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“Vasarely” Le partage des formes
au Centre Pompidou, Paris

du 6 février au 6 mai 2019



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, journée de tournage, le 4 février 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Victor Vasarely, Vega, 1956. Huile sur toile, 130 x 195 cm. Collection particulière, Belgique. Photo © Centre Pompidou / Philippe Migeat. © Adagp, Paris, 2018
2/  Victor Vasarely, Meh (2) , 1967-1968. Huile sur toile marouflée sur contreplaqué, 180 x 180 cm. Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/B. Prévost/Dist RMN-GP. © Adagp, Paris, 2018.

 


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Interview de Michel Gauthier, conservateur au service des collections contemporaines du musée national d’art moderne et co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 4 février 2019, durée 21'39". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaires de l’exposition :
Michel Gauthier, conservateur, service des collections contemporaines musée national d’art moderne,
Arnauld Pierre, professeur en histoire de l’art contemporain, Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)




Le Centre Pompidou présente la première grande rétrospective française consacrée à Victor Vasarely. À travers trois cents oeuvres, objets et documents, l'exposition donne à voir et à comprendre le "continent Vasarely" et met ainsi en lumière l’ensemble des facettes de l'oeuvre foisonnant du père de l'art optique en présentant tous les aspects de sa production : peintures, sculptures, multiples, intégrations architecturales, tout comme les publicités et études des débuts.

Suivant un parcours tout à la fois chronologique et thématique, l’exposition aborde les grandes étapes de l’oeuvre, depuis la formation de l’artiste dans les traces du Bauhaus jusqu’aux dernières innovations formelles, d’inspiration science-fictionnelle, en passant par le projet d’un langage visuel universel et l’ambition d’un art à la large diffusion sociale.

Après une enfance et une jeunesse hongroises, Victor Vasarely (1906-1997) s’installe à Paris en 1930 où il travaille comme graphiste dans la publicité, avant de se consacrer pleinement à l’art au lendemain de la Guerre. L’abstraction qu’il pratique alors, procédant de l’observation du réel, va vite s’intéresser aux troubles et étrangetés de la vision. Dès le milieu des années 1950, il pose les fondements de ce qui deviendra, une décennie plus tard, l’Op Art. Moment capital de l’histoire de l’abstraction, l’art optico-cinétique propose, à partir de processus à la rigueur scientifique, des images instables avec lesquelles la peinture devient un art du temps au moins autant que de l’espace. Parallèlement, il s’attache à développer un vocabulaire formel permettant une multiplicité d’actualisations dans différentes situations, notamment architecturales.

L’oeuvre de Vasarely s’inscrit pleinement dans le contexte scientifique, économique et social des années 1960 et 1970. L’exposition, en même temps qu’elle présente un grand nombre d’oeuvres, dont certaines jamais vues depuis plus d’un demi-siècle, s’attache à rendre compte de la prégnance de l’art de Vasarely dans la culture populaire de l’époque (mode, design, graphisme, cinéma, télévision…), soulignant sa place cardinale dans l’imaginaire des Trente Glorieuses.






Extrait du catalogue - Vasarely | Le Partage des formes sous la direction de Michel Gauthier et Arnauld Pierre, aux éditions du Centre Pompidou.

L'utile et le vibratile par Michel Gauthier

La position historique de Victor Vasarely est singulière. Par sa date de naissance, 1906, il appartient à la génération des Mark Rothko, Barnett Newman, Hans Hartung ou Max Bill. Pourtant l’innovation esthétique à laquelle son nom est attaché, l’op art, si elle date du milieu des années 1950, ne connaît une pleine consécration que lors de la décennie suivante. Aussi Vasarely, qui a six ans de plus que Jackson Pollock et se forma dans la Mitteleuropa des avant-gardes modernistes, existe dans l’imaginaire culturel avec des oeuvres produites au temps d’Andy Warhol et de Donald Judd, qui sont nés, eux, en 1928. Il ne s’agit pas d’ainsi pointer le temps long de la réussite, la cinquantaine, sinon la soixantaine venue, mais de signaler la particularité d’une oeuvre à la double temporalité.

Pour un art séculier
[…] Quand, en 1925, à Budapest, Vasarely se tourne vers l’art, apres d’éphémères études de médecine, le Bauhaus de Walter Gropius n’a que quelques années d’existence, le virage productiviste d’Alexandre Rodtchenko est encore plus récent et la revue MA de Lajos Kassák vient juste d’arrêter sa publication.

