelaçant les corps dans une nouvelle composition. Dessinés et découpés, ces dessins ne sont pas de simples accessoires techniques : ils ont conquis leur statut d’oeuvres à part entière dont le dynamisme des silhouettes annonce la modernité de Matisse.






Parcours de l’exposition

Le musée met à nouveau à l’honneur sa collection de 7 500 dessins de Rodin. L’exposition rassemble pour la première fois les 90 dessins sur papier découpés et collés conservés au musée, sur un corpus estimé à une centaine d’oeuvres. À leurs côtés sont présentés les dessins qui leurs sont proches afin de les restituer dans un processus cohérent de création. Les oeuvres dessinées ou sculptées pour lesquelles la démarche et les recherches plastiques sont parallèles viennent compléter cette sélection. Enfin, quelques objets de la collection personnelle de l’artiste qui montrent sa prédilection pour la découpe sont présentés.

Deux grands types de découpage apparaissent. Le premier ensemble correspond à des dessins réalisés au moment de la commande de la Porte de l’enfer entre 1880 et 1889, dont les plus remarquables sont des représentations de masques. Le second ensemble, daté autour de 1900-1908, le plus important, comprend des figures isolées découpées en un seul morceau ou quelquefois assemblées par deux. Quelques couples sont même découpés d’un seul tenant.


I— « dessins noirs » découpés et collés, 1880-1889

Cette appellation désigne les oeuvres réalisées pour la Porte de l’enfer. Ces papiers découpés représentent des masques, des démons ou des scènes liées à L’Enfer de Dante, qui sont tous collés sur des supports en papier plus grands, parfois retravaillés après le collage. Rodin dessine d’abord au crayon, puis ajoute, au pinceau ou à la plume, de l’encre mélangée de gouache blanche. Parfois, l’artiste redéfinit les contours à l’encre ou au crayon. Plusieurs dessins ont été publiés en 1897 dans un ouvrage luxueux édité par Goupil, appelé album Fenaille, préfacé par le critique et écrivain Octave Mirbeau. Cette publication nous permet de savoir que les collages sont contemporains de la création de l’œuvre et de saisir l’importance de ces têtes que Rodin désigne sous le terme de « masque ».

Un ensemble plus singulier de découpages comporte des dessins collés sur des supports de catalogue publicitaire de tissus, dont Rodin réutilise les encadrements et les lettrines imprimés comme motif décoratif pour mettre en valeur son oeuvre.


II— figures aquarellées découpées

À partir de 1890, Rodin s’attache à dessiner d’après le modèle vivant et change de style, à la recherche d’une simplification des formes et du rendu du mouvement ainsi que de son caractère naturel. Le dessin au crayon précède l’aquarelle et parfois s’y superpose à nouveau. La figure humaine concentre l’attention et le fond est le plus souvent indistinct. La découpe semble être le geste qui parachève la volonté d’isoler la figure. Tous les papiers découpés sont des dessins au crayon aquarellés sur un papier un peu épais, ce qui est peu fréquent dans la production de Rodin, ce qui peut laisser penser que le découpage est prévu dès l’origine par l’artiste.

Cette pratique relève de l’intimité : une seule de ces figures découpées a été exposée par Rodin. Ni lui, ni les critiques n’en parlent. Quelques figures sont collées par deux sur des feuilles de papier dont elles débordent légèrement. Certaines compositions ont au contraire été réalisées d’après des assemblages de figures découpées. Les assemblages de papiers découpés évoquent ceux qui ont été sculptés en plâtre. La majorité des figures découpées nous sont donc parvenues libres, sans montage et sans être positionnées ou collées.

Pour l’exposition, les papiers découpés ont été montés et encadrés de la façon la plus neutre possible. L’orientation de la figure a été déterminée par plusieurs critères : le bord rectiligne du papier, quand il existe, suggère une horizontale de référence ; des dessins non découpés représentant la même position ou encore le sens de lecture des inscriptions.