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“Les Nabis et le décor” Bonnard, Vuillard, Maurice Denis...
au Musée du Luxembourg, Paris

du 13 mars au 30 juin 2019



www.museeduluxembourg.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 11 mars 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Paul Ranson, Trois femmes à la récolte, 1895. Peinture à la colle sur toile, 35 x 195 cm. Saint-Germain-en-Laye, musée départemental Maurice Denis. © D. Balloud.
2/  Maurice Denis, Arabesque poétique dit aussi L’Echelle dans le feuillage, 1892. Huile sur toile montée sur panneau de bois, 235 x 172 cm. Saint-Germain-En-Laye, musée départemental Maurice Denis. © Rmn - Grand Palais / Gérard Blot / Christian Jean.
3/  Edouard Vuillard, Le Corsage rayé, 1895. Huile sur toile, 65,7 x 58,7 cm. Washington, National Gallery of Art, Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon, 1983.1.38. © Washington, National Gallery of Art.

 


2664_Nabis audio
Interview de Isabelle Cahn,
conservatrice générale des peintures au musée d’Orsay et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 11 mars 2019, durée 6'13". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Isabelle Cahn, conservatrice générale des peintures au musée d’Orsay
Guy Cogeval, directeur du Centre d’études des Nabis et du symbolisme




Aucune exposition en France n’a encore été consacrée à l’art décoratif des Nabis. Il s’agit pourtant d’un domaine essentiel pour ces artistes qui voulaient abattre la frontière entre beaux-arts et arts appliqués. Dès la formation du groupe, à la fin des années 1880, la question du décoratif s’impose comme principe fondamental de l’unité de la création. Cette conception qui n’était pas entièrement nouvelle, tirait ses origines de la pensée de William Morris qui fut avec John Ruskin l’initiateur du mouvement Arts & Crafts en Angleterre dans les années 1860. Le mouvement parti d’Angleterre essaima en Espagne avec le modernisme catalan, en Belgique avec Victor Horta, Van de Velde et Paul Hankar, en France puis dans toute l’Europe. L’art décoratif des Nabis s’inscrit dans un courant global de renouveau défendu et popularisé par Siegfried Bing dans sa galerie de l’Art nouveau. Il constitue une expérience spécifique d’art total basée sur un dialogue entre les artistes et une admiration commune pour l’art du Japon.

L’intérêt des Nabis pour l’ornemental occupe une place importante dans leur création en leur permettant d’élargir leurs expériences techniques dans le domaine de la peinture – de chevalet mais aussi sur paravent et éventail -, de l’estampe, de la tapisserie, du papier peint, du vitrail. Fascinés par les estampes japonaises qu’ils découvrent à l’occasion d’une exposition organisée en 1890 à l’Ecole des beaux-arts de Paris, ils s’inspirent de ces images expressives pour mettre au point une nouvelle grammaire stylistique. En proscrivant l’imitation illusionniste et en affirmant la planéité naturelle du support, les Nabis ont développé un art aux formes simplifiées, aux lignes souples, aux motifs sans modelé, destiné à agrémenter des intérieurs contemporains. Leurs compositions se distinguent par l’emploi de couleurs vives, de lignes ondulantes, de perspective sans profondeur avec des motifs soulignés d’un cerne pour mieux les détacher du fond.

Véritables pionniers du décor moderne, Bonnard, Vuillard, Maurice Denis, Sérusier, Ranson, ont défendu un art en lien direct avec la vie permettant d’introduire le Beau dans le quotidien. Ils prônent une expression originale, joyeuse, vivante et rythmée, en réaction contre l’esthétique du pastiche qui était alors en vogue. « Notre âge ne hait rien tant que les répétitions, affirmait Roger Marx, les recettes héritées du passé, il est tourmenté par l’appétence de l’interdit, il convoite le frisson nouveau ; échapper à la hantise du ressouvenir, bannir ce qui est voulu, enseigné, telle est son ambition, sinon sa règle. »

L’exposition au musée du Luxembourg permettra de reconstituer des ensembles décoratifs qui ont été démantelés et dispersés au cours du temps. Parallèlement à la peinture, elle consacrera une part significative aux créations des Nabis dans le domaine de la tapisserie, du papier peint, du vitrail et de la céramique. Son parcours articulé en quatre sections aborde le sujet à travers des thèmes importants comme l’association symbolique de la femme et de la nature dans les oeuvres de jeunesse de Bonnard, Maurice Denis, Vuillard et Ker-Xavier Roussel, ou encore le thème des intérieurs chez Vuillard. Y sera également évoquée la contribution de ces artistes aux innovations encouragées par Bing dans sa galerie de l’Art nouveau. L’exposition se conclura sur la présentation de décors à thèmes sacrés évoquant l’engouement de certains Nabis pour l’ésotérisme et le spirituel.






