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“Fables d’Orient” Miniaturistes, artistes et aventuriers à la cour de Lahore
au Musée Guimet, Paris

du 20 février au 27 mai 2019



www.guimet.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 19 février 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Imam Bakhsh Lahori, Le Cheval et le loup, Attock, 1837-1839. Gouache et or sur papier. Château-Thierry, Musée Jean de La Fontaine, inv. 68.29.1.06.(43). © Ville de Château-Thierry – Musée Jean de La Fontaine.
2/  Imam Bakhsh Lahori, Durbar de Ranjit Singh, Pakistan, Lahore, sans doute vers 1841. Gouache ou tempera (couleurs diluées à l’eau) sur carton vergé. Ancienne collection du comte Philippon. Achat 1938, BG 39753. © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier.
3/  Imam Bakhsh Lahori, Phébus et Borée, Attock, 1837-1839. Gouache et or sur papier. Château-Thierry, Musée Jean de La Fontaine, inv. 68.29.1.06.(51). © Ville de Château-Thierry – Musée Jean de La Fontaine.

 


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Interview de Amina Okada,
Conservatrice au département Inde du Musée Guimet et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 19 février 2019, durée 15'24". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires :
Sophie Makariou, Présidente du MNAAG, commissaire générale,
Amina Okada, Conservatrice (Inde)
Pierre Cambon, Conservateur (Afghanistan, Pakistan, Corée)




Un ensemble d’illustrations hautes en couleur, inédites et méconnues du grand public, révèle un aspect surprenant de la production picturale indienne dû au peintre de Lahore, Imam Bakhsh, qui officia à la cour sikhe du maharajah Ranjit Singh, dans la première moitié du 19e siècle.

L’histoire des Sikhs est intrinsèquement mêlée à celle du Pendjab et à celle d’un temps d’unification et d’expansion éphémère mais glorieux, dû à l’intelligence et la vision d’une figure exceptionnelle, le souverain Ranjit Singh (1780-1839). En 1799, Ranjit Singh s’emparait de Lahore dont il fit sa capitale, régnant sur un empire sikh étendu à tout le Pendjab. Après des temps de troubles, il rétablit l’ordre à Lahore et fut couronné maharajah en 1801. Sa dynastie sikhe dominait alors une immense majorité de musulmans et d’hindouistes, forte de ses succès militaires, bien que représentant moins de 5 % de la population. Il les obtint par la formation d’un outil militaire moderne et une armée entraînée ayant prit à son service des officiers européens dont le Français Jean-François Allard et l'Italien Jean-Baptiste Ventura, rejoints bientôt par Claude-Auguste Court et Paolo Avitabile, tous « rescapés » des gloires de l’aventure napoléonienne.

Témoignages de cette aventure française en Orient, les Mémoires du général Court (17931880), conservés à la bibliothèque du MNAAG et, plus étonnamment, un exemplaire des Fables de La Fontaine, conservé au musée Jean de La Fontaine à Château-Thierry, nous sont parvenus, illustrés par un artiste fameux de la cour de Lahore, Imam Bakhsh.

Pour les Mémoires du général Court, Imam Bakhsh produit de spectaculaires gouaches représentant des portraits de maharajahs, de dignitaires royaux et des scènes et paysages en relation avec la Cour de Lahore. La tolérance du régime sikh à l’égard des différentes religions et des étrangers y est visible et l’artiste en propose un portrait original.

Les illustrations des Fables sont le fruit d’un ambitieux projet mené par le Baron Félix Feuillet de Conches (1798-1887), chef du protocole au ministère des affaires étrangères en France. Cet admirateur passionné de Jean de La Fontaine avait entrepris de faire illustrer les Fables par des artistes du monde entier et avait passé commande, auprès de Jean-François Allard et Jean-Baptiste Ventura, pour faire réaliser, par un artiste du Pendjab, des illustrations de qualité destinées à orner les espaces laissés vierges des pages de l’édition Didot de 1827 des Fables de La Fontaine. Revisitée par Imam Bakhsh, cette série réalisée de 1837 à 1839 dans la région de Peshawar, offre une vision totalement singulière voire insolite des Fables. Doué d’une sensibilité vive pour le paysage, le peintre y cultive un attrait pour l’actualité et les atmosphères poétiques.

Enrichie de prêts du Louvre et de la Bibliothèque nationale de France, cette exposition offre une occasion unique de découvrir ces deux séries d’une richesse picturale exceptionnelle.






