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“Stéphane Mandelbaum” article 2651
au Centre Pompidou, Paris

du 6 mars au 20 mai 2019



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition en cours de montage, le 5 mars 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Stéphane Mandelbaum, Francis Bacon (dessin n° 1), Vers 1980. Stylo-bille et ruban adhésif sur papier, 48,5 x 64,5 cm. Collection Gil Weiss, Bruxelles. © Stéphane Mandelbaum. © Roger Asselberghs /Adagp, Paris 2019.
2/  Stéphane Mandelbaum, Kischmatores (Arié Mandelbaum), 1982. Mine graphite, crayon de couleur et collage sur papier, 150 x 118 cm. Collection Géraldine et Emmanuel Poznanski, Bruxelles. © Stéphane Mandelbaum. © Roger Asselberghs /Adagp, Paris 2019.
3/  Stéphane Mandelbaum, Der Goebbel , Vers 1980. Mine graphite et gouache sur papier marouflé sur toile, 150 x 120,5 cm. © Stéphane Mandelbaum. © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dits. RMN-GP.

 


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Interview de Anne Montfort,
Conservatrice au cabinet d'art graphique du Musée national d'art moderne et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 5 mars 2019, durée 15'27". © FranceFineArt.com.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Anne Montfort, Conservatrice, Galerie d'art graphique, Musée national d'art moderne
Assistée de Macha Daniel, attachée de conservation, Musée national d'art moderne




Le Centre Pompidou ouvre le 6 mars prochain une exposition consacrée à Stéphane Mandelbaum (1961-1986), l'un des représentants les plus disruptifs du dessin des années 1980. À travers une centaine d’oeuvres, cette monographie retrace à la manière d’un récit le destin romanesque de ce jeune artiste belge, assassiné à l’âge de 25 ans.

Dans la famille Mandelbaum, le dessin est un mode d’expression naturel : Arié, le père de Stéphane, est un peintre reconnu et la mère, Pili, une illustratrice de talent. Le jeune Stéphane recourt rapidement à cette pratique pour pallier sa dyslexie, et développe des talents artistiques précoces. Il étudie à l’Académie d’art de Watermael-Boitsfort, puis en 1979, à l’école des arts plastiques et visuels d’Uccle où il s'initie à la gravure. Son oeuvre dessiné témoigne à la fois de cette formation traditionnelle et de ses rapports complexes avec l’écriture. La facture classique de ses grands portraits est corrompue par les écritures, insultes et citations qui envahissent les marges.

Pour cet artiste qui se passionne pour Rimbaud, les images et les mots forment un chant choral. Quant à ses petits croquis quotidiens plus abstraits et succincts, ils constituent une sorte de journal de bord. Multipliant les références artistiques et frayant avec l’art brut, le dessin de Stéphane Mandelbaum apparaît, aujourd’hui, étrangement contemporain dans sa capacité à transgresser les genres.



Des modèles très présents
Né d’un père juif et d’une mère arménienne, l’artiste interroge sa judaïté dès ses premières oeuvres. Il décline les portraits de son grand-père Szulim qui l’initie au yiddish, détourne les symboles, représente des dignitaires nazis, et accumule les titres et les imprécations soigneusement tracés dans des caractères hébraïques. Il cite enfin, dans de nombreux dessins, des extraits du livre Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France (1975) dont il portraiture l’auteur, Pierre Goldman, à plusieurs reprises. La vingtaine de portraits que Stéphane Mandelbaum consacre à Pier Paolo Pasolini traduit sa fascination pour l’univers esthétique de ses films, imprégné par l’art du Quattrocento. Il reprend parallèlement à son compte la volonté affichée par le cinéaste de créer une oeuvre dont l’ambiguïté interroge perpétuellement le spectateur. De la même façon, il retient de sa lecture des entretiens de Francis Bacon avec David Sylvester, l’affirmation par l’artiste britannique de la nécessité de « dégrader l’image pour lui rendre toute sa visibilité ». Son admiration pour Bacon le pousse à écrire au peintre, sans succès, puis à chercher à se mesurer à lui, en lui empruntant non seulement ses sujets mais aussi ses propres sources d’inspiration photographique.

