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“Isidore Isou” article 2652
au Centre Pompidou, Paris

du 6 mars au 20 mai 2019



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition en cours de montage, le 5 mars 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Isidore Isou, Traité de bave et d’éternité, 1951. Film cinématographique 35 mm noir et blanc, sonore, 123’25, durée 123’25”. Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderneCentre de création industrielle. © Adagp, Paris 2019. © Centre Pompidou, MNAM-CCIGeorges Meguerditchian/Dist. RMN-GP.
2/  Isidore Isou, Réseau centré M67, 1961. Huile sur toile, 73 x 60 cm. Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle. © Adagp, Paris 2019. © Centre Pompidou, MNAM-CCIGeorges Meguerditchian/Dist. RMN-GP.
3/  Isidore Isou, Traité de bave et d’éternité, 1951. Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne Centre de création industrielle. © Adagp, Paris © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Service de la documentation photographique du MNAM/Dist. RMN-GP.

 


2652_Isidore-Isou audio
Interview de Nicolas Liucci-Goutnikov,
conservateur au Musée national d'art moderne et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 5 mars 2019, durée 13'00". © FranceFineArt.com.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur, Musée national d'art moderne
assisté de Diane Toubert, chargée de recherches, Musée national d'art moderne




Du 6 mars au 20 mai 2019 et dans le cadre de sa saison roumaine, le Centre Pompidou propose une importante exposition monographique dédiée à Isidore Isou. Artiste et théoricien, tout à la fois poète, peintre, cinéaste et dramaturge, Isidore Isou déclarait, en 1950, avoir « un monde entier à conquérir ».

Construite autour des archives récemment acquises par le Centre Pompidou, l’exposition rend compte de la richesse de cet oeuvre résolument hors norme à travers un corpus mêlant tableaux, films, objets, dessins et publications.

« C’est un Nom et non un maître que je veux être », écrivait Isidore Isou en 1947. De fait, arrivé à Paris en août 1945, à l’âge de 20 ans, Isou s’est déjà fait connaître. Il a rencontré des personnalités du monde intellectuel telles qu’André Breton, André Gide ou Tristan Tzara, avec et contre lesquelles il s’affirmera comme l’un des derniers champions des avant-gardes. Aux côtés de Gabriel Pomerand, il fonde le lettrisme, proclamé en 1946 lors d’une scandaleuse intervention au théâtre du Vieux- Colombier.

Avec le soutien de Jean Cocteau et de Jean Paulhan, Isou est publié à La Nouvelle Revue française en 1947. Son essai théorique, Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique, jette les fondements du lettrisme : Isou y décrit la phase de décomposition dans laquelle la poésie est entrée depuis Baudelaire et déclare l’avènement de la lettre, stade ultime de ce processus de purification. La lettre, et plus généralement le signe, constitueront pour lui le socle possible d’un renouvellement total des arts.

Graphomane sans limites, Isou rédige plusieurs centaines d’ouvrages témoignant de l’extension de sa réflexion à d’autres disciplines : arts plastiques, architecture, politique, économie, mathématiques, médecine, psychologie ou érotologie seront étudiées à l’aune de la « kladologie », méthode d’invention applicable à l’ensemble des branches de la culture. En 1976, ses recherches sont synthétisées dans une titanesque somme théorique, La Créatique ou la Novatique.

Isou s’entoure tout au long de sa vie de compagnons de route aux côtés desquels il mettra à l’épreuve ses idées et produira une oeuvre plastique conséquente. Certains, comme Maurice Lemaître, resteront longtemps proches de lui et joueront un rôle déterminant dans les réalisations du lettrisme. D’autres passeront de façon plus fulgurante à travers le mouvement, en en tirant de précieux enseignements, à l’instar de Guy Debord.

Car les concepts inventés par Isou sont nombreux et souvent précurseurs : il annonce indubitablement par son oeuvre et sa pensée certaines grandes inflexions de l’histoire de l’art. L’« hypergraphie », la « mécaesthétique », l’« art infinitésimal » ou le « cadre supertemporel » correspondent ainsi à des pratiques essentielles dans l’art de la seconde moitié du 20e siècle. La prescience d’Isou se manifeste également dans d’autres domaines : la place cruciale qu’il accorde à la jeunesse dans sa théorie politique trouvera un écho certain dans la pensée situationniste comme dans les revendications de mai 1968.


Un catalogue, publié par les éditions du Centre Pompidou et sous la direction de Nicolas Liucci-Goutnikov, accompagne l’exposition.