Extrait du catalogue de l’exposition

Sur les murs : entre rêve et réalité
par Isabelle Cahn, conservatrice générale des peintures au musée d’Orsay et co-commissaire de l’exposition.

[...] L’idée de décor moderne émergea à la fin des années 1880 au moment où une nouvelle génération d’artistes succédant aux impressionnistes fit son apparition sur la scène parisienne. En cette fin de siècle dynamique, la société appelait une refondation esthétique et l’avènement d’un art nouveau destiné à embellir les demeures. Cet élan en faveur de la liberté de création coïncidait avec la célébration du centenaire de la Révolution française. L’Exposition universelle de 1889 présentait la vitrine idéale d’une société occidentale au visage ambivalent, dominée par la croyance dans le progrès scientifique et technique comme vecteur de développement universel sur fond d’expansion coloniale. Les cultures du monde entier se trouvaient réunies dans l’enceinte de l’Exposition sous la forme de pavillons autonomes qui permettaient de faire cohabiter pacifiquement les peuples des cinq continents. Dans un périmètre relativement restreint, des productions vernaculaires voisinaient avec des ouvrages issus des dernières technologies, comme la tour Eiffel, le chemin de fer Decauville ou la fontaine lumineuse de Coutant avec ses gerbes animées par l’électricité. Ces attractions spectaculaires enthousiasmèrent les foules. Pendant six mois, l’Exposition universelle invita des millions de visiteurs de tous les pays à élargir leur horizon ordinaire en stimulant leur imagination. C’est dans ce contexte euphorique qu’un groupe de jeunes artistes émergea avec l’idée d’un art essentiellement décoratif qui abolirait les catégories traditionnelles de la création. Ils se disaient prophètes d’un art nouveau. [...]

[...] Les prophètes d’un art nouveau

[...] Les Nabis furent parmi les premiers à pointer cet écart entre décor suranné et temps modernes. Leur réflexion s’inscrivait dans un contexte de renouveau esthétique mené par des peintres comme Gauguin, Van Gogh et Seurat, qui proposaient des formules basées sur des théories scientifiques ou des réflexions en lien avec le symbolisme. L’histoire des Nabis commença à l’automne 1888 lorsque Paul Sérusier dévoila à ses condisciples de l’Académie Julian un petit tableau réalisé à Pont-Aven en suivant les conseils de Gauguin. Au lieu d’un paysage identifiable, la composition se présentait comme un assemblage de surfaces de couleurs lisses, simplifiées, juxtaposées. Cette pochade sans perspective, sans dégradé ni ombre, illustrait de manière radicale les recherches d’une peinture antinaturaliste où le tableau exprime une vision mentale. Quelques mois plus tard, les Nabis eurent l’occasion de voir pour la première fois la peinture de Gauguin, dont ils avaient beaucoup entendu parler, en visitant une exposition organisée au café Volpini, dans l’enceinte de l’Exposition universelle de 1889. Les murs de l’établissement étaient recouverts de toiles et de gravures signées Paul Gauguin, Émile Bernard et d’autres peintres. « Quel éblouissement d’abord, se remémorait Maurice Denis, et ensuite quelle révélation ! Au lieu de fenêtres ouvertes sur la nature, comme les tableaux des impressionnistes, c’étaient des surfaces lourdement décoratives, puissamment coloriées et cernées d’un trait brutal, cloisonnées, car on parlait aussi à ce propos de cloisonnisme et encore de japonisme. Nous retrouvions, dans ces oeuvres insolites, l’influence de l’estampe japonaise, de l’image d’Épinal, de la peinture d’enseigne, de la stylisation romane. » Le premier noyau du groupe des Nabis constitué autour de Paul Sérusier comprenait les peintres Paul-Élie Ranson, Pierre Bonnard, Édouard Vuillard, Maurice Denis, tous élèves chez Julian. Ils furent bientôt rejoints par Henri-Gabriel Ibels, Georges Lacombe, Aristide Maillol, József Rippl-Rónai, Ker-Xavier Roussel, Félix Vallotton, Jan Verkade. Chaque artiste reçut un surnom comme dans une société secrète. Les sobriquets commençaient tous par le terme nabi suivi d’un qualificatif particulier ; Vuillard, qui venait d’effectuer son service militaire, était surnommé le « nabi zouave », Denis, qui vénérait la peinture des Primitifs italiens, le « nabi aux belles icônes », Sérusier le « nabi à la barbe rutilante » en raison de la couleur rousse de sa pilosité. Un humour potache caractérisait les réunions du groupe, qui ne se prenait pas trop au sérieux tout en caressant un rêve ontologique. Les Nabis cependant ne tardèrent pas à se diviser avant de se séparer définitivement en 1900. [...]