Le Mühely, l’école d’art dans laquelle le jeune homme entre en 1929, fonctionne, sous la direction de Sándor Bortnyik, sur le modele du Bauhaus : sauver les arts de l’isolement dans lequel chacun d’eux pensait trouver sa vérité ; déhiérarchiser les pratiques – beaux-arts et arts appliqués mis sur un pied d’égalité – ; oeuvrer en vue d’une diffusion sociale la plus large possible. Au Mühely sont enseignéestoutes les techniques du graphisme et de la publicité. Vasarely apprend là un langage dominé par un souci d’efficacité visuelle. Mais plus encore, il acquiert un état d’esprit : l’art ne doit pas cultiver sa différence et le retrait, mais bien plutôt mettre ses ressources au service de la société et de ses activités.

Dans le petit Bauhaus hongrois de la fin des années 1920, Vasarely s’ouvre ainsi aux espérances et exigences d’une esthétique résolument séculière.

Installé en France à partir de 1930, c’est d’abord comme graphiste qu’il met à profit l’enseignement du Mühely. À l’instar de Rodtchenko, pour lequel l’engagement dans l’art utilitaire se traduisit par le design d’affiches pour une compagnie aérienne, Vasarely conçoit des publicités – Warhol fera de même deux décennies plus tard. Il travaille essentiellement pour l’industrie pharmaceutique. L’une de ses affiches, vantant les mérites d’un remède contre les rhumatismes, fait déjà se déformer les lettres. Avec la publicité, Vasarely éprouve non seulement le plaisir, tout moderniste, d’une création au contact du réel, mais il apprend également à assigner un effet à une cause. Les exercices proposés par Johannes Itten au Bauhaus ne sont pas loin. Le Vasarely de l’optico-cinétisme s’annonce souvent dans ces travaux.
[…]
À l’inverse de Rodtchenko qui, après les trois monochromes de 1921, arrêta la peinture pour se mettre au service de la société soviétique par le biais des arts appliqués, Vasarely délaisse après la Seconde Guerre mondiale le design graphique pour la peinture. S’il n’y a pas alors de révolution à la solde de laquelle engager son art, il devient en revanche impératif à ses yeux de révolutionner la pratique artistique et son fonctionnement social. Il va s’y employer durant les décennies suivantes. L’héritage moderniste ne cessera d’informer son entreprise. Le précepte de Gropius est fameux : « L’objectif suprême de toute activité créatrice est le bâtiment. »Une fois fixées les règles de son univers formel, Vasarely rêve de les appliquer ailleurs que sur la toile. Une première opportunité lui en est donnée grâce à l’architecte moderniste vénézuélien Carlos Raúl Villanueva qui l’invite en 1954 à réaliser ses premières « intégrations architecturales » sur le site de la cité universitaire de Caracas : Sophia, Hommage à Malévitch et Positif-Négatif. Les intégrations architecturales constitueront dès lors une part cardinale de l’activité de Vasarely. Il réalise les plus fameuses au début des années 1970. En France, bien sur : les deux fresques de la gare Montparnasse ; ou les lames d’aluminium anodisé déployant leur motif ondulatoire sur la façade de la station de radio RTL, comme en un lointain écho au Monument à la Troisième Internationale (1919-1920) de Vladimir Tatline qui devait notamment abriter une station de radio. Mais aussi ailleurs qu’en France, telle l’iconique intégration de la salle à manger de la Deutsche Bundesbank à Francfort-sur-le-Main. « La peinture n’est plus qu’un moyen pour moi. Le but à atteindre, c’est de chercher, de définir et d’intégrer le “phénomene plastique” dans la vie de tous les jours », écrit le plasticien en 1961. L’intégration architecturale est pour lui le biais privilégié d’une remise en cause de la séparation entre l’art et la vie. « J’attends tout de l’intégration », déclare-t-il dès 1956. […]

En 1956, quatre ans après l’inauguration de la Cité radieuse de Le Corbusier, Vasarely caresse l’utopie d’une « Cité polychrome ». De nombreuses études des années 1960 et 1970 témoignent de l’importance prise par la « Cité polychrome du bonheur ». Elles signalent la place stratégique de la fonction décorative dans la conception architecturale et urbanistique de Vasarely : loin de déchoir en décorant, l’art trouve de la sorte un rôle social essentiel. Elles révèlent également que Vasarely ne cultive pas l’illusion d’une oeuvre d’art autonome, hors-lieu. Celle-ci doit au contraire être en situation, entrer en relation avec le lieu où elle prend place. C’est dans cette double perspective qu’il conçoit et ouvre en 1976 à Aix-en-Provence, le Centre architectonique – qui abrite la fondation portant son nom. D’une part, proposer un exemple de l’architecture qu’il imagine pour la Cité du bonheur – seize spacieux volumes articulés dont les façades arborent un grand disque noir sur fond clair, alternant avec un disque clair sur fond noir. D’autre part, montrer la situation dont il rêve pour ses oeuvres : quarante-deux intégrationsdistribuées dans de monumentales alvéoles hexagonales.

