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“Corps impatients” Photographie est-allemande, 1980 - 1989
à l’Atelier des Forges, Les Rencontres de la photographie, Arles

du 1er juillet au 22 septembre 2019



www.rencontres-arles.com

exb.fr/fr/home/386-les-libertes-interieures-9782365112345.html

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition, le 1er juillet 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Couverture de Les Libertés intérieures, Photographie Est-Allemande 1980-1989 aux Éditions Xavier Barral, 2019. [Gundula Schulze Eldowy, de la série Berlin in einer Hundenacht (Berlin par une nuit de chien), Berlin 1987. © Gundula Schulze Eldowy.]
2/  Kurt Buchwald, de la série Unscharfe Porträts (Portraits flous) Berliner Traum – Tina Bara (Rêve berlinois – Tina Bara), 1987. © Kurt Buchwald. Extrait de Les Libertés intérieures, Photographie Est-Allemande 1980-1989 aux Éditions Xavier Barral, 2019.
3/  Sibylle Bergemann, Frieda, Berlin 1988. © Sibylle Bergemanns. Extrait de Les Libertés intérieures, Photographie Est-Allemande 1980-1989 aux Éditions Xavier Barral, 2019.

 


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Interview de Sonia Voss, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 20 juin 2019, durée 21'31". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Sonia Voss, lauréate de la Bourse de recherche curatoriale des Rencontres d'Arles.



30 ans après la chute du mur de Berlin, que sait-on en France de la photographie est-allemande ? De ce large chapitre encore trop peu connu, l’exposition met en avant la dernière décennie, par le prisme du corps. Elle entend montrer comment, dans un état autoritaire reposant sur la négation de l’individu, l’enfermement physique, la surveillance et la normativité, la photographie fut un médium par lequel les artistes ont manifesté la singularité de leur vie, de leur rapport au corps, exprimant ainsi une puissante liberté intérieure. Après trois décennies marquées par une photographie documentaire et humaniste, le début des années 1980 voit apparaître un langage plus subjectif et hybride. Sans désavouer l’héritage de leurs aînés, les photographes se détachent du réalisme subtilement critique de ceux-ci pour s’attaquer de front aux tabous sociaux et donner chair aux hommes et femmes de leur temps. Les corps, marginaux ou solidaires, mis en scène ou auto-performés, rêveurs, introspectifs, explosifs, racontent avant tout la vie qui déborde sous le couvercle de la répression, la solitude de l’individu au sein de la collectivité, l’irréductibilité du sujet.


Avec Tina Bara (1962), Sibylle Bergemann (1941-2010), Kurt Buchwald (1953), Lutz Dammbeck (1948), Christiane Eisler (1958), Thomas Florschuetz (1957), York der Knoefel (1962-2011), Ute Mahler (1949), Eva Mahn (1947), Sven Marquardt (1962), Barbara Metselaar Berthold (1951), Manfred Paul (1942), Rudolf Schäfer (1952), Gundula Schulze Eldowy (1954), Gabriele Stötzer (1953), Ulrich Wüst (1949).


Publications : Les Libertés intérieures, textes de Sonia Voss et entretiens avec les artistes, Xavier Barral, 2019 (édition française) ; The Freedom Within Us, Koenig Books, 2019 (édition anglaise).






Extrait du texte de Sonia Voss - Les Libertés intérieures aux éditions Xavier Barral, 2019.


La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, a marqué les mémoires. Nombreux sont ceux qui, en l’apprenant, ont senti se tourner une lourde page de l’Histoire, à commencer par les hommes et les femmes qui, au cours de ses quarante et une années d’existence, ont vécu dans ce pays que fut la RDA1. L’évènement a coïncidé, à quelques semaines près, avec la fin des années 1980. Une décennie qui fut décisive, aussi bien sur le plan politique qu’artistique, et qu’il faudrait en réalité, dans le cadre de cet ouvrage, faire débuter dès 1976.

Un an auparavant, en 1975, la RDA, dans ses efforts diplomatiques pour être reconnue par la communauté internationale, a signé les accords d’Helsinki, qui prévoient notamment la liberté de circulation. C’est la porte ouverte à de très nombreuses demandes de visa de sortie, qui conduisent à un flux ininterrompu de départs sans retour possible2. Au cours des années 1980, tandis que la tendance dans le reste du bloc soviétique est au dégel (la perestroïka est amorcée en 1985), les réformes en RDA marquent le pas, décourageant des citoyens déjà usés par la limitation des libertés et l’effondrement économique du pays.

