contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Foujita” Oeuvres d’une vie (1886-1968)
à la Maison de la culture du Japon, Paris

du 16 janvier au 16 mars 2019



www.mcjp.fr

 

© Sylvain Silleran, présentation presse, le 15 janvier 2019.

2602_Foujita2602_Foujita2602_Foujita
Légendes de gauche à droite :
1/  Foujita, Portrait de Suzy Solidor, 1927. Huile sur toile, 97x63 cm. Ville de Cagnes-sur-Mer, château-musée Grimaldi, donation Suzy Solidor, 1973. © Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018.
2/  Foujita, Bataille de chats, 1940. Huile sur toile, 81x100 cm. The National Museum of Modern Art, Tokyo. © Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018.
3/  Foujita, Autoportrait, 1929. Huile sur toile, 61x50.2 cm. The National Museum of Modern Art, Tokyo. © Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2018.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Une fillette dans une robe rouge nous fixe de son regard perçant comme seuls les enfants savent le faire. La douceur empreinte de gravité, la légèreté du trait qui passe de la joie à la mélancolie confèrent à la peinture de Foujita sa part d'innocence enfantine. Cette innocence n'est pas naïveté, elle est le regard certes plein de fraîcheur et d'enthousiasme mais qui observe avec une patiente et intense application chaque détail du papier peint d'une chambre, chaque bouton d'une chemise, chaque veine du bois d'un bureau. L'intérieur de l'appartement où est réalisé le portrait se déshabille avec la même impudeur que le corps, livrant un inventaire de petits objets. Allumettes, pelotes de laine, assiettes, une paire de ciseaux sont des compagnons bavards, bruissants du chuchotement d'une intimité. Dans ses autoportraits, Foujita va jusqu'à représenter ses propres toiles, tableaux dans le tableau, reproduits jusqu'au détail de la signature.

Les nus allongés, odalisques blanches diaphanes, se découpent sur des obscurités de nuits sans étoiles. La blancheur immaculée des corps oppose une pureté de neige aux motifs de tapisseries du décor, aux plis chaotiques des draps froissés. Des animaux, chiens et chats, accompagnent ces déesses comme Suzy Solidor en icône sur fond d'or, regardée avec adoration par son chien. A l'inverse, Anna de Noailles est représentée debout, une rose à la main, vêtue d'une longue robe dorée, se détachant telle une sainte miraculeuse sur un immense fond blanc.

Dans les paysages ternes des 'fortifs' ou de la banlieue déserte et grise, l'au-delà de la ville ressemble à une nature morte. Réverbères, poteaux télégraphiques, mauvaises herbes, arbres et pavillons épars sont comme les objets du quotidien étalés sur une nappe. L'ennui qui s'en dégage est le même chez ces deux femmes dans une chambre. La pièce est jonchée d'objets du quotidien : cartes à jouer, cigarettes, tasse à café, épingles à cheveux, petit miroir, bobine de fil, poêle à frire remplissent l'espace pour en montrer l'exigüité et la routine d'une existence. Aux grands espaces vierges succède un espace qui se resserre, qui s'encombre : un chat vient glisser sa tête dans le triangle d'un bras plié; dans le portrait de Madeleine au Mexique, une église remplit l'interstice entre les branches d'un cactus et le personnage.

Un violent combat de chats, crachant et bondissant dans une apesanteur qui n'est qu'un court répit avant l'issue sanglante vient annoncer les scènes guerrières de batailles qu'il peindra au Japon pendant la guerre. Peints en couleur de terre, les belligérants se confondent les uns avec les autres dans une rage meurtrière. Américains et Japonais semblent des golems tout juste modelés à partir de la glaise; déjà ils s'enfoncent dans la boue qui les engloutit pendant qu'en arrière-plan les vagues d'un océan en furie se déchirent. L'issue tragique de la guerre se voit illustrée par le terrible suicide des habitants de l'île de Saipan. La subtilité de Foujita tient dans les multiples niveaux de lecture de ces toiles, on y lit l'héroïsme autant que l'absurdité, le romantisme guerrier et l'horreur sale qu'il recouvre. De retour en France, il peint une odalisque endormie qui voit ses rêves envahis par des loups, renards, rats, singes, lièvres. L'hommage à Jean de la Fontaine prend la forme d'un famille turbulente et inquiétante de loups. A travers le conte, c'est la folie des hommes et leur violence qui est évoquée. Les loups rendus fous par l'odeur du repas dévorent viandes et poissons, disloquant les liens familiaux qui les unissent.

