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“Roux !” De Jean-Jacques Henner à Sonia Rykiel
au Musée national Jean-Jacques Henner, Paris

du 30 janvier au 20 mai 2019



www.musee-henner.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 29 janvier 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Jean-Jacques Henner, Camille Merval, vers 1886 ?. Huile sur bois, Paris, musée national Jean-Jacques Henner.
2/  Jean-Jacques Henner, La Femme qui lit, ou La Liseuse, 1883. Huile sur toile, Paris, musée d’Orsay, en dépôt au musée national Jean-Jacques Henner.
3/  Jean-Jacques Henner, La Comtesse Kessler, vers 1886. Huile sur toile, Paris, musée national Jean-Jacques Henner.

 


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Interview de Claire Bessède,
conservateur du musée national Jean-Jacques Henner et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 29 janvier 2019, durée 13'42". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Allongée sur le lit, la Liseuse se perd dans son livre comme on se contemple dans un miroir; sa peau du même blanc que les pages semble s'y refléter. Sa chevelure se mêle à la fourrure fauve sur laquelle la beauté est étendue, coulant comme un liquide, libre comme une fumée. Peinte par Jean-Jacques Henner, cette héroïne paisible semble répondre à la Lilia de Charles Auguste Emile Durand : le contraste d'une élégante coiffure de feu sur un dos d'albâtre, se découpant sur une tenture rouge. L'idéal de séduction de la Femme à l'orchidée d'Edgard Maxence nous regardant, la Jeune femme à la rose de Renoir, nous échappant déjà, dialoguent avec L' Idylle pleine de gravité de Henner. La rousseur de ces deux amoureuses se détache du fond vert sombre, cheveux-bijou éclatant de mille feux sur le velours de son écrin.

Les plumes et fibres teints en roux des masques de Papouasie, les coiffes rouges des Ioways du Missouri présentent une rousseur fauve, animale, ébouriffée. Une énergie de griffes et de crocs, une fourrure odorante, indomptable, trouvera une ultime incarnation dans la coiffure iconique de Sonia Rykiel. Sa chevelure devenue marque, déclinée en robes-toisons par Jean-Paul Gaultier et Castelbajac pour le défilé des 40 ans de sa maison, transforme la femme qui la porte en ourse ou yéti. Les mannequins de couture opposent leur silhouette noire au blanc des nymphes diaphanes encadrées au mur. La perruque orange, fille des guerriers et chamanes d'autrefois et de ses aînées de la mythologie, est un talisman magique apportant vertus et protection à qui la porte.

De la pochette du Aladdin Sane de Bowie à une vierge de porcelaine portant son enfant Jésus roux, d'Obélix à Spirou, de Poil de carotte à Fifi Brindacier, la chevelure orange est parée de toutes les vertus dans la Pop culture. Elle symbolise la force et le caractère de la Calamity Jane de Lucky Luke ou la ténacité loyale de Tintin. Les affiches publicitaires des cachous Lajaunie, de la poudre de riz La Diaphane, montrent des crinières rousse vaporeuses, florales, idéal de beauté et de liberté d'une femme moderne, à la fois bien vivante, terrestre, et déesse inaccessible.

Dans le petit cabinet de dessin, les croquis de la collection Sonia Rykiel affrontent les petites esquisses au fusain et à la sanguine de Henner. Le noir et le rouge sur du papier récupéré gris ou brun sont l'ombre et la lumière qui façonnent tout. Une femme élancée dans un coin de page de journal esquive les gros caractères du titre, sa chevelure tombe en drapé et la couvre comme un manteau de feu. Une jeune fille cache ses cheveux sous un chaperon rouge. Evoquée en petites boucles noires aérées, une Madeleine est nonchalamment agenouillée par terre, s'appuyant d'un bras tendre sur une table, une flamme rouge encadre son visage, à moins que ce ne soit un rideau de théâtre s'ouvrant sur une scène.