Présentation de l’exposition :

Introduction

L’histoire des Sikhs est intrinsèquement mêlée à celle du Pendjab et à celle d’un temps d’unification et d’expansion éphémère mais glorieux dû à l’intelligence et la vision d’une figure exceptionnelle, le souverain Ranjit Singh (1780-1839). En 1799, Ranjit Singh s’emparait de Lahore dont il fit sa capitale, régnant sur un empire sikh étendu à tout le Pendjab, prenant à l’ouest le verrou afghan de la passe de Khyber, Amritsar aux dépens des Moghols (1802), Ludhiana (1806), Kangra et Jammu (1809), Multân (1818) et enfin, au maximum de son extension au nord, le Cachemire (1819) et Peshawar (1823). Après des temps de troubles, il rétablit l’ordre à Lahore, unifia le Pendjab et fut couronné maharajah en 1801. Sa dynastie sikhe dominait alors une immense majorité de musulmans et d’hindouistes, forte de ses succès militaires, bien que représentant moins de 5% de la population. Il les obtint par la formation d’un outil militaire moderne et une armée entraînée ayant prit à son service des officiers européens dont le Français Jean-François Allard et l'Italien Jean-Baptiste Ventura, rejoints bientôt par Claude-Auguste Court et Paolo Avitabile, tous « rescapés » des gloires de l’aventure napoléonienne. Témoignages de cette aventure française en Orient, les Mémoires du général Court (1793-1880), conservés à la bibliothèque du MNAAG et, plus étonnamment, un exemplaire des Fables de La Fontaine, conservé au musée Jean de La Fontaine à Château-Thierry, nous sont parvenus, illustrés par un artiste fameux de la cour de Lahore, Imam Bakhsh.


Félix Feuillet de Conches et l’illustration des Fables de La Fontaine
En 1835, lors d’un voyage en France, le général Jean-François Allard (1785-1839) fit la connaissance du baron Félix Feuillet de Conches (1798-1887), chef du protocole au ministère des Affaires étrangères en France. Admirateur passionné de La Fontaine, Feuillet de Conches nourrissait un vaste et ambitieux projet : faire illustrer les Fables par des artistes du monde entier. « Quand partait un Ambassadeur, un Ministre plénipotentiaire, un Chargé d’affaires, un Consul, je lui remettais, avec une note dans la langue du pays où il se rendait, les feuilles du texte à illustrer » écrit-il dans ses Souvenirs. Il chargea aussitôt le général français entré au service du maharajah Ranjit Singh de l’entreprise qui lui tenait à coeur : faire réaliser, par un artiste du Pendjab, des illustrations de qualité destinées à orner les espaces laissés vierges des pages de l’édition Didot de 1827 des Fables de La Fontaine. Allard confia cette tâche à un peintre de Lahore, Imam Bakhsh Lahori – lequel s’employa, de 1837 à 1839, à l’illustration des Fables. À la mort de Jean-François Allard (1839), le général Jean-Baptiste Ventura veilla à ce que la commande fût menée à son terme.


Les Fables revisitées par un peintre de Lahore
C’est à Attock, dans la région de Peshawar, qu’Imam Bakhsh – peut-être assisté d’un ou de plusieurs aides – mena son travail d’illustrateur. Le lieu n’est pas indifférent et permet de mieux comprendre les paysages – montagnes altières aux cimes couronnées de neige se découpant sur des « ciels d’or » – tenant parfois lieu de cadre ou de décor aux récits du fabuliste, conçus sous d’autres latitudes. Le peintre disposait d’instructions détaillées et de petits résumés, rédigés en persan et précisant la séquence de la fable que Feuillet de Conches souhaitait voir illustrée – sans pour autant que la teneur générale de l’histoire ne lui soit autrement connue. Reste que l’univers narratif de ces récits animaliers, dont on sait que certains furent inspirés à La Fontaine par le Panchatantra (« Les Cinq livres ») – recueil de contes indiens antérieurs au 6e siècle et destinés à connaître de multiples métamorphoses – faisait peut-être vibrer en lui quelque corde sensible et familière, facilitant par là même l’intelligence du propos et la spontanéité et la fraîcheur de l’illustration. Cette série de Fables, est aujourd’hui l’un des joyaux du musée Jean de La Fontaine à Château-Thierry.


