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“La Collection Emil Bü̈hrle” article 2666
au musée Maillol, Paris

du 20 mars au 21 juillet 2019



www.museemaillol.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 19 mars 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Paul Cézanne, Le Garçon au gilet rouge, 1888-1890. Huile sur toile, 79,5 x 64 cm. Collection Emil Bührle, Zurich. © SIK-ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn).
2/  Vincent van Gogh, Branches de marronniers en fleur, 1890. Huile sur toile, 73 x 92 cm. Collection Emil Bührle, Zurich. © SIK-ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn).
3/  Edouard Manet, Les Hirondelles, 1873. Huile sur toile, 65 x 81 cm. Collection Emil Bührle, Zurich. © SIK-ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn).

 


2666_Collection-Buhrle audio
Interview de Lukas Gloor,
directeur et conservateur de la Collection Emil Bührle et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 19 mars 2019, durée 25'30". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Lukas Gloor, directeur et conservateur de la Collection Emil Bührle, Zurich.



Au printemps 2019, le musée Maillol accueille les chefs-d’oeuvre de la Collection Emil Bührle, une des collections particulières les plus prestigieuses au monde. Présenté pour la première fois en France, cet ensemble, réuni entre 1936 et 1956 à Zurich, propose un panorama de l’art français du XIXe et du début du XXe siècle.

Né en Allemagne, Emil Georg Bührle (1890-1956) s’établit en Suisse en 1924 et rassemble, surtout entre 1951 et 1956, plus de 600 oeuvres d’art. Pour la première fois à Paris, une partie d e ces chefs-d’oeuvre est présentée et réunie au sein d’une même exposition.

Dévoilant une soixantaine de trésors de la Collection Emil Bührle, l’exposition parcourt plusieurs courants de l’art moderne : les grands noms de l’impressionnisme (Manet, Monet, Pissarro, Degas, Renoir, Sisley) et du postimpressionnisme (Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Toulouse-Lautrec), les débuts du XXe siècle avec les Nabis (Bonnard, Vuillard), les Fauves et les Cubistes (Braque, Derain, Vlaminck), et l’École de Paris (Modigliani), pour finir avec Picasso.

En attendant son emménagement permanent dans la nouvelle extension du Kunsthaus de Zurich, la Collection Emil Bührle s’offre une visibilité nationale et internationale. Après la Fondation de l’Hermitage à Lausanne en 2017 et trois musées majeurs au Japon en 2018, le musée Maillol aura le privilège de montrer des chefs-d’oeuvre tels que La petite danseuse de quatorze ans de Degas (vers 1880), Les coquelicots près de Vétheuil de Monet (vers 1879), Le garçon au gilet rouge de Cézanne (vers 1888/90), ou encore Le semeur au soleil couchant de Van Gogh (1888).

Leur confrontation soulignera les liens et les filiations entre les courants artistiques à travers différentes époques, tout en illustrant l’apport personnel de chacun des peintres à l’histoire de l’art. Emil Bührle, pour qui les créations passées influençaient celles du présent, aimait préciser que « finalement Daumier me conduisait à Rembrandt et Manet à Frans Hals ».

L’exposition propose un témoignage historique majeur, présentant l’histoire de cette collection d’un industriel suisse pendant la Seconde Guerre mondiale et de la décennie qui a suivi. Des documents d’archives et des photos de l’époque évoqueront le parcours des oeuvres ainsi que les rapports de Bührle avec les marchands à Paris.






Conférence du 14 juin 1954 : « l’origine de ma collection »

Le 14 juin 1954, Emil Bührle prononce un discours à l’Université de Zurich. Il y présente alors sa collection et explique comment il l’a constituée. De façon imagée, il explique comment et pourquoi, au fil du temps, il choisit d’élargir sa collection :

« Je voudrais employer une image : lorsqu’on jette un caillou dans l’eau, il se forme un premier cercle, puis un second, un troisième et ainsi de suite, selon la force du jet. Je vais vous raconter maintenant, en gardant l’image, comment, où et quand le caillou est tombé dans l’eau et quels sont les remous concentriques qui en résultèrent. » *

Au début de son discours, il souligne à son auditoire que son histoire débute à « l’époque si insouciante qui précéda la grande tragédie mondiale dont le déroulement est loin d’être achevé. »