[…] En 1972, l’artiste se voit confier par la régie Renault la conception d’une nouvelle version du losange qui est l’embleme de la marque automobile. Ce logo, mis au point avec son fils Yvaral, s’inscrit dans la logique moderniste qui lie abstraction et signalétique.

[…] Au début des années 1970, Vasarely entame aussi une collaboration fructueuse avec la firme allemande de porcelaine Rosenthal qui aboutira à la création de divers produits (service de table, vases et objets décoratifs. Entre 1922 et 1926, Malévitch avait déja pensé être de son devoir de concevoir une vaisselle suprématiste.

À la « diffusion de la beauté plastique par l’intégration dans l’architecture » s’articule la « diffusion dite “démocratique” des multiples par le truchement des galeries, des éditeurs, des supermarchés » et la « diffusion informatique de l’idée plastique contemporaine par le truchement des diapositives, des films, de la télévision ». On retrouve là l’idéal d’une production de masse qui fut celui des designers du Bauhaus, de De Stijl et de ceux de l’Union des artistes modernes (UAM). L’intérêt de Vasarely pour la production en série d’impressions ou de sculptures miniatures (les Ablac, Diadal, Koeb, Kroa et autres Sir-Ris ; avère cette volonté politique de partage des formes qui marque toute l’histoire du modernisme.

[…] Dès 1952, alors que les séries Belle-Isle, Denfert et Gordes-Cristal sont en cours et qu’il pourrait se réjouir de s’affirmer comme un peintre dont la géométrie sait s’émanciper d’un post-cubisme persistant, Vasarely entrevoit déja un tout autre avenir pour la peinture : « On conçoit aisément un plasticien “scénariste”, une magistrale recréation plastique à base d’une “partition”. Il s’agit de fixer les circonstances vraies de la création pour retrouver plus tard les conditions constantes de celle-ci. » Le peintre comme scénariste, l’oeuvre comme partition. […]

Toute oeuvre n’est cependant pas « re-créable ». Toute peinture ne saurait donner lieu a de nouvelles actualisations. Il faut pour cela que son vocabulaire le permette, qu’il soit codifiable. Des peintures de Wols ou de Pollock sont probablement copiables mais ne sont pas « re-créables ». La re-créationsuppose un langage dont Vasarely jette les bases avec la série charniere Hommage à Malévitch (à partir de 1952) et qu’il parfait en 1958 et 1959 avec l’« unité plastique ». Dans un « carré-fond » de telle couleur, une forme géométrique d’une autre couleur. Tout comme les nuances chromatiques peuvent varier, les formes peuvent être orientées différemment et le carré peut alors devenir losange et le rond, ellipse. Le nombre de combinaisons que le jeu des formes et des couleurs autorise est quasi infini. « L’unité plastique multiforme est un multiple en puissance. Préfabriquée en grandes séries, elle débouchera sur l’immense trame des constructions architectoniques pour nous donner enfin la Cité polychrome. » Avec l’abécédaire de l’« unité plastique », Vasarely s’est doté d’une formule d’organisation de toute surface, la plus petite comme la plus grande.

La nouvelle politique de la forme ambitionnée par Vasarely se fonde ainsi sur une double dialectique de la sécularisation. La forme doit être utile et re-créable. Elle ne sera utile que si elle est re-créable et ne sera re-créée que pour être utile. Le cours du monde aura voulu que Vasarely trouve les moyens du partage des formes dans une société qui n’était pas celle qu’appelait un projet liant révolution esthétique et émancipation sociale. C’est en effet dans cet âge du capitalisme que l’école de Francfort a nommé tardif, dans la société postmoderne, ou triomphe le spectacle, ou tend à s’effacer la distinction entre culture savante et culture de masse et ou plus rien n’échappe au statut de marchandise, que Vasarely eut à conduire l’entreprise, typiquement moderniste, d’un art au service de la vie.
[…]