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“Monet-Auburtin” Une rencontre artistique
au musée des impressionnismes, Giverny

du 22 mars au 14 juillet 2019



www.mdig.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 21 mars 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Jean Francis Auburtin (1866-1930), Cap Myrtes, coucher de soleil au milieu des pins, n. d. Gouache sur papier gris, 74,5 x 102 cm, Collection particulière © Tous droits réservés / Photo : Gérard Dufrene.
2/  Jean Francis Auburtin (1866-1930), Madame Auburtin au bord de la mer, n. d. Huile sur carton, 46 x 55 cm, Collection particulière . © Tous droits réservés / Photo : François Doury.
3/  Claude Monet (1840-1926), Au cap d’Antibes, 1888.Huile sur toile, 65 x 92 cm ; Ehime, Musée départemental des beaux-arts . © Ehime, Musée départemental des beaux-arts

 


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Interview de Géraldine Lefebvre,
docteur en histoire de l’art et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Giverny, le 21 mars 2019, durée 14'36". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Une jeune femme drapée de blanc sèche sa longue chevelure rousse dans le silence d'une calanque. La roche blanche reflète autant le soleil aveuglant que l'eau calme et transparente. Jean Francis Auburtin se révèle, dans ses études de nymphes au bord de l'eau, inspiré par les contours dansants des estampes japonaises ; il plonge dans un symbolisme de criques au clair de lune, d'horizons flous et irréels. Un bosquet de pins en éventail se découpant en silhouettes sur un océan clair ou bien des arbres encadrant un golfe d'azur comme un rideau de scène qui s'ouvre sur un troisième acte composent des scènes de drame, de tragédies.

Un pin solitaire serpente jusqu'au ciel devant une étendue de mer, une baie refermée par des collines lointaines. Deux toiles côte à côte représentent le même paysage, la même composition: Monet rencontre Auburtin, de 25 ans son cadet. Chez Monet le sujet est la lumière, le scintillement de la surface de l'eau, l'air chaud et vibrant de l'été. La liberté est tant dans le pinceau, la brosse, que dans la décision de peindre l'instant fugace, l'insaisissable. Auburtin, lui, regarde le terre, l'arbre, en saisit le poids, la présence. La matière est épaisse, le trait direct, le propos bref et juste. Les petites vagues du premier plan répondent aux pierres du bord du chemin par un pointillisme large, devenant plus fin et s'estompant à mesure que l'on s'éloigne, se fondant dans un dégradé lointain, une surface d'azur. Il peint la lenteur des siècles, la force de la nature résistant au temps.

La mer bleu lavande de Monet quand elle est calme laisse place à des océans furieux, des vagues vert bouteille ou claires somme des hautes herbes, des highlands écossais liquéfiés en Atlantique, couronnés de broussailles d'écume blanche ou d'indigo. Son sens du raccourci, de l'urgence, fait entrer sa peinture dans l'abstrait. Un ciel froissé sur les falaises d'Etretat, des voiles de bateaux, de la roche qui se disloque, sépare le monde entre ombre et lumière... La vision prophétique de Monet prédit déjà en 1884 les aventures picturales du XXéme siècle. Des coulures le long des falaises, deux traits violets s'invitant sur une plage, un soleil ébouriffé de fils rouge comme une pelote de laine: l'indépendance absolue du regard et de la main élèvent le peintre au-dessus de son époque, de ses pairs.

Auburtin peint les mêmes plages, les mêmes falaises d'une gouache étonnante, couvrante et poudreuse comme du pastel, dessinant du pinceau comme on le ferait d'une plume. Les couleurs sont vives, fluorescentes parfois, les ciels de crépuscule roses et jaunes se fondent dans des mauves dans un onirisme de mythe et légendes baltiques. Le soleil peinant à percer derrière un gros nuage laisse ses rayons jaunes tomber en éventail sur un horizon qui se couvre d'or. La ligne d'horizon est ferme, solide, tracée à la règle par un architecte. Tout est tactile, palpable, jusqu'aux nuages solides, aussi denses que les collines et falaises en dessous. On pourrait retourner le tableau, on y trouverait un paysage similaire avec sa terre et son ciel. Des barques sur la plage d'Etretat: la scène se découpe en formes plates, ciel turquoise contre nuages lilas et roses, coques noires tranchantes : Auburtin se dirige vers les papiers découpés de Matisse. L'abstraction n'est pas loin non plus.

