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“Fiesta Gráfica” Michel Bouvet & ses amis d’Amérique latine
à la Maison de l'Amérique latine, Paris

du 15 février au 7 mai 2019



www.mal217.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 13 février 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Giselle Monzón. Née en 1979 à Santa Clara, Cuba.
2/  Colectivo gráfico Onaire. Formé en 2007 par cinq artistes [Mariana Campo Lagorio, Gabriel M. Lopatín, Gabriel Mahia, Sebastián Puy et Natalia Volpe], Argentine.
3/  Pablo Iturralde. Né en 1971 à Quito, Équateur.

 


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Interview de Daniel Lefort, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 février 2019, durée 25'38". © FranceFineArt.
(à gauche Daniel Lefort, à droite Michel Bouvet)

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Une mosaïque de cadres couvre les murs. Grands posters, tracts, flyers, les affiches de toutes les tailles forment un puzzle graphique le long d'une palissade. Les voix fortes officielles de théâtres et des opéras et le petits cris rebelles underground qui viennent se glisser dans les interstices des rues cohabitent, vibrants de cette même énergie sud-américaine.

Alice et son monde gothique sombre, sentant bon l'encre, la plume et le pinceau rencontre une main-diable ricanant chez Alejandro Magallanes, tandis que le travail de Theo Contestin est le résultat d'un glitch informatique, d'une photocopieuse qui se bloque et bégaie le même motif sans fin. Les ombres noires de Germán Montalvo: femme-animal au chapeau bolivien ou loup sont des caractères d'imprimerie devenus organiques, se promenant sur les trottoirs ou s'allongeant sur la surface blanche du papier. Son guerrier toltèque aux membres de jaguar ou de crocodile brandit une épée qui ressemble à une tronçonneuse.

Les lettrages dessinés à la main de Mono Grinbaum recouvrent des photos de femmes d'un tatouage d'écriture, les transformant en lutteuses, en diablesses ou en Vénus du bondage sado-maso. En tuant le logo, l'affiche devient une promesse rock vivante et bruyante. Chez Jorge Alderete, l'heureux modèle glamour des années 50 et 60 se laisse envahir par des monstres mangeurs de cerveaux et des savants fous de la guerre froide, opérant des greffes innommables de têtes d'hommes sur des chiens nus. La Californie ou Acapulco servent de décor à des séries Z de science fiction dans ces affiches de concerts ska ou punk. Pour le collectif Onaire, la culture urbaine est une superposition de couches graffitées: des madones révolutionnaires, des plantes et des poissons incas, des amours et des conflits psychédéliques sont vomis par une machine à sérigraphier devenue folle. Les images et les motifs se mélangent à l'image du vacarme d'une fête de quartier populaire de Buenos Aires.

L'affiche latino-américaine prend racine dans la rue, elle en exhale les parfums, elle vibre de ses sons. La modernité s'y mélange au dessin vernaculaire, aux motifs du folklore dont elle est la descendante. L'identité est célébrée, telle la culture populaire des affiches de matches le lutte ou de concerts des barrios que reprend Natalia Iguiñiz Boggio dans ses posters politiques. L'affichage sauvage, les couleurs criardes et brutales tiennent d'un DIY punk à la photocopieuse des années 80. Les corps découpés ou recadrés en gros plans dans une vulgarité assumée sont les coups d'une graphiste-luchadora utilisant les murs de la ville comme ring.

Bien plus pacifique, Bebel Abreu édite de charmants petits livres pleins de vie, d'amour et d'humour. "É bom para o moral" réjouit de son énergie sexuelle libre, joyeuse, drôle. Le militantisme est ici véhiculé par de petites histoires poétiques et tendres ; la liberté sexuelle est défendue avec la force d'un bonheur simple et innocent. Comme quoi l'idéal libertaire n'a pas toujours besoin de gants de boxe.

L'inspiration de ces cultures, à la fois ancrées dans une identité traditionnelle et bien actuelles et vivantes, se retrouve dans le travail de Michel Bouvet. Son goût des lettrages baroques, ce sens du jeu avec des caractères de cirque ou de bal, cloutés façon rock, cherchant avec extravagance à attirer l'attention, vient de la culture populaire de la réclame, du spectacle. Le patient travail de construction de l'image à partir d'objets chinés, photographiés en petites scènes d'un théâtre de marionnettes est disséqué et montré. Des os de poulet, un crucifix, un mannequin, un petit fauteuil hérissé de pointes dans une vitrine sont les reliques du graphiste. Des petites esquisses, miniatures projets de ces affiches, ressemblent aux cartes d'un tirage de tarot. Les symboles viennent de nos contes et légendes nourrir la modernité de la ville, ses murs parlent et même chantent, une littérature ancienne venue des chansons de troubadours vient rejoindre une guitare électrique. A Fiesta Gráfica, le graphisme est vraiment une fête, pour une fois la réclame dit vrai.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires : Michel Bouvet et Daniel Lefort



Pour entamer sa saison artistique 2019, la Maison de l’Amérique latine à Paris a décidé de faire rayonner la vivacité de la création graphique dans les pays de l’Amérique d’expression latine avec pour chef d’orchestre Michel Bouvet qui a tissé des liens forts dans cette partie du monde. L’exposition Fiesta Gráfica présente les productions de vingt-six graphistes latino-américains – dont onze travaillent au sein d’ateliers collectifs – que Michel Bouvet a invités en France, en regard de son oeuvre graphique et photographique liée à l’Amérique latine.

