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“Alberto Giacometti – Peter Lindbergh” Saisir l’invisible
à l’Institut Giacometti, Paris

du 22 janvier au 24 mars 2019



www.fondation-giacometti.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 21 janvier 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Alberto Giacometti, Femme accroupie, 1959-1960. Stylo bille noir, 37 x 26,8 cm. Fondation Giacometti, Paris. © Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti, Paris + ADAGP, Paris) 2019
2/  Peter Lindbergh, Karen Elson, Los Angeles, 1997. © Peter Lindbergh (Courtesy Peter Lindbergh, Paris)

 


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Interview de Serena Bucalo-Mussely,
attachée de conservation à la Fondation Giacometti et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 21 janvier 2019, durée 12'18". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Serena Bucalo-Mussely



L’Institut Giacometti présente les photographies inédites d’oeuvres d’Alberto Giacometti prises par Peter Lindbergh, l’un des photographes les plus importants de sa génération. A ces photographies sont associés une sélection de plâtres, de bronzes et de dessins choisis par le photographe. Ce face à face permet de montrer le dialogue très intime qui s’est établi entre le photographe et les oeuvres du sculpteur, tout en révélant de nombreux points communs dans leurs manières d’appréhender la représentation du réel.

L’exposition, sous le commissariat de Serena Bucalo-Mussely, rassemble plus d’une soixantaine d’oeuvres des deux artistes.

Installé à Paris depuis les années 1970, Peter Lindbergh est devenu le pionnier d’un nouveau réalisme dans la photographie de mode. Son approche de la photographie a considérablement changé les standards de ce genre. Il collabore avec les plus grands magazines internationaux (Vogue, Harper’s Bazaar, Vanity Fair, The New Yorker, Interview, etc.). Originales, ses photographies privilégient la dimension personnelle de ses modèles, contribuant ainsi durant les années 1990 au phénomène de popularité des grands top model. Ses portraits des mannequins Naomi Campbell, Linda Evangelista, Kirsten Owen ou ceux de grandes actrices comme Julian Moore, Uma Thurman, Jeanne Moreau ou Nicole Kidman, dont il rend la fragilité apparente, dégagent un sentiment de mélancolie. Photographiées sans artifices, en noir et blanc, dans des attitudes naturelles, les femmes vues par Lindbergh regagnent une humanité que les codes de la photographie de mode avaient occultée.

Fasciné depuis toujours par l’oeuvre et par la personnalité d’Alberto Giacometti, Peter Lindbergh a été invité à prendre des photographies dans les réserves de la Fondation Giacometti à Paris en 2017. Privilégiant les très gros plans et les tirages en grand format, Lindbergh révèle par la photographie des aspects des sculptures de Giacometti impossibles à percevoir à l’oeil nu. Associant dans ses compositions des oeuvres de différentes périodes, il institue entre elles un dialogue au travers du temps et des styles.

Les allers-retours créés dans l’exposition entre les photographies de l’un et les sculptures et dessins de l’autre, permettent de redécouvrir le travail de Giacometti sous un autre angle. Sous l’objectif du photographe, les sculptures semblent devenir vivantes, révélant leurs détails et leurs textures. Derrière la beauté de ces oeuvres, Lindbergh parvient à capturer l’inquiétude qui caractérisait Giacometti et sa perpétuelle recherche du réel. Investis tous deux dans une création au service de la représentation de la « vérité », focalisés sur la représentation du corps humain, Giacometti et Lindbergh accordent une grande importance à la question du regard. Dans tous leurs portraits, le regard est considéré comme la porte d’accès à l’interprétation de la personnalité du modèle.

A l’occasion de cette exposition, le cabinet des arts graphiques de l’Institut Giacometti réunit un ensemble important de portraits photographiques de stars par Lindbergh et des portraits inédits par Giacometti de ses modèles préférés. Ces dessins sont réalisés sur les supports les plus divers, y compris de magnifiques pages de carnets et de livres.






Extraits du catalogue - Alberto Giacometti / Peter Lindbergh. Saisir l’invisible aux éditions Fondation Giacometti, Paris et Fage, Lyon

Entretien avec Peter Lindbergh par Catherine Grenier, Directrice de la Fondation Giacometti, Présidente de l’Institut Giacometti


CG : Comment est arrivé le projet de faire des photographies de sculptures de Giacometti ?
PL : Le magazine Blau, qui est le supplément de Die Welt, m’a appelé en me disant : « on voudrait une rencontre entre Alberto Giacometti et vous. Vous pourrez photographier ses sculptures comme vous voulez ». C’était fantastique, j'étais très excité par l'idée. Dans la pièce, il y avait une table et on a mis une bâche sur laquelle on disposait les sculptures au fur et à mesure. J’étais très excité, je pensais que mon coeur allait exploser, c'était vraiment un moment magnifique.

