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“Calder - Picasso” article 2633
au Musée national Picasso, Paris

du 19 février au 25 août 2019



www.museepicassoparis.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 18 février 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Pablo Picasso, Le taureau, XIe état, 17 janvier 1946. Dessin à la plume, lavis, 32,7 x 44,4 cm. Musée national Picasso-Paris. © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda. © Succession Picasso 2019.
2/  Alexander Calder, La Grande vitesse (1:5 maquette intermédiaire), 1969. Tôle, boulons et peinture, 259 x 343 x 236,2 cm. Calder Foundation, New York. © 2019 Calder Foundation, New York / ADAGP, Paris.
3/  Alexander Calder, Four leaves and three petals, 1939. Tôle, tiges et fils métalliques peints, 205 x 174 x 135 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation, 1983. © 2019 Calder Foundation, New York / ADAGP, Paris.

 


2633_Calder-Picasso audio
Interview de Emilia Philippot,
conservatrice au Musée national Picasso-Paris et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 18 février 2019, durée 14'06". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires :
Claire Garnier, directrice des collections et de la production du Musée national Picasso-Paris
Emilia Philippot, conservatrice au Musée national Picasso-Paris
Alexander S. C. Rower, fondateur et président de la Calder Foundation
Bernard Ruiz-Picasso, co-fondateur et co-président de la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte (FABA)




Alexander Calder (1898-1976) et Pablo Picasso (1881-1973) – deux des figures les plus novatrices de l’art du XXème siècle – réinventèrent entièrement la façon d’appréhender les grands thèmes artistiques. Établir un dialogue entre les deux créateurs offre des possibilités infinies, mais un lien essentiel se tisse plus particulièrement dans leur exploration du vide, ou de l’absence d’espace, que les deux artistes ont respectivement abordé à travers leurs oeuvres, de la silhouette jusqu’à l’abstraction. Calder et Picasso jouent tous deux avec les particularités qui existent à présenter et représenter le nonespace, que ce soit en donnant forme à une soustraction de masse, comme dans les sculptures de Calder, ou en exprimant les contorsions du temps, à l’instar de nombreuses représentations de Picasso. Calder s’empare de la question du vide avec une curiosité et une ambition intellectuelle, en mobilisant des forces inédites qui défient les limites dimensionnelles. Picasso, lui, personnalise cette exploration en y intégrant une dimension plus subjective.

L’exposition présentera environ 120 oeuvres qui permettent d’étudier dans une perspective élargie comment ces deux artistes, chacun à leur manière, ont traité cette question du vide et défié le mouvement des masses.

L’exposition « Calder-Picasso » est organisée en partenariat avec la Calder Foundation, New York et la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte (FABA). Elle est co-produite avec le Museo Picasso Málaga où elle sera présentée du 23 septembre 2019 au 2 février 2020.






Parcours de l’exposition en 12 chapitres

1. Calder-Picasso
2. Capturer le vide
3. Dessiner dans l’espace
4. Le vide et le plein
5. En suspension
6. Sculpter le vide
7. Dans l’atelier
8. Vanité
9. Faire et défaire
10. La pesanteur et la grâce
11. Découper et plier
12. La grande vitesse

Toute comparaison attentive des travaux artistiques d’Alexander Calder (1898-1976) et de Pablo Picasso (1881-1973) aboutit au même constat : l’exploration du vide a été l’un des thèmes communs de leurs expérimentations plastiques, de la figuration jusqu’à l’abstraction. Les réponses apportées pour représenter le vide varient d’un artiste à l’autre, soit en matérialisant la soustraction d’une masse, comme dans la sculpture de Calder, soit en exprimant les contorsions du temps, comme dans les portraits de Picasso. Calder appréhende le vide guidé par une certaine curiosité intellectuelle, invoquant des forces invisibles qui dépassent les simples limites naturelles ou ce qu’il appelle la « grandeur immense ». L’approche de Picasso relève davantage de l’intime et abolit toute frontière entre l’auteur et son sujet.






