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“Jeunes Artistes en Europe” Les Métamorphoses
à la Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris

du 4 avril au 16 juin 2019



www.fondation.cartier.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 2 avril 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Raphaela Vogel, Jessica, 2018. Peinture à l'huile, pastel gras sur peaux d'élan et de chèvre, silicone et polyuréthane élastomère, 302 × 174 × 49 cm. Courtesy de l'artiste et Galerie Gregor Staiger, Zurich. © Raphaela Vogel.
2/  Marion Verboom, Achronies, 2017. Plâtre, résine et bois, dimensions variables. © Marion Verboom, Adagp, Paris, 2019 / Galerie Jérôme Poggi, Paris. Photo © Nicolas Brasseur.
3/  Kris Lemsalu, So Let us Melt and Make no Noise, 2017. Techniques mixtes et céramique, dimensions variables. Courtesy de Temnikova & Kasela Gallery, Tallinn et galerie Koppe Astner, Glasgow.© Kris Lemsalu. © Temnikova & Kasela Gallery. © Galerie Koppe Astner. Photo. © Robert Glowacki.

 


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Interview de Thomas Delamarre, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 4 avril 2019, durée 15'08". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Les 21 jeunes artistes exposés sont nés dans les années 80 et 90. Première génération à grandir dans une Europe qui n'est plus coupée en deux par le rideau de fer, ils appréhendent leurs histoires et leurs identités avec un regard neuf. Il y a dans ces propositions un souffle de liberté, celle de cultures qui ne sont plus figées, enracinées, mais désormais fluctuantes, hybrides, en devenir.

Les personnages de Charlie Billingham semblent tout droit sortis du XVIIIème siècle. Belles dames, aristocrates aux perruques poudrées, manants et officiers sont peints en traits fluides, grimaçants, colorés simplement comme des gravures pour illustrés populaires. Les cadrages sont serrés jusqu'au sentiment claustrophobique, accélération d'un clip ou d'un manga. L'installation des toiles sur un grand mur au motif de papier peint morbide, de serpent ou boyaux, forme une page de bande dessinée, une narration tragi-comique de roman pulp de gare. Chez Alexandros Vasmoulakis, la peinture mêlée à la craie grasse, le papier déchiré, découpé, collé en couches de sédimentation d'affiches fait entrer la rue, la station de métro et son récit graffitté dans le champ de l'abstraction. Des formes cubistes, des griffes, des régimes de bananes bleues effectuent un va-et-vient constant entre figuration et style, entre passé et présent.

La récupération, le recyclage sont une thème très présent, un questionnement profond sur notre rapport au matériel et son impact sur l'environnement. Kostas Lambridis récupère tout. Ses meubles, armoires, buffets, sofas sont un collage patchwork insensé de bois, métal, cuir, céramique, vitraux, morceaux de sculptures, caisses de plastique, écrans à led, verre, osier. Toutes les époques se télescopent, tous les artisanats, les métiers, les histoires et les vies à présent réduits à rien, des petits déchets trouvés le long d'un chemin que l'on assemble pour tenter de recréer un habitat, un semblant de civilisation. Dans cet univers de conte de Grimm post-apocalyptique, les légendes européennes rencontrent Stalker, le roman de SF des frères Strougatski.

Formafantasma crée un design futuriste et épuré, des bureaux blancs immaculés, surfaces lisses et brillantes qui pourraient être l'œuvre de Dieter Rams pour la station spatiale de 2001. Le matériau est en fait des pièces récupérées sur des ordinateurs, machines à laver, micro-ondes mis au rebut. Mais ici, la récupération est un processus quasi-industriel qui, si il conserve les formes et les caractéristiques des matériaux, les stérilise, leur apporte une sainteté virginale, les façonne pour en faire les outils d'un troublant culte religieux de pureté.

Les tableaux brodés de Klára Hosnedlová sont de petits instants de grâce et de délicatesse. Des jeunes femmes se préparent pour sortir, l'occasion de portraits intimes. Le geste de cirer ses bottes, nouer ses cheveux en tresses ou se mettre de la crème cosmétique sur le visage sont autant d'instants suspendus juste avant d'aller affronter le monde. Les milles traits de crayons de couleur brossant ces portraits sont autant de fils multicolores cousus sur la toile dans des mouvements fluides de rivières. Malheureusement ces petits formats sont noyés dans une installation trop grande, des arcades sur des murs épais, des vêtements sur des cintres, une moquette évoquant un salon d'essayage de boutique de luxe n'apportent pas grand chose à un travail pictural talentueux qui dit déjà tout. Beaucoup de spectateurs n'oseront s'aventurer pour saisir la beauté de ces œuvres.

Le musée imaginaire d'Evgeny Antufiev mélange l'Egypte ancienne, les Vikings, le vaudou dans une reconstitution de temple, de mausolée des cultures et des civilisations. Les objets de céramique, de bronze, de textile ne sont pas tant des reliques que les acteurs d'une pièce de théâtre, une vieille histoire de croyances et de magie. Chez Raphaela Vogel, des peaux de bêtes peintes sur les murs évoquent à la fois des utérus de cuir que l'alien de Ridley Scott, des trophées d'on ne sait quelle partie de chasse. Il y a dans ce mélange des cultures la recherche de l'épique, d'une version contemporaine de l'Odyssée. Le carnaval filmé de John Skoog, vidéo dans un cinémascope flamboyant, tente le western nordique. La persistance des rituels médiévaux, de l'identité païenne profondément enracinée dans le roseaux et les arbres des rives des fjords, peut-il revivre en rencontrant le mythe cinématographique moderne, réinvestir du sens ? Ou bien est-il désormais comme tout le reste, condamné au spectacle ?

