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“Nara” Trois trésors du bouddhisme japonais
au Musée Guimet, Paris

du 23 janvier au 18 mars 2019



www.guimet.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition [en cours de montagne] avec Michel Maucuer, le 21 janvier 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Statue en bois du Kongô Rikishi (Agyô ou à bouche ouverte), Trésor national. © Temple du Kôfuku-ji.
2/  Statue en bois du Jizô Bosatsu, Propriété culturelle importante. © Temple du Kôfuku-ji.
3/  Statue en bois du Kongô Rikishi (Agyô ou à bouche fermée), Trésor national. © Temple du Kôfuku-ji.

 


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Interview de Michel Maucuer,
conservateur des collections japonaises du MNAAG et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 21 janvier 2019, durée 21'50". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires :
Sophie Makariou, Présidente du MNAAG, commissaire générale
Michel Maucuer, Conservateur, section Japon du MNAAG




Un prêt exceptionnel accordé par la ville de Nara au musée national des arts asiatiques – Guimet vient clore la Saison Japonismes 2018. Berceau historique du Japon, la ville fut capitale de 710 à 784. Ses temples bouddhiques conservent encore aujourd’hui les chefs-d’oeuvre incontestés de la sculpture japonaise médiévale. Pour la première fois prêtés hors du Japon, sont présentés en France deux gardiens, trésors nationaux, et une effigie en bois du bodhisattva Jizô, classé « bien culturel important ».

Présentées dans le lieu le plus chargé d’histoire du musée - la rotonde de la bibliothèque - ces trois sculptures médiévales nous interpellent à plus d’un titre. Avec la plastique fluide et rayonnante de la divinité, contraste l’effet proprement athlétique des deux gardiens démontrant d’impressionnantes connaissances anatomiques. Exemples exceptionnels, ces trois oeuvres sont l’occasion de découvrir l’évolution des techniques des sculpteurs japonais et invitent à remettre en question l’histoire de la sculpture mondiale.

Les trois oeuvres étaient initialement abritées dans le Saikondo (« sanctuaire de l’Ouest »), du temple Kôfuku-ji, bâtiment construit en 734 à l’époque de Nara, bien que n’étant pas contemporaines. L’effigie du bodhisattva Jizô (Ksitigarbha), semble y avoir été abritée avec d’autres divinités bouddhistes avant que des incendies ne détruisent le premier sanctuaire en 1180 (début de la guerre qui vit s’affronter les clans Minamoto et Taira, et qui aboutira sur le début de l’époque de Kamakura). Les deux sculptures de gardiens datent du XIIIe siècle et furent créées dans le cadre de réaménagements effectués pendant la période de Kamakura (1185-1333). Puissantes et intimidantes pour mieux repousser les mauvais esprits avec leurs traits tendus, ces sculptures illustrent la technique de sculpture yosegi yukuri, consistant à sculpter les différentes parties de la statue séparément afin de pouvoir faciliter les réparations ultérieures. Ainsi, les deux gardiens sont composés de divers morceaux de bois de cyprès japonais. La superposition des éléments, au niveau de la taille, produit une illusion de mouvement intense. De la même manière, les globes oculaires en cristal ajoutent à la tension dramatique de la composition. Très expressifs, ces deux gardiens, créés pour encadrer une porte, présentent, malgré leurs différences (nommés Agyô et Ungyô, ils symbolisent la force brutale (bouche ouverte) et la force retenue (bouche fermée)), un équilibre, une symétrie générale que l’on retrouve dans leurs déhanchements opposés et dans les plis des tissus. Ils sont représentatifs de l’époque de Kamakura et plus particulièrement du style de l’école du sculpteur Unkei, dont ils seraient des créations.

Plus ancienne, la représentation du bodhisattva Jizô date du IXe siècle. Façonnée dans un unique morceau de bois, elle est caractéristique de l’époque de Heian (794-1185) où les divinités apparaissent imposantes et graves, à l’image de leurs modèles de la Chine Tang, mais non dénuées de raffinement dans le traitement des drapés et des traits du visage, peu à peu nipponisés. Objet de culte très apprécié du grand public au Moyen Âge, le bodhisattva Jizô était notamment considéré comme un sauveur pour les femmes et les enfants. La coloration de son vêtement postérieure à sa création (fin du XIIIe siècle) illustre la pérennité de son culte.

La venue exceptionnelle de ces trois oeuvres offre l’occasion de contempler, dans un face à face privilégié, un pan fondamental de la sculpture japonaise.