Au cœur de son atelier, les obsessions de Jean-Jacques Henner, répétant le même motif, déclinant le modèle et la pose, tout bien consigné dans son journal, forment un univers complet. Les toiles s'assemblent en un grand puzzle grimpant sur les murs jusqu'au plafond. Les scènes se répètent, se confrontent bien que sœurs: une Judith dont la chevelure tient lieu de visage laisse retomber son poignard, des naïades batifolent, des nymphes s'allongent, d'autres pleurent, la Vérité nous regarde de face, tenant ses deux longues tresses défaites comme les bras d'une balance. Un étonnant Jésus roux allongé, le Christ aux donateurs, agonise de la même façon qu'une Atala. L'œuvre de Henner ressort encore plus forte, plus libre et mystérieuse que jamais.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Claire Bessède, conservateur du musée national Jean-Jacques Henner



Le musée national Jean-Jacques Henner consacre sa prochaine exposition temporaire au thème de la rousseur et plus précisément à la chevelure rousse, emblématique de la peinture de Jean-Jacques Henner (1829-1905), qui en fait sa signature.

Du 30 janvier au 20 mai 2019, un ensemble éclectique de peintures, croquis de mode, affiches, photographies, dessins, masques, films…, sera exposé en regard des tableaux du peintre. En cinq sections, l’exposition réunit une centaine d’oeuvres et montre différents aspects de la rousseur. Sans prétendre à l’exhaustivité, elle souligne l’importance de cette couleur tellement distinctive à travers des oeuvres qui ne manqueront pas d’étonner et de détonner !

Cette exposition d’oeuvres venues d’univers différents permet d’évoquer l’imaginaire et les préjugés autour de la rousseur, qui fascine et dérange à la fois. Pour l’occasion, elle a bénéficié de prêts importants provenant de nombreux musées (Orsay, Arts décoratifs, Petit Palais, Beaux-arts de la Ville de Paris, MuCEM, Quai Branly-Jacques Chirac), de la Comédie Française, de collections particulières dont celle de Nathalie Rykiel, ainsi que de la photographe Geneviève Boutry.



Rousses
L’exposition s’ouvre avec la première rousse de Jean-Jacques Henner, Idylle de 1872, et quelques tableaux qui permettent de comprendre comment l’artiste a généralisé le roux dans son oeuvre, quel qu’en soit le sujet. Cette section permet également d’aborder la thématique du portrait avec La Comtesse Kessler à la chevelure flamboyante mise en perspective avec Jeune femme à la rose d’Auguste Renoir et l’énigmatique Femme à l’orchidée d’Edgard Maxence et des photographies actuelles de Geneviève Boutry. À la suite, le visiteur est convié à une promenade à travers la littérature (Baudelaire, Zola, Maupassant…) et les icônes rousses du XlXe siècle.

La force d’une couleur
La confrontation des oeuvres de Jean-Jacques Henner, des masques de Papouasie Nouvelle Guinée et des créations rendant hommage à Sonia Rykiel, souligne la force d’une couleur, « couleur qui se voit et fait écart avec les autres », comme l’écrit si justement Michel Pastoureau au sujet de l’orangé.

Rousseur et préjugés
De tout temps, les roux ont suscité des réactions mêlant fascination et répulsion. Cette section présente l’imaginaire autour du roux et ses multiples aspects : séduction (Sarah Bernhardt, Loïe Fuller), rire (clowns) et peur (ogres)… Un focus original est également porté sur les héros de l’enfance, de Poil de Carotte à Spirou.

Quelques traits de sanguine
Les dessins de Jean-Jacques Henner ont la part belle dans cette exposition. La sanguine est pour lui le média idéal pour faire flamboyer la chevelure d’ Andromède, de Judith et de La Vérité jusqu’au déroutant Christ mort. En contrepoint, figurent les croquis au feutre réalisés pour le défilé-hommage à Sonia Rykiel en 2008 par Jean-Charles de Castelbajac, Jean-Paul Gaultier et Martin Margiela. Le noir et le roux claquent ici comme un drapeau.

Pourquoi tant de roux ?
S’interroger sur les raisons de la prédilection de Henner pour la rousseur, invite à entrer dans l’atelier du peintre. Il y faisait poser des modèles, qui n’étaient pas toutes rousses, et multipliait les esquisses. De l’inquiétante Hérodiade à la repentante Madeleine en passant par la sensuelle Vérité : presque toutes sont rousses ! Le plus original dans cette production sont les Christ roux qui intriguent alors que cette couleur est habituellement associée au traître Judas.