Le parcours de l’exposition :

Amplique et ciselant

Les débuts fracassants du lettrisme, en janvier 1946, font connaître Isidore Isou du monde intellectuel parisien. À l’instar de dada, le groupe lettriste provoque le scandale lors de multiples irruptions, conférences et récitals orchestrés dans des lieux-cultes de Saint- Germain-des-Prés. En 1947, soutenu par Jean Cocteau et Jean Paulhan, Isou publie l’Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique. Il y observe l’existence de deux phases dans l’histoire de la poésie : une phase amplique, caractérisée par le perfectionnement des moyens de représentation du réel, précède une phase ciselante, qui voit la poésie se retourner vers ses matériaux essentiels. La lettre, stade ultime de ce processus de décomposition, constitue pour Isou le socle d’un possible renouvellement. Elle donne naissance à la radicalité d’une poésie sonore engageant le corps, ainsi qu’à de premiers « dessins lettristes » attestant une porosité fondatrice entre médiums. De fait, Isou applique sa « loi des deux hypostases » aux autres disciplines artistiques et s’attache à précipiter les moins « évoluées » d’entre elles – le cinéma, la photographie, le théâtre ou le ballet - dans la phase ciselante.

Hypergraphie
Arrivée au terme de la phase de décomposition, chaque discipline artistique doit à nouveau entrer dans une phase amplique et découvrir de « nouvelles beautés ». Théorisée par Isou en 1950, l’hypergraphie repose sur la création et le développement de systèmes de signes organisés – alphabets, idéogrammes ou pictogrammes. Pratiquée par Gabriel Pomerand dès 1949, elle est mise à l’épreuve par Isidore Isou et Maurice Lemaître l’année suivante. Les romans hypergraphiques imposent à leur public une nouvelle appréhension du langage. Des chaînes de signes mixtes, partiellement ou totalement inventés, coupent la possibilité d’une lecture conventionnelle et appellent au déchiffrement, par exemple sur le mode du rébus. Dans ce principe de transgression des régimes notationnels en faveur d’un « système intégral de communication », la page imprimée se charge d’une valeur plastique avec l’apparition à sa surface de signes graphiques. À l’inverse, la peinture acquiert une valeur linguistique, exigeant d’être lue autant que vue.

Peinture hypergraphique
En 1961, Isou souhaite manifester son inventivité dans le domaine pictural. En deux ans, il réalise ainsi plus de deux cents oeuvres, la plupart à l’huile sur toile. Cette prolificité s’explique par la volonté d’Isou de démontrer la richesse de l’hypergraphie, sa capacité à engendrer de multiples propositions plastiques. Il s’agit aussi pour lui de réaffirmer sa position de leader au sein du groupe lettriste, quand Gabriel Pomerand ou Maurice Lemaître s’investissent très tôt dans la pratique picturale. Parmi les réalisations des années 1961-1962, de nombreuses toiles – comme Incrustations dans le brouillard ou la série des « Réseaux » – évoquent les abstractions lyriques alors en vogue. Tentant une « réconciliation » avec d’autres « peintres du signe », Isou et les lettristes exposent leurs peintures hypergraphiques en 1963, à la galerie Valérie Schmidt, aux côtés de celles de Jean Degottex, Hans Hartung, Georges Mathieu, Pierre Soulages ou Zao Wou-Ki.

Du cadre supertemporel à la méca-esthétique
Tout au long de sa vie, Isidore Isou ne cesse de développer le système théorique dont il a posé les bases en 1947. Partant du principe qu’« un apport inédit doit être nommé d’une façon inédite », Isou invente autant de noms qu’il invente de concepts. La dimension ésotérique de ces néologismes souvent empruntés au grec ancien masque largement la contemporanéité de la pensée d’Isou. Ainsi, en 1956, l’« art infinitésimal » intègre la possibilité de signes « virtuels », c’est-à-dire d’oeuvres dématérialisées obtenues à partir de notations. Dérivant de l’« art infinitésimal », le « cadre supertemporel » permet au spectateur une participation infinie à la création de l’oeuvre, au sein d’un cadre défini préalablement par l’artiste. Quatre ans plus tard, en 1960, la « méca-esthétique » pousse à son paroxysme l’héritage du readymade en proposant l’utilisation extensive des « ressources » physiques ou imaginaires à disposition de l’artiste, afin de créer de nouvelles « combinaisons » plastiques.