Kofuku-ji

Emblématique de Heijo-kyo, capitale du Japon durant l’époque de Nara, le Kofuku-ji est le temple principal du bouddhisme Hosso. La construction de cet imposant ensemble, entreprise la troisième année de l’ère Wado (710), peu après le transfert de l’ancienne capitale vers Heijokyo, fut réalisée grâce à l’appui du clan Fujiwara et de la cour impériale. Bénéficiant de son association avec le grand sanctuaire Kasuga des Fujiwara à partir de l’époque de Heian, le Kofuku-ji acquit une position dominante au sein des différents temples et sanctuaires de la province de Yamato.

En dépit des dommages causés par des incendies répétés, les statues bouddhiques de ce haut lieu chargé d’histoire furent préservées avec soin jusqu’aux années 1300. Nombre de ces biens culturels précieux ont aujourd’hui reçu l’appellation de « trésors nationaux » et de « patrimoine culturel important ». Hormis les célèbres trésors datant de la période de la fondation du Kofuku-ji, telle la statue d’Asura, un grand nombre de ces chefs-d’oeuvre, réalisés durant l’époque de Kamakura Unkei et son atelier ainsi que des artisans de premier ordre, nous ont été transmis. Présentées pour la première fois à Paris, trois de ces statues ont fait l’objet d’un choix minutieux. Elles témoignent de l’histoire de la prière et de la créativité de la statuaire bouddhique dans l’ancienne capitale de Nara.



Bodhisattva Jizo

Répandue dans toute l’Asie orientale et tout spécialement en Chine, la dévotion envers le bodhisattva Jizo, réputé apporter son secours à tous les êtres vivants de ce monde d’errance, est aussi liée au bouddhisme de la Terre pure et à la pensée bouddhique du monde souterrain. À partir de l’époque de Nara, elle fut transmise au Japon où elle a acquis une grande popularité.

Le bodhisattva Jizo est représenté sous l’aspect d’un bonze au crâne rasé revêtu de la robe des moines. Si l’image de ce bodhisattva tenant d’une main levée le joyau bouddhique et de l’autre le shakujo [long bâton de pèlerin garni d’anneaux métalliques à son sommet] s’est fixée dans différentes régions du Japon, on trouve cependant des représentations anciennes, comme celle-ci, exemptes du joyau et du shakujo.

Taillée dans un seul bloc de keyaki [zelkova], depuis la partie supérieure, la partie centrale et jusqu’au lotus du piédestal, cette effigie dégage une puissante impression de volume. Elle fait partie des nombreux chefs-d’œuvre créés à la fin du 9e siècle, dans une période qui vit l’expansion de la statuaire bouddhique en bois. Sur les vêtements, les couleurs apposées selon la technique du moriage (produisant un effet d’empâtement) et du kirikane (feuilles de métal précieux découpées) font apparaître des motifs floraux inscrits dans des cercles, des arabesques, des swastikas ou encore des feuilles de lin. Ces riches coloris, ajoutés dans la seconde moitié du 13e siècle lors de la restauration des statues de Kongo Rishiki, ainsi que le nouveau nimbe ajouté à la même époque, témoignent de la dévotion envers Jizo durant la période médiévale.



Kongo Rishiki

Les statues représentant les divinités Kongo Rishiki, gardiennes du monde bouddhique, sont placées par paire de part et d’autre d’une porte ou d’un autel. Les oeuvres exposées ici, installées à l’origine dans la salle dénommée Saikondo au Kofuku-ji, étaient destinées à protéger les autres statues du temple, tout spécialement la triade de Shaka.

Ces deux effigies sont formées d’un assemblage de différents bois de hinoki (cyprès japonais), à l’exception des globes de cristal insérés dans leurs orbites. Les inscriptions à l’encre de Chine portées à l’intérieur et sur la jambe droite de Ungyo [à la bouche fermée] permettent de supposer que les motifs colorés sur les deux effigies – phénix, dragons, motifs floraux hosoge, arabesques de pivoines – furent ajoutés lors de la restauration de ces oeuvres en 1288.

Le dynamisme de ces deux statues à l’expression vigoureuse s’accorde à la respiration accompagnant le symbole A-Um [ouverture-fermeture de la bouche]. Leurs postures engagées dans des torsions opposées du bassin s’allient au mouvement symétrique des pans de leur vêtement. Le rendu de l’ossature et des muscles s’appuie sur une remarquable observation du corps humain. Les tempes, la nuque, les coudes énergiques tout comme les veines gonflées des mollets sont représentés avec un grand souci de réalisme. Ces deux statues ont vraisemblablement été exécutées dans l’atelier d’Unkei. Elles témoignent de la qualité exceptionnelle de la sculpture de l’époque de Kamakura.