Extrait du catalogue - Coédition Musée national Picasso-Paris/éditions Gallimard

Les règles de l’abstraction par Donatien Grau

[...]
Nous sommes invités à observer des formes et comprendre qu’elles constituent l’espace réel de conversation entre les deux artistes. Un espace qui n’est pas simplement occupé par les deux artistes en tant qu’individus, mais aussi celui où se forme le dialogue, à la fois indépendamment des artistes et conjointement avec eux. Lorsqu’on pose un regard très superficiel sur les oeuvres de Calder et de Picasso, naît immédiatement une question, la grande question de l’art moderne, à savoir celle de l’abstraction. Picasso s’est approché de l’abstraction, mais lui était hostile, allant jusqu’à affirmer : « Le sujet ne m’a jamais fait peur. [...] Il y a toujours un sujet, c’est de la blague de supprimer le sujet, c’est impossible. C’est comme si tu disais : “Faites comme si je n’étais pas là !” Ça, essaye 1 ». Pour lui, l’abstraction était le refus du sujet, de la chose dont la peinture était la représentation - cette chose pouvant être un motif, ou la couleur « vert » elle-même, mais l’œuvre était toujours la représentation de quelque chose. Picasso prolongeait simplement la chose dont la peinture était la représentation, ne la limitant pas à une scène, une image ou une anecdote. il a apporté l’art à l’art, ouvert ses possibilités et poussé la représentation à se déplacer, s’infléchir, s’étendre, se rétracter, mais en demeurant dans le champ même de la représentation. À quelques remarquables exceptions près, au sein d’une oeuvre considérable, il a toujours représenté des visages ou des animaux, sans que jamais ceux-ci soient le simple objet de la représentation, même si, à l’évidence, l’accent qu’il mettait sur l’ouverture de la représentation était un moyen de la réhabiliter à une époque où, de la fin des années 1900 au début des années 1910, elle était remise en question.

En un certain sens, la relation de Picasso à l’abstraction était analogue à celle qu’il entretenait avec l’autre grande invention de l’époque : le ready-made. Dans une œuvre comme Tête de taureau (1942), il se rapproche du ready-made, utilisant une selle de vélo et un guidon, et les assemblant en une nouvelle forme qui représente une tête de taureau. C’est une façon d’affirmer qu’il était capable de fabriquer une tête de taureau à partir de n’importe quoi, de trouver sa figure talismanique dans n’importe quel matériau. Mais c’est également un « quasi readymade », puisque le guidon et la selle sont les composants d’un objet qui a été trouvé et utilisé. Toutefois, l’objet n’est pas utilisé en tant que tel, mais recyclé : il a été désassemblé puis réassemblé. L’artiste a accompli une forme d’action. Si proche soit il du geste du ready-made, ce n’est pas une forme pure de ready-made. Il en va de même pour Vénus du gaz (1945) et bien d’autres œuvres comme Figure (1935) pour la création desquelles Picasso a recyclé des matériaux trouvés. L’antagonisme entre Duchamp et Picasso ne se réduit pas simplement à l’opposition entre un génie, producteur, instinctif recourant à n’importe quel matériau pour faire de l’art, et un intellectuel se maintenant dans le champ de son esprit, ayant réalisé le moins d’oeuvres possibles et agi le moins possible. C’est aussi là que les deux se rapprochent le plus l’un de l’autre - l’action est omniprésente, quoique subtilement, dans l’œuvre de Duchamp, et la modestie de l’acte demeure toujours une possibilité pour Picasso -, tout en restant chacun de son côté.

La proximité de Duchamp et de Calder est bien connue : le premier a baptisé « mobiles » les oeuvres du second. La relation de Calder et de Picasso est assez comparable à celle de Duchamp et de Picasso : Calder se pose aux antipodes de Picasso, dans leur rapport à l’abstraction. À l’exception des premières oeuvres, des années 1920 jusqu’au tout début des années 1930, l’essentiel du travail de Calder peut-être considéré comme explicitement abstrait. Il y a certes des exceptions, des figures dessinées et sculptées parsèment un oeuvre aussi vaste, mais la plupart restent du côté des formes abstraites. Les mobiles ne semblent pas représenter quelque réalité en particulier, quelque visage, quelque paysage : ce sont eux-mêmes des réalités. Les Constellations, définies par James Johnson Sweeney et Duchamp, ne sont pas des constellations identifiables telles que celles visibles dans les galaxies de l’univers : ce sont des formes géométriques en tension les unes avec les autres. Des oeuvres comme Objet avec disques rouges (1931) et plus encore Sphérique I (1930) ne semblent pas se rapporter à autre chose que leur forme, et cette forme ne représente pas autre chose que ce qu’elles sont : un objet sphérique et un objet non identifié accompagné de disques rouges. Cette ligne qu’il a suivie tout au long de sa vie l’a conduit à demeurer du côté de l’abstraction, même si, de temps à autre, il inclinait à la figuration, jouant même avec elle un jeu complexe et ambigu, comme dans Bouteille en bois avec cheveux (1943), dont la structure principale ne ressemble pas à une bouteille et dont les structures plus petites ne ressemblent assurément pas à des cheveux. Étrange rencontre du surréalisme, de la représentation et de l’abstraction. Une œuvre tardive, Sans titre (1976), représente manifestement une figure féminine, mais son titre, à la différence de la plupart des titres de Calder, qui signalent leur objet, n’indique pas ce qu’elle représente : une figure serait le motif, qu’on nommerait le plus aisément « figure », et pourtant elle est « sans titre ».

Il est particulièrement frappant d’observer ces mouvements contradictoires amorcés entre Picasso et Calder, l’un inclinant parfois à l’abstraction, mais demeurant en dehors d’elle et s’y opposant, l’autre y séjournant et gardant pourtant, parfois, la figure à l’esprit.

[...]

1. Cité dans Hélène Parmelin, Voyage en Picasso, Paris, Christian Bourgois, 1994, p. 56-57