Deux scènes de café renouent avec le réel. Dans celle peinte en 1949, une jeune veuve assise seule tourne le dos à un bistrot du début du siècle, au serveur à bacchantes, au client au chapeau melon. Elle écrit une lettre comme on tourne un page d'histoire.

Le bistrot de 1958 est, lui, bien ancré dans la modernité. Dans cette fin des années 50, les jeunes gens qui y sont assis sont des artistes, des étudiants. Ils ressemblent aux héros en blue jeans de la beat generation, ils écrivent, mais avec fougue, ils draguent, posent leur spleen comme une lifestyle, offrent une représentation théâtrale du nouveau monde en train de naitre. Tout comme il avait incarné l'énergie des années folles, Foujita réussit, trente ans plus tard, à saisir les vibrations d'une nouvelle époque d'effervescence des mœurs et des arts. Comme un éternel chat, il est resté libre et indomptable.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition :
Yoko Hayashi, historienne d’art, chargée de recherche de l’Agence pour les affaires culturelles du Japon
Sophie Krebs, conservateur général du patrimoine au Musée d’art moderne de la Ville de Paris
exposition organisée par la Fondation du Japon, Musée national d’art moderne de Kyoto




Du 16 janvier au 16 mars 2019, la Maison de la culture du Japon à Paris présente Foujita, oeuvres d’une vie, une rétrospective du premier artiste japonais de renommée internationale installé à Paris. Si la période parisienne de Foujita est la mieux connue du public français, l’exposition retracera l’ensemble de sa carrière - de son arrivée à Paris en 1913 jusqu’à sa mort en 1968. Elle réunira une quarantaine de peintures dont la plupart viennent du Japon et seront montrées à Paris pour la toute première fois. Son parcours s’articulera autour de cinq sections : Les débuts parisiens, La « success story » des années 1920 à Paris, Voyages en Amérique latine et au Japon, Face à la guerre, et Retour définitif à Paris. Il permettra d’appréhender comment l’oeuvre de Foujita s’est en permanence renouvelé et imprégné de l’art occidental sans oublier sa culture japonaise.

L’arrivée de Foujita à Paris marque un tournant dans sa production artistique : dans ce milieu cosmopolite il s’essaye au cubisme, à des paysages proches de ceux du douanier Rousseau. Ce n’est qu’au début des années 1920 qu’il met au point un style personnel caractérisé par la description minutieuse des objets, par une gamme chromatique réduite au noir et surtout au blanc, par la finesse de son trait et son sens de la matière. Il mêle ainsi des éléments traditionnels orientaux à l’art vivant du moment. Son succès est considérable dans les « années folles » notamment avec ses nus à la chair laiteuse et sa présence excentrique sur la scène parisienne.

En 1929, des problèmes avec le fisc et des soucis conjugaux l’obligent à quitter Paris pour une tournée en Amérique latine et au Japon. Il abandonne ses nus pour des compositions qui inaugurent le grand retour de la couleur. Au cours de ses voyages, le réalisme presque ethnographique fait son apparition dans ses peintures des populations américaines du Pérou au Mexique. À la fin de 1933, il s’installe à Tokyo et, lorsque le Japon entre en guerre avec la Chine, il devient peintre aux armées et est envoyé au front. Il passe la Seconde Guerre mondiale au Japon et réalise une série de peintures de guerre sous la direction de la propagande de l’armée impériale. Leur interprétation ambiguë peut toutefois être vue comme un plaidoyer contre la guerre. Ces compositions sombres et hallucinées ne sont pas sans rappeler Delacroix, Géricault et les peintres de gestes napoléoniennes. À la fin de la guerre, ostracisé pour sa participation à la propagande par une partie des artistes japonais, il décide de quitter le Japon pour les États-Unis en 1949, puis en 1950 pour Paris.

Ce retour en France est pour lui définitif : il demande sa naturalisation puis se convertit au catholicisme. Il réinvente une figuration étrange peuplée d’enfants au teint de porcelaine, d’animaux sortis de contes ou de compositions hors du temps. La fin de sa vie est consacrée à l’art religieux dont il adapte le modèle des maîtres anciens, ceux de la renaissance flamande ou italienne.