En 1909, le lycéen Emil Bührle étudie la littérature, la philosophie et l’histoire de l’art. C’est à Berlin qu’il découvre « pour la première fois, en automne 1913, les magnifiques tableaux de l’École française que le génial Suisse Hugo von Tschudi, directeur de la Galerie nationale, avait acquis malgré la colère de l’empereur allemand. »

Il souligne : « L’atmosphère propre à ces tableaux, et surtout celle du paysage si évocateur de Vétheuil par Claude Monet, m’impressionna vivement. »

« C’est exactement à cette heure-là, devant les oeuvres de ces peintres français, que le caillou tomba dans l’eau, et c’est à partir de cet instant que ma décision était prise que, si jamais je pouvais songer à garnir mes murs de tableaux de maîtres, ce serait un choix de Manet, de Monet, de Renoir, de Degas et de Cézanne.
[...] N’oubliez pas que, en 1913, si les impressionnistes, et surtout Cézanne et aussi Van Gogh, ne rencontraient plus le même mépris qui les avait entourés jusqu’à la fin du siècle passé, ils n’en étaient pas moins très contestés et qu’ils étaient refusés par bien des musées.
 »

Puis, le collectionneur fait référence à la Première Guerre mondiale : « ce furent les coups de feu de Sarajevo en plein été 1914, et la guerre, où je fus engagé à partir du mois de septembre jusqu’à la fin, combattant sur les fronts les plus divers. »

Il précise qu’il choisit alors de « séparer les préoccupations de l’amateur d’art de celles du professionnel. »

Bührle reprend ensuite sa métaphore :
« Ce n’est qu’en 1936 que survint la première vague circulaire dans l’eau où était tombée la pierre ; je pus acheter, d’entente avec ma femme, toujours pleine d’enthousiasme, le premier dessin de Degas et une nature morte de Renoir. Ce premier cercle comprenant des oeuvres de Corot, de Van Gogh et de Cézanne, se compléta rapidement et forma le centre de ma collection. Peu à peu s’ajouta un remous qui englobait les Fauves et les Romantiques, dont Delacroix et Daumier. Daumier me ramena à Rembrandt, et Manet à Frans Hals. Arrivé aux peintres du XVIIe siècle, les Hollandais et les Flamands ne pouvaient manquer. Un troisième cercle contint les peintres français de la fin du XVIIIe siècle et les modernes. La parenté esthétique des impressionnistes avec les Vénitiens du XVIIIe me suggéra les noms de Canaletto, de Guardi et de Tiepolo. »

Il déclare que l’idée d’une exposition générale de sa collection le préoccupe depuis longtemps et conclut son discours par sa définition du collectionneur : « Je dirais plutôt qu’un vrai collectionneur est au fond un artiste manqué. Le collectionneur se caractérise par la qualité de son choix et par la réunion judicieuse des oeuvres d’art. »


* Extraits du discours prononcé en 1954. Le discours est disponible dans son intégralité dans le catalogue de l’exposition.






Les oeuvres d’art spoliées ou « en fuite » dans la collection Emil Bührle

La salle 3 de l’exposition au musée Maillol présente des documents et des archives de la Fondation Bührle, permettant de comprendre la provenance de quelques œuvres qui ont connu un historique particulièrement difficile dû aux événements de la Seconde Guerre mondiale.


Les oeuvres d'art spoliées en France pendant la Seconde Guerre mondiale

À la fin de la guerre, en 1945, l’officier Douglas Cooper, chargé par les Alliés de la récupération des oeuvres d’art confisquées par les autorités allemandes en France occupée et transférées en Suisse, identifiait 77 oeuvres auprès de divers marchands et collectionneurs, dont 13 se trouvaient chez Emil Bührle. Ces oeuvres ont fait l’objet de plusieurs procès en 1948 devant la Chambre des biens spoliés du Tribunal fédéral suisse, mise en place par un décret du Conseil fédéral du 10 décembre 1945. Cette juridiction a confirmé le caractère illégitime des confiscations perpétrées en France et a qualifié les oeuvres citées d’ « art spolié ». Conformément à une législation exceptionnelle, cette décision ordonnait une restitution immédiate, même en cas d’acquisition de bonne foi. Immédiatement après le procès, Emil Bührle proposait aux propriétaires, identifiés par la Cour, de leur racheter les oeuvres. Des 5 propriétaires en question, 3 acceptaient cette proposition et 9 oeuvres rentraient dans la Collection Emil Bührle, parfois après de longs échanges dus à des difficultés de succession. Les 4 oeuvres qui n’étaient pas à disposition furent restituées.