De la fiction à la réalité
En 1985, l’artiste dédie sa première exposition bruxelloise, à la Galerie Colmant, à son père et à un proxénète notoire qu’il n’a pourtant jamais rencontré. Les grands dessins présentés choquent par le traitement précis et détaché de leur sujet, des scènes sexuelles explicites. Mais la provocation de ses images réside aussi dans le mélange entre invention (il puise ses sujets dans les magazines pornographiques, le cinéma ou les estampes japonaises) et réalité, puisqu’on reconnaît, au détour d’un visage, la mine patibulaire d’un client ou d’une prostituée désabusée du Mambo Club. Ses dessins imprégnés d’un univers sombre jouent sur tous les tabous moraux, sexuels et identitaires. Ses vies fictives semblent bientôt prendre le pas sur sa vie réelle : Stéphane Mandelbaum dessine moins et fraye avec le banditisme. Les circonstances du décès de l'artiste belge restent troubles. En janvier 1987, on découvre son corps dans un terrain vague de la banlieue de Namur. Son nom est alors cité dans diverses affaires de cambriolage, dont le vol d'un tableau de Modigliani. À la suite d'une discorde avec son commanditaire, Stéphane Mandelbaum aurait été assassiné par l'un de ses complices, laissant derrière lui ses dessins, témoins de ses démons intérieurs.


Un catalogue en coédition Éditions du Centre Pompidou / Éditions Dilecta, sous la direction d'Anne Montfort, accompagne l’exposition. L’exposition sera également présentée à Bruxelles, du 14 juin au 22 septembre 2019, au Musée Juif de Belgique.






Parcours de l’exposition :


Figures d’identification

Dès ses premières oeuvres, Stéphane Mandelbaum questionne son identité. Ses autoportraits, où l’artiste scrute son visage sans concession, évoquent la truculence de la peinture flamande et citent implicitement la bande dessinée de Hergé. Seul survivant d’une famille juive polonaise, son grand-père paternel (Szulim/Salomon), qu’il représente sous les traits d’un patriarche ou d’un héros socialiste, constitue son seul lien direct avec la culture ashkénaze de ses ancêtres. Toute la complexité de cette histoire familiale transparaît dans le portrait de son père où l’image idéalisée coexiste avec la violence de l’histoire contée dans les marges du dessin. L’artiste retrouve chez l’intellectuel d’extrême-gauche, Pierre Goldman, cité et portraituré à plusieurs reprises, la revendication de ses origines et ce désir désespéré d’une revanche historique. Pour Stéphane Mandelbaum, qui interroge inlassablement tous les tabous identitaires, la provocation à l’oeuvre dans les films et la vie de Pier Paolo Pasolini est source d’inspiration. Pasolini, comme Francis Bacon, offrent à l’artiste l’exemple d’une révolution esthétique à l’intérieur de la tradition classique. Il retient ainsi le souhait du peintre britannique de renouveler la peinture figurative par l’altération expressive de l’image. Première figure d’identification de l’artiste, Arthur Rimbaud défendait déjà cette liberté d’enfreindre les règles, pour créer un langage audacieux né de ses sensations et de ses expériences.

Figures de répulsion
Dès 17 ans, Stéphane Mandelbaum croque, dans ses carnets, les figures des dignitaires nazis qui semblent parfois cadrés par la lunette d’un fusil. Il s’arrête sur une photographie de Joseph Goebbels, prise lors du discours du 1er mai 1933, et s’en inspire dans une série de dessins au fusain, au stylo-bille puis dans un portrait grand format, à la mine graphite. Dans ce dernier, le traitement classique de la représentation fige le nazi, tel une statue, les poings serré et la bouche entrouverte. L’aspect actuel de l’oeuvre est dû à un accident, Stéphane Mandelbaum ayant choisi de recouvrir de peinture blanche, un graffiti apposé sur le dessin lors de sa première exposition. Le portrait d’Ernst Röhm et de son pendant contemporain, un punk berlinois, possèdent la même ambiguïté. Le visage débonnaire d’Ernst Röhm va à l’encontre de ce que l’histoire en a retenu, nazi de la première heure ayant aidé l’accession d’Hitler au pouvoir, antisémite notoire, assassiné, suite aux luttes de pouvoir du nouveau régime, lors de la « Nuit des longs couteaux » en 1934. Dénoncée par ses opposants comme l’indice de la corruption du nazisme, l’homosexualité affichée de Röhm fut stigmatisée par ses pairs, après son assassinat, comme la marque d’un esprit allemand dégénéré et servit d’alibi au renforcement de la persécution des homosexuels durant le troisième Reich.