Sans lâcher son souci de voir et de représenter le réel dans sa pérennité millénaire, Jean Francis Auburtin réussit, dans la lumière du soir, à ouvrir la porte d'un monde lointain et nouveau. L'océan est tranché en deux par un reflet lunaire, les rochers se couvrent de fourrures animales. Seules quelques nuées d'oiseaux viennent troubler la tranquillité du paysage, noires comme un effritement de roche sous un vent titanesque. Après la si brève et fragile humanité de Monet, nous voici conduit au royaume des dieux, au Valhalla.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat scientifique : Géraldine Lefebvre, docteur en histoire de l’art



En 2009, le nouveau musée des impressionnismes proposait une exposition inaugurale intitulée Le Jardin de Monet à Giverny : l’invention d’un paysage. En 2019, le musée fêtera les dix ans de son ouverture au public. À cette occasion, il a choisi de célébrer l’oeuvre de Claude Monet (1840-1926), en la confrontant à celle de son contemporain, le peintre Jean Francis Auburtin (1866-1930). Réunissant un ensemble important de peintures et dessins d’Auburtin, ainsi que quelques-unes des oeuvres les plus remarquables de Monet, l’exposition propose de montrer deux regards différents portés sur les mêmes paysages.

Alors qu’il mène une carrière de grand décorateur pour les bâtiments publics qui durera jusqu’en 1924, Jean Francis Auburtin se révèle être aussi un peintre de chevalet qui excelle dans l’emploi conjugué de l’huile, de la gouache et du fusain. Pour composer le cadre idéal de ses fresques narratives, le peintre parcourt le littoral français, scrute inlassablement les paysages, qu’il finit par peindre pour eux-mêmes. Ainsi développe-t-il, en marge de ses grandes décorations, une peinture plus intimiste sur le motif, qui se construit au carrefour d’influences diverses entre impressionnisme, synthétisme, symbolisme et japonisme.

Son admiration pour Claude Monet, qu’il rencontre vraisemblablement vers 1896-1897, transparaît dans le choix de ses motifs. Très certainement touché par les paysages de Monet, régulièrement exposés à Paris, vers 1889-1890, Auburtin s'initie également à la peinture de paysage sur le motif proposant une réponse très personnelle, empreinte d’une sensibilité fin-de-siècle. Tout comme lui, Auburtin pose son chevalet sur les rivages escarpés de Bretagne, de Normandie et de la côte méditerranéenne, là où ciel et mer se rejoignent. En 1894, il séjourne à Porquerolles où il se rend régulièrement. En 1895, un peu moins de dix ans après Monet, il découvre avec émerveillement Belle-Île où il revient à sept reprises. En 1898, il est sur les côtes normandes, à Étretat, à Pourville puis à Varengeville, où il choisit de représenter les sites peints par Monet auparavant. Dans son approche intellectualisée du naturel, Jean Francis Auburtin n’est pas moins moderne que son aîné impressionniste. S’il pratique le travail en série, Auburtin s’attache moins à rendre les modulations atmosphériques et lumineuses chères à Monet et préfère une construction solide, l’étagement des roches et le théâtre imposant de la nature.

De nombreuses oeuvres de Monet et Auburtin exécutées durant les années 1880-1890 attestent d’une véritable convergence d’intérêts. Leurs vues respectives des côtes bretonnes, axées sur le contraste entre le ciel, la terre et l’eau traduisent cette confrontation, ce dialogue avec le paysage. À Belle-Île, alors que Monet plante son chevalet au bord du vide, cherchant à traduire la sauvagerie de la nature, le temps sans cesse changeant, les surplombs vertigineux, Auburtin se laisse envahir par la monumentalité de ces roches millénaires. Alors que Monet se concentre sur la bataille que se livrent les rochers et la mer, laissant peu de place au ciel, Auburtin exprime la pérennité de ces paysages maritimes sur cette île grandiose où tout semble échapper à l'homme.

Chez Auburtin, il y a comme une compréhension intuitive du paysage et une puissance d’expression qui se traduisent dans ses falaises, ses plages, ses ciels, ses nuages ou sa végétation. Les falaises d'Étretat, Pourville et Dieppe, les roches escarpées de Belle-Île lui offrent ce qu'il affectionne tout particulièrement – la rencontre de l'eau et de la terre, l'affrontement de la paroi rocheuse verticale et de la vaste étendue marine, la permanence robuste des hautes falaises, balayées par le ballet continu des nuages. L’expérience de la nature se traduit également au travers d’effets spectaculaires de soleils couchants sur les falaises.

Ce n’est qu’en 1904, avec la découverte de Varengeville et la rencontre avec Guillaume Mallet (1859-1945), fondateur du Bois des Moutiers, qu’Auburtin trouve un souffle nouveau dans ses peintures et dessins. Il affirme alors son style et sa manière d’aborder le paysage change. Il introduit, dans sa peinture de chevalet, les principes simplificateurs qu’il réservait jusqu’alors à la décoration murale. Il élargit l’horizon de ses compositions. Les couleurs savamment nuancées s’éloignent de l’imitation de la nature (roses et bleus phosphorescents) et témoignent d’un rapprochement avec le synthétisme hérité de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898). Auburtin est désormais parvenu à élaborer un style résolument personnel.


Un catalogue aux éditions Gallimard accompagne l’exposition.