CG : Ce sont des photographies très mises en scène, les sculptures sont sur un tissu sombre froissé. Est-ce vous qui l’aviez amené ?
PL : Oui, j'utilise le même sur d’autres photos, il fait quatre mètres par six et on peut le plier. Je n'avais jamais vu un ensemble d’oeuvres de Giacometti, en général on voit seulement une figure, et là j'ai senti un truc complètement différent, c'était vraiment excitant de voir comme elles communiquent entre elles. C'était vraiment un processus magnifique.

CG : Pourquoi avez-vous choisi de mélanger les bronzes et les plâtres, pour créer un contraste ?
PL : Non. Les Allemands comme moi ont l’impression qu’il faut toujours respecter un système. Mais quand j’ai vu les oeuvres, je me suis dit : on ne va pas séparer les bronzes des autres, on va mélanger les matériaux et les périodes pour créer un mouvement, une émotion. C'est comme une jungle, une jungle d’oeuvres de Giacometti. Aucun ordre, aucun principe, chaque sculpture est un moment de sa vie et il n’y a pas besoin de les mettre en ordre. Dans la biographie, tout est en ordre, mais plus on mélange, plus ça provoque d'émotion. Si on me demandait : « quelles sont les cinq plus belles journées de ta vie ? », cette journée serait sûrement dans les trois premières.

CG : Vous avez fait en sorte, quand il y a plusieurs sculptures, que le regard soit attiré par une d’entre-elles, soit parce qu'elle est plus nette, soit parce qu'elle est à demi cachée et intriguante…
PL : Ça se fait de manière automatique. C'est magnifique la mise en avant d’un détail, une tête qui accroche une lumière particulière, finir l’image avec une horizontale, une verticale ; mais tout ça est inconscient. La composition est fabuleuse parce que les objets sont fabuleux.

CG : Aviez-vous conscience qu'elles dégagent un sentiment mélancolique ?
PL : Ah oui toujours. Pour moi, la mélancolie est un des plus jolis sentiments. Parfois, pendant les interviews, des gens me disent : « Monsieur Lindbergh, vos femmes sont toutes tristes, elles ne rient jamais ». Je leur réponds que ce n’est pas parce qu'elles ne rient pas qu'elles sont tristes. Ce sentiment de mélancolie, je trouve que ça donne une telle possibilité de voir. On participe mieux ; je trouve qu’un visage mélancolique est plus expressif qu'un visage qui rigole. Rire c'est une seule expression, on ne peut rien imaginer d'autre. Mais avec un regard mélancolique, l’image d'une femme qui regarde la caméra d’une façon mélancolique, on peut voir plein de choses, on peut voyager. Ces images sont mélancoliques, oui, mais c'est joyeux aussi.

CG : Vous vous sentiez donc en affinité avec l'univers de Giacometti.
PL : Totalement, mais je ne savais même pas à quel point. Je l’ai toujours aimé – comment peut-on ne pas l’aimer – mais maintenant… ! Les sculptures minuscules faites juste pendant la guerre, les années d’après-guerre, et toutes les textures, c'est merveilleux ! Et la photographie, le tirage, permet de dévoiler d’autres choses. On peut accentuer le côté spectaculaire du bronze, ou on peut rester très discret. On découvre plus de choses avec la photo, car quand on voit simplement l’œuvre exposée, on ne peut pas rentrer dans le détail, on ne voit pas toutes les textures.

CG : Maintenant que vous l'avez fréquentée de près, comment définiriez-vous l’oeuvre de Giacometti, son atmosphère ?
PL : Ce qu'on ressent, je trouve, c’est une ligne très forte qui traverse toute l’oeuvre. On peut suivre les pensées de cette personne dans son atelier, qui doit résoudre un problème et se concentre dessus au lieu de faire des choses énormes comme d'autres artistes. Par exemple Richard Serra, qui est un artiste que j'adore, fait ce type d’oeuvres monumentales. Mais quand je vois les oeuvres de Giacometti, ça parle tout à fait d'autre chose, de choses beaucoup plus profondes. Ce n'est pas la volonté de faire un grand geste, c'est un homme qui est en train de se parler à lui-même et je trouve ça beau. C’est ce que j’ai ressenti de Giacometti, et j’étais très content quand j'ai vu le résultat des photos, parce que j’ai l’impression que ça rend ça. Il se réinvente sans arrêt, à chaque nouvelle sculpture c’est à la fois très proche et en même temps tellement différent. Et je ressens très fortement le fait que tout ce qu’il crée est complètement lié à lui ; pour moi c'est la plus grande qualité qui existe pour un artiste.