[...] Fantaisies et rêves modernes

[...] La question de l’amour et du mariage et celle de la place des femmes dans la création étaient au coeur des discussions des artistes novateurs. Guidé par les idées de Wagner, Gauguin conseillait à la jeune Madeleine Bernard – encore adolescente – de se séparer de son milieu d’origine comme l’héroïne Ondine pour trouver sa propre voie. Il prônait l’amour libre comme le faisaient alors les anarchistes ainsi que beaucoup d’intellectuels et d’artistes dans la mouvance libertaire. Les pièces d’Ibsen, de Strindberg et de Bjørnson, montées pour la première fois à Paris en 1887 au Théâtre d’art de Paul Fort puis, à partir de 1893, au théâtre de l’OEuvre de Lugné-Poe, interrogeaient la notion de famille, d’hérédité et de transmission. Les Nabis, qui connaissaient bien ce répertoire pour avoir participé à la réalisation de ses décors, ainsi que les idées d’Ibsen, exprimèrent dans leurs œuvres une certaine tension entre la figuration d’une féminité pleine de charme destinée à être contemplée agréablement et la possibilité d’une action autonome chez la femme. Il serait tentant de voir dans la représentation élégante et mutine de certains modèles de Bonnard non seulement des muses modernes, des inspiratrices, mais aussi des figures de la modernité, comme Misia vantant La Revue blanche ou d’autres égéries anonymes regardant des estampes ou plongées dans la lecture de journaux. Les compagnes des artistes jouèrent un rôle important à leurs côtés : elles enluminèrent les cadres de leurs tableaux, tissèrent des tapisseries, brodèrent des motifs d’après des modèles dessinés par eux. Ces collaborations restaient malgré tout cantonnées dans un rôle traditionnel secondaire les associant aux arts d’agrément. La question de la place des femmes était d’autant plus centrale chez les Nabis que l’embellissement des intérieurs relevait de leur domaine. Ce sont elles qui choisissaient les papiers peints et les bibelots destinés à agrémenter les appartements. Les commandes de décors muraux restèrent néanmoins du ressort masculin – à l’exception des panneaux peints par Bonnard pour Misia entre 1906 et 1910 –, probablement en raison de leur caractère plus pérenne et plus coûteux. Les premiers commanditaires de Vuillard s’appelaient Paul Desmarais, Alexandre et Thadée Natanson, Henri Vaquez. Les décors des Nabis conçus pour des intérieurs privés furent démantelés à l’occasion de déménagements ou de ventes après décès. Il est aujourd’hui difficile, voire impossible, de les reconstituer et d’imaginer leur effet dans leur lieu d’origine lorsqu’ils étaient placés dans des boiseries, entre des portes et des fenêtres.

Les décors des Nabis restent un domaine encore peu étudié et largement méconnu du public français. Cette exposition permet de mettre à l’honneur des exemples remarquables de cette production rare qui relève autant d’une esthétique nouvelle que d’idées modernes et audacieuses. L’utilisation par Vuillard et Bonnard de la technique de la détrempe à la colle, une peinture mate, fine et fragile expérimentée pour des décors de scène éphémères, ajoute un caractère précieux et fragile à leurs créations. [...]