Un autre évènement, en 1976, secoue le milieu intellectuel et artistique est-allemand : le chansonnier Wolf Biermann, connu pour ses paroles critiques, est invité à se produire à Cologne et apprend pendant son voyage qu’il est déchu de sa nationalité. La jeune génération qui a grandi derrière le Mur nourrit alors une désillusion politique grandissante ; elle n’adhère plus aux idéaux auxquels les parents ont cru en leur temps3. L’autoritarisme du régime a éteint les espoirs, et la décision arbitraire à l’encontre de Biermann, confirmant l’impossible entente entre les artistes et le pouvoir, provoque une puissante prise de conscience.

Partir ou rester devient dès lors le dilemme obsédant d’une génération entière. Les prétendants au départ s’exposent à des mois voire des années d’attente pour l’obtention de leur visa et subissent dans l’intervalle diffamations et représailles, qui se reportent ensuite sur les familles. Une fois de l’autre côté du Mur, les recommencements sont difficiles et l’« Ouest doré » pas forcément accueillant.

Pour les autres, la présence à soi devient une question existentielle : comment construire, maintenir, exprimer son individualité dans une société où le singulier est systématiquement sacrifié au collectif ? Où les parcours personnels, comme l’avenir du pays, sont planifiés par l’État ? Dans le domaine de l’art et de la photographie, cette normativité se traduit par le dogme du « réalisme socialiste », soit un art illustratif, optimiste, glorifiant le travailleur et la solidarité. Les recherches esthétiques, l’expérimentation, la référence aux avant-gardes sont « bourgeoises » et donc suspectes – même si les rapports entre politique et culture évoluent au fil des décennies.

Ce livre propose de découvrir la façon dont la photographie, dans ce contexte, a permis à seize artistes de formuler une posture individuelle. Stratégies subtiles ou iconoclastes, approches lucides ou inventives et chemins de traverse divers pris pour dire « je » et exprimer ainsi sa liberté intérieure sont au coeur de cet ouvrage. Un fil conducteur relie les oeuvres choisies : le corps, sa mise en scène et sa mise en abyme. D’un artiste à l’autre, le rapport à la pratique photographique diffère cependant. Certains ont, en parallèle de leur activité personnelle, travaillé pour la presse (sous contrôle), comme Ute Mahler et Sibylle Bergemann, ou enseigné dans des établissements publics, encadrés, tel Manfred Paul. D’autres ont choisi de rester dans la marginalité, comme Gabriele Stötzer, dont la vocation est née de son expérience carcérale. Si la plupart ne se voient pas en martyrs du régime, il faut souligner les pressions subies. En RDA, celui qui veut exercer son métier d’artiste sans être criminalisé au titre d’« associal » doit être admis au Verband Bildender Künstler (Union des artistes), organisation professionnelle qui règlemente l’activité de ses membres. La surveillance de la Stasi est permanente. Politiques, les travaux ci-après le sont par les visions alternatives, les essaisformels, la recherche du « vrai » dont ils procèdent, par les doutes qu’ils expriment. Ils sont nés dans l’espace de l’indépendance, le plus souven

« pour les tiroirs » ou pour l’entourage immédiat4. Les seize chapitres sont introduits par un texte à la première personne dont la variété de forme reflète la personnalité propre à chacun des artistes.

[…]


notes :

1. La chute du Mur sera suivie de la dissolution effective de la RDA (République démocratique allemande) le 3 octobre 1990.

2. 176 200 départs entre 1977 et la chute du Mur (y compris les demandeurs « achetés » par la RFA, la République fédérale d’Allemagne), selon les statistiques de la Stasi (ministère de la Sécurité d’État). Dans les années 1950, autour de 3 millions d’Est-Allemands avaient pris la fuite ; le régime avait réagi à cette menace démographique et idéologique par la construction du Mur en août 1961 et le renforcement militarisé des frontières.

3. Il faut rappeler que la RDA s’est construite au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sur les bases d’une longue tradition du socialisme en Allemagne, mais aussi d’une volonté de rupture avec le fascisme. Elle a été soutenue en ses débuts par nombre de figures intellectuelles – certaines s’y sont installées d’elles-mêmes après la guerre, comme Bertolt Brecht, Anna Seghers ou encore, justement, le jeune Wolf Biermann.

4. Dans les années 1980, le régime – par relâchement politique ou pour mieux contrôler la scène artistique – a néanmoins toléré l’existence de galeries privées qui ont permis à plusieurs artistes d’exposer leur travail. Quelques centres culturels de quartier sous contrôle de l’État, comme le Kreiskulturhaus Treptow, ont aussi présenté, à l’occasion, des expositions de photographie.