Aujourd’hui, on trouve dans la Collection Emil Bührle, 7 oeuvres d’art spoliées (en 1941), achetées par Bührle une première fois auprès de la galerie Fischer à Lucerne (en 1942), juridiquement restituées (en 1948) et rachetées une deuxième fois (entre 1948 et 1951). C’est le cas de quatre tableaux présentés dans cette exposition : La liseuse de Camille Corot, Été à Bougival d’Alfred Sisley, Avant le départ et Danseuses au foyer d’Edgar Degas, restitués et rachetés, respectivement, à Paul Rosenberg et aux héritiers de Moïse Lévi de Benzion et d’Alphonse Kann. En 1948, les procès d’art spolié ne représentaient qu’une partie des cas traités par la Chambre des biens spoliés du Tribunal fédéral. La plupart des cas concernait des actions et des titres boursiers, qui furent restitués à leurs propriétaires. Ceux-ci ont réintégré le cours normal des échanges économiques suite à leur restitution (vente, réinvestissement, partages successoraux) et ne sont plus identifiables aujourd’hui contrairement aux oeuvres d’art, objets témoins de l’Histoire.

La Fondation Bührle contribue à ce travail de mémoire et publie des recherches sur l’histoire de la Collection Emil Bührle – en tenant compte du fait que cette collection a été constituée principalement dans les dix années qui ont suivi la fin de la guerre, période durant laquelle les oeuvres d’art spoliées, une fois restituées, étaient disponibles sur le marché de façon légale.


Les oeuvres d’art dit « en fuite »

À la différence du terme « art spolié », qui s’appuie sur des fondements juridiques clairs, la notion d’ « art en fuite » n’est pas définie précisément. Elle a été employée pour la première fois dans le volume rédigé par Esther Tisa, Anja Heuss et Georg Kreis, Bien en fuite, bien spolié, le transfert des biens culturels dans et à travers la Suisse entre 1933 et 1945 et la question de la restitution (Zurich, 2001), faisant partie des publications dirigées par la Commission Indépendante d’Experts Suisse-Seconde Guerre mondiale, installée en 1996 par l’Assemblée fédérale suisse (« Rapport Bergier »). Le « bien en fuite » appliqué à l’art désigne des « biens culturels qui ont été transportés en Suisse par leurs propriétaires légitimes ou à leur demande, dans le but de les mettre en sécurité avant qu’ils ne soient saisis par les autorités allemandes ». Les oeuvres de la Collection Emil Bührle qui peuvent correspondre au sens strict de cette définition sont celles qu’Emil Bührle a acquises entre 1933 et la fin de la guerre, de provenance allemande et envoyées en Suisse pendant cette période. Sur les 203 oeuvres que compte aujourd’hui la Collection Emil Bührle, 19 ont été acquises entre mars 1937 et mai 1945. Parmi ces oeuvres, 3 relèvent de cette catégorie d’ « art en fuite » selon l’état actuel des connaissances, tandis que 8 peuvent en être écartées avec certitude.

Emil Bührle n’a pas procédé à un achat directement auprès des propriétaires entre mars 1937 et mai 1945, mais toutes les oeuvres de la collection acquises à cette époque l’ont été sur le marché de l’art suisse officiel. On constate également qu’après-guerre, Emil Bührle n’a été confronté à aucune réclamation liée à d’éventuelles prises d’avantages abusives résultant de ventes effectuées sous la pression.

La collection d’Emil Bührle fait l’objet d’importantes recherches historiques depuis dix-sept ans, et la Collection Bührle rend publique la provenance de toutes ses œuvres sur son site internet, constamment actualisé. Cette démarche s’inscrit dans un vaste mouvement international de recherche sur l’histoire des oeuvres entre 1933 et 1945, à laquelle la Suisse participe activement depuis 1998.