Appétence culturelle
Truffés de références, les dessins de Stéphane Mandelbaum reflètent sa curiosité artistique insatiable : une figure inspirée d’une gravure de l’Hiver du peintre maniériste Arcimboldo, voisine avec un personnage extrait du Lotus Bleu d’Hergé, lui-même jouxtant un portrait repris d’une photographie d’actualité. L’évocation du Japon, que l’artiste décrit ironiquement comme le lieu de tous les fantasmes dans son mémoire de fin d’étude, est ainsi déclinée sur différents registres. Stéphane Mandelbaum joue avec les codes exotiques de l’orientalisme dans un autoportrait, reproduit avec précision des masques de théâtre Nô dans un autre dessin, ou s’approprie le sujet d’une célèbre estampe d’Hokusai, Le Rêve de la femme du pêcheur. Son intérêt pour les estampes et leur décomposition de l’espace « à plat » l’amène à restructurer des dessins. L’artiste retient enfin de la culture japonaise traditionnelle et contemporaine, au travers notamment du film d’Õshima L’Empire des sens, le pouvoir transgressif de l’image, lorsque l’art fraye avec la pornographie.

Dessins A4
Dès son enfance, Stéphane Mandelbaum dessine de manière compulsive. Parallèlement aux grands et moyens formats destinés à être exposés, il multiplie les notes graphiques sur des papiers de récupération. En 1985, son voisin et ami Gérard Preszow suggère à l’artiste de déposer régulièrement, devant sa porte, ses « scraboutchas » qu’il avait l’habitude de jeter. Ces feuilles volantes forment un journal de bord reflétant ses obsessions et ses préoccupations pratiques: listes de cambriolages, énumérations de noms de déportés, de prénoms de femmes, empreintes de rouge à lèvre, scènes de sexe explicites, accumulations d’armes, de vêtements et d’accessoires qu’il souhaiterait posséder, plans d’appartements... Dans certains croquis, il semble dresser l’inventaire de collections de porcelaines chinoises, d’ivoires, de tableaux, de statuettes et de masques africains dont certains sont directement recopiés des planches du livre de Michel Leiris, Afrique noire (1967). Dans d’autres, il planifie une future exposition ou s’imagine une carrière d’artiste international. Dans ces dessins où s’entremêlent étroitement fiction et réalité, il récapitule aussi ses vols (imaginaires pour la plupart), sa fuite et les incarcérations dans des pays étrangers qu’il n’a jamais fréquentés.

Lorsque la réalité dépasse la fiction
Dans les dernières années de sa vie, Stéphane Mandelbaum fréquente régulièrement le « Matonge » Bruxellois – ainsi nommé en référence au quartier animé de Kinshasa – et son club « Le Mambo », haut-lieu des nuits congolaises à Ixelles. Il y côtoie des prostitués, des souteneurs, des voleurs et des escrocs dont il fait de ses oeuvres, le sujet principal. La plupart de ses sujets trouvent, en fait, leur origine dans des photographies découpées dans des magazines pornographiques. L’artiste les dote ensuite d’une personnalité propre en les représentant dans différentes situations (José, Mama Posine), ou en changeant au besoin leur sexe, comme pour « Ado », The Fabulous. Si la déformation des visages s’accentue, l’attention au moindre détail demeure aigüe. Les personnages semblent poser dans certains dessins en plan large, et leurs regards interrogateurs transforment le spectateur en voyeur. Dans ses sombres portraits expressionnistes, la frontière entre fiction et réalité s’estompe. Les feuilles A4 que Stéphane Mandelbaum couvrent quotidiennement de petits croquis laissent entrevoir cette même confusion entre vie réelle et imaginaire.