L’exposition réunit du 15 février au 07 mai 2019 une sélection significative d’affiches et de productions graphiques réalisées dans leurs pays respectifs par ces artistes latino-américains tels que : Colectivo Onaire [Mariana Campo Lagorio, Gabriel Lopatín, Gabriel Mahia, Sebastián Puy, Natalia Volpe], Theo Contestin, El Fantasma de Heredia [Anabella Salem, Gabriel Mateu], Mono Grinbaum (Argentine), Bebel Abreu, Kiko Farkas, Rico Lins (Brésil), Martha Granados (Colombie), Idania del Río, Giselle Monzón (Cuba), Pablo Iturralde (Équateur), Jorge Alderete, Benito Cabañas, Alejandro Magallanes, Germán Montalvo, (Mexique), Celeste Prieto (Paraguay), Natalia Iguiñiz Boggio (Pérou), Atolón de Mororoa [Andrés Amodio, Zelma Borras, Diego Fernandez, Diego Prestes] (Uruguay).

Elle présente également les affiches de Michel Bouvet consacrées à des événements en Amérique latine (Las Bodas de Figaro à Montevideo, etc.) ou exposées dans les pays latino-américains, ainsi qu’une sélection de ses photographies – inédites ou publiées dans son livre Typographies parallèles – prises lors de ses voyages sur le continent.

Un livre-catalogue est édité à cette occasion sous la direction de Daniel Lefort (anciennement directeur de l’Alliance française de Buenos Aires et conseiller culturel de France dans les pays d’Amérique centrale, au Paraguay, au Pérou et en Uruguay) et de Michel Bouvet. Les textes qui suivent sont signés par Daniel Lefort.



Michel Bouvet, le graphisme et l’Amérique latine

Diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (section peinture) en 1978, Michel Bouvet s’est tourné très tôt vers l’affiche et le graphisme, domaine dans lequel il acquiert rapidement une reconnaissance internationale. Citons parmi des créations mémorables le logotype de La Fête de la Musique, l’affiche du bicentenaire de la Révolution française, la communication graphique des rencontres d’Arles,… et bien d’autres qui feront l’objet de nombreuses récompenses et reconnaissances en France (Grand Prix de l’affiche culturelle de la Bibliothèque Nationale de France en 1987 et 1992) comme à l’étranger dans les grandes biennales internationales telles que Toyama (Japon), Varsovie, Rzeszow (Pologne), Fort-Collins (États-Unis), Moscou (Russie), Taipei (Taïwan) ou Brno (Tchécoslovaquie).

Ses travaux s’affichent régulièrement dans les couloirs du métro et sur les colonnes Morris à Paris.

Féru de voyages, guidé par la soif des rencontres, il a parcouru le monde entier, et en particulier l’Amérique Latine. Il se plait à nouer de belles collaborations professionnelles, source de ses amitiés égrenées à travers le globe.

Depuis près de trente ans, il a été invité dans une douzaine de pays latino-américains, du Chili au Mexique, où il a participé à des expositions collectives sur le graphisme français, organisé plus de quinze expositions personnelles, et agit à titre de commissaire d’exposition ou de membre du jury de biennales internationales. Séduit par la radicalité à la fois formelle et politique des artistes de ces pays, il a toujours voulu exprimer son admiration et sa reconnaissance envers ses partenaires. Il s’est employé à inviter la majorité d’entre eux en France afin de les faire connaître pour mettre en valeur leur dynamisme, leur inventivité et leurs multiples talents.



Un vivier de créateur

Adeptes du graphic storming, les graphistes latino-américains mettent leur talent et leur métier au service de la société en s’intéressant aux sujets les plus brûlants – la lutte pour la liberté, le droit des femmes, la question indigène, la situation des enfants, la protection de l’environnement – et en faisant de la création graphique l’instrument de leur engagement. Si « l’affiche est un poème » (Pablo Iturralde), elle est aussi une hache de guerre contre toutes les injustices car « une bonne oeuvre graphique est synonyme de développement, de dignité humaine » (Martha Granados).

Amérique(s) latine(s) : une ou vingt ? Les graphistes ont pris le parti de se l’approprier toute entière et de questionner celle où ils vivent et s’expriment en particulier. Ils traversent avec une insolente liberté les frontières géographiques, historiques et sociales pour se nourrir des mythes et des références culturelles – anciennes ou actuelles – et les transformer par le langage des formes contemporaines. Les Argentins du collectif Onaire retrouvent le jaguar mythique associé à la langue guaranie des indigènes du Paraguay et s’inspirent de l’iconographie de l’art baroque du Haut-Pérou colonial. Celeste Prieto instaure un dialogue graphique avec les Indiens Tomaraho Chamacoco de la forêt paraguayenne à travers les dessins de la chamane Wilky. Les Mexicains Alejandro Magallanes et Germán Montalvo interrogent les fabuleuses images des Aztèques et des Mayas quand l’Équatorien Pablo Iturralde cite la chronique gravée en espagnol d’un indigène du XVIIe siècle. Les symboles nationaux et l’histoire de l’État sont magnifiés par le traitement graphique de la Colombienne Martha Granados ou mis en question par l'Équatorien Pablo Iturralde ou le Mexicain Benito Cabañas. Plus près de l’imagerie populaire, le collectif uruguayen Atolón de Mororoa met en scène la vache iconique de la pampa quand la Péruvienne Natalia Iguiñiz Boggio détourne le graphisme de l’affiche chicha et que El Fantasma de Heredia et Mono Grinbaum (Argentine) – de même que Dr. Alderete (Mexique) – retrouvent l’expression du graffitto et de la culture trash propres à la dimension urbaine des mégapoles latino-américaines. De son côté, Kiko Farkas (Mexique) convoque toute la gamme du domaine musical pour nourrir sa création graphique. L’originalité de leurs divers talents tient à une inventivité débordante, qui va d’un usage exubérant de la couleur à un emploi proliférant de la lettre manuscrite, mêlant classicisme et provocation formelle sans craindre de rompre les codes les plus éprouvés.