Le sikhisme
L’histoire des Sikhs est intrinsèquement mêlée à celle du Pendjab et à celle d’un temps d’unification et d’expansion. Elle les doit surtout à l’intelligence et la vision d’une figure exceptionnelle, le souverain sikh Ranjit Singh (1780-1839). Le sikhisme est un monothéisme né dans le Pendjab même, au début du 16e siècle. Son premier guru, Nanak (1469-1539), laissa un important ensemble d’hymnes poétiques, base du sikhisme. La primauté y est donnée à l’idée de l’absolue unité de Dieu et à l’affirmation forte d’un syncrétisme qui ne rejette pas les védas, pas plus que la Bible ou le Coran. Nanak s’opposa au système des castes et effectua le pèlerinage à La Mecque. Nonobstant, le sikhisme fut combattu à partir du 17e siècle par la dynastie moghole. Il était en effet perçu comme une forme d’hérésie, ou parfois même d’apostasie quand ceux qui s’y ralliaient étaient venus de l’islam. Neuf guru succédèrent à Nanak et poursuivirent son oeuvre ; le sikhisme est aujourd’hui une religion à part entière, née de l’intense dévotion hindouiste comme de la mystique soufie musulmane.


L’apogée du royaume de Lahore (1801-1839)
Fédérant les principautés sikhes, le maharajah Ranjit Singh (r. 1801-1839) crée un État pendjabi sur les ruines de l’empire moghol, entre le royaume afghan et l’Inde britannique. Lahore en est la capitale, Amritsar le centre religieux. Ranjit Singh fait preuve cependant d’une grande tolérance, ouvrant le pays aux techniciens européens pour moderniser son armée. « Ranjit Singh » écrit le général Court, « était en miniature un composé de Louis XI et de Napoléon Ier. ». Il en fait un portrait très humain en 1827 : « Ranjit Singh qui était alors dans sa cinquantième année, paraissait d’un âge beaucoup plus avancé. Sa taille était petite et d’une apparence chétive. Il avait le front haut, les sourcils relevés, le nez petit et retroussé, un oeil perçant mais fatigué, la bouche couverte par de longues moustaches, des joues pâles et maigres, fortement marquées de la petite vérole qui l’avait rendu borgne ; sa longue barbe grisonnante lui donnait une dignité grave ; enfin l’ensemble de sa physionomie plus douce que sévère dénotait en lui un fond de bonté qui l’a toujours caractérisé. »


La chute du royaume de Lahore (1839-1849)
Le royaume pendjabi, qu’avait créé Ranjit Singh, lui survivra dix ans. Il est annexé en 1849 par la Compagnie anglaises des Indes orientales après deux guerres Anglo-sikhes. Aucun successeur n’a la stature du maharajah, le gouvernement étant miné de l’intérieur par le jeu trouble joué par le clan des montagnards rajputs que Ranjit Singh avait luimême propulsé aux plus hauts sommets de l’État. Loyaliste du vivant du souverain, Gulab Singh, gouverneur de Jamnu, connu pour sa cruauté, cherche après sa mort à mettre la main sur le Cachemire pour assurer son pouvoir, utilisant aux dépens de Lahore l’influence de ses proches à la cour – Dhyan Singh, son frère cadet, successivement ministre sous Ranjit Singh, Kharak Singh et Sher Singh, avant de périr assassiné, lors des convulsions qui secouent le royaume, à la mort de Sher Singh, en 1843 ; mais aussi Suchet Singh, frère cadet de Dhyan Singh et favori de Ranjit Singh, avant d’être détrôné dans ce rôle de mignon par Hira Singh, le propre fils de Dhyan Singh. Partie liée avec les Anglais, Gulab Singh parviendra à ses fins dès 1846.


Court, un officier français à la cour de Lahore
« En me voyant rechercher avec tant d’ardeur les antiquités bouddhiques et bactriennes, », Ranjit Singh « me demandait si je n’avais pas la manie de courir après un trésor ». Se passionnant pour l’itinéraire d’Alexandre le Grand sur lequel il publie, le général Court se livre également à des fouilles, dans la région de Peshawar ou bien de Taxila, au stupa de Manikyala notamment, qui révèlent des monnaies indogrecques (2e siècle av. J.-C.) et kouchanes (1er-3e siècle), dynastie jusqu’alors inconnue, à côté de quelques monnaies romaines de l’époque d’Auguste. « Ce ne fut qu’en 1831, à la suite de son entrevue à Roupour [Ropar] avec le Gouverneur général Lord William Bentinck » à la tête de la Compagnie anglaise des Indes orientales, que le maharajah, impressionné par la démonstration de force de l’armée britannique, lui demande de créer de toutes pièces une force d’artillerie sur le même modèle – ce à quoi le général Court répond avec efficacité et compétence.