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Thomas Delamarre
Commissaire associée : Leanne Sacramone




Artistes de l’exposition : Gabriel Abrantes (Portugal), Magnus Andersen (Danemark), Evgeny Antufiev (Russie), Charlie Billingham (Royaume-Uni), Kasper Bosmans (Belgique), Formafantasma (Italie), Benjamin Graindorge (France), Miryam Haddad (Syrie), Klára Hosnedlová (République tchèque), Nika Kutateladze (Géorgie), Piotr Łakomy (Pologne), Lap-See Lam (Suède), Kostas Lambridis (Grèce), Kris Lemsalu (Estonie), George Rouy (Royaume-Uni), John Skoog (Suède), Tenant of Culture (Pays-Bas), Alexandros Vasmoulakis (Grèce), Marion Verboom (France), Jonathan Vinel (France), Raphaela Vogel (Allemagne).


Du 4 avril au 16 juin 2019, la Fondation Cartier pour l’art contemporain présente Jeunes Artistes en Europe. Les Métamorphoses, une exposition consacrée à la diversité des voix et à la vitalité des échanges qui animent le vaste territoire artistique européen. Elle réunit 21 artistes, issus de 16 pays, s’exprimant à travers la peinture, la sculpture, la mode, le design ou le film. L’exposition sera également rythmée par un ambitieux programme de Soirées Nomades. Premier volet d’une série d’expositions sur les jeunes scènes artistiques à travers le monde, Les Métamorphoses célèbre une nouvelle génération de créateurs incarnant le visage de l’Europe d’aujourd’hui et de demain.

Pendant un an, l’équipe de la Fondation Cartier est partie à la rencontre de jeunes artistes à travers le continent européen, au-delà des frontières politiques de l’Europe. Ce vaste travail de recherche l’a menée dans 29 pays, à la découverte de plus de 200 artistes choisis parmi près d’un millier de créateurs repérés en amont. Initiée sans idée préconçue ni mot d’ordre, cette quête a abouti à une sélection volontairement resserrée d’une vingtaine d’artistes afin de donner à chacun l’espace nécessaire à une découverte approfondie de son oeuvre.

Nés entre 1980 et 1994, ces artistes ont grandi après la chute du mur de Berlin, dans un continent encore jeune au regard des bouleversements récents qui ont profondément redéfini ses contours. Ils sont français, géorgiens, grecs, portugais, anglais, polonais ou même nés hors d’Europe. La plupart d’entre eux se sont formés ou vivent ailleurs que dans leur pays d’origine. Si certains, à l’instar de l’Estonienne Kris Lemsalu ou du Russe Evgeny Antufiev, jouissent déjà d’une reconnaissance dans de nombreux pays, ils n’ont pour autant jamais fait l’objet de présentation d’ampleur dans des institutions françaises. D’autres, comme le Géorgien Nika Kutateladze, présentent ici pour la première fois leur travail en dehors de leur pays.

L’exposition trouve son titre dans les multiples métamorphoses qui traversent les créations de tous ces artistes. Leurs esthétiques souvent fragmentées révèlent un intérêt pour l’hybridation, le collage et l’archéologie. En s’appuyant sur les legs du passé, les traditions folkloriques ou les mémoires collectives, en s’emparant de savoir-faire comme le moulage, la céramique ou la broderie, les artistes recomposent avec des matériaux souvent collectés des formes radicalement contemporaines. La sculptrice française Marion Verboom dresse un paysage de colonnes composé d’éléments architecturaux issus d’époques différentes. D’autres oeuvres plus narratives mêlent également passé, présent et futur. Des légendes modernes ou anciennes inspirent ainsi au peintre belge Kasper Bosmans des tableaux à mi-chemin entre rébus et peintures héraldiques. L’artiste et cinéaste suédois John Skoog suit une procession rituelle de personnages vêtus de masques et de costumes d’inspiration animale dans le Bade-Wurtemberg en Allemagne. Dans sa série L’Éducation régionale, inspirée d’oeuvres majeures de la période rococo en Angleterre à la fin du 18e siècle, le peintre danois Magnus Andersen capte la douce mélancolie d’adolescents tiraillés entre tradition et modernité. C’est depuis un futur imaginé que la Suédoise Lap-See Lam raconte, dans son film étrangement pictural, une histoire fictionnelle et intime de la diaspora chinoise en Suède. Quant au cinéaste français Jonathan Vinel, il se sert des possibilités du jeu vidéo Grand Theft Auto V pour mettre en scène un jeune homme esseulé, dont tous les proches ont subitement disparu, errant dans une ville hostile, miroir à peine déformant de nos villes contemporaines.

Tout en soulignant les correspondances qui relient ces artistes, Les Métamorphoses s’attache avant tout à montrer chacun d’eux dans sa singularité. L’exposition place ainsi face à face les grandes compositions du peintre anglais George Rouy, portraits de personnages à l’identité ambiguë, et celles de l’artiste syrienne vivant en France Miryam Haddad, saturées de couleurs, dont on ne sait si elles figurent un joyeux désordre ou une tragédie. Elle fait se côtoyer une installation intime et savamment maîtrisée de la Tchèque Klára Hosnedlová avec les oeuvres saisissantes et énigmatiques de l’Allemande Raphaela Vogel ou la farce subtile du réalisateur portugais Gabriel Abrantes. Elle présente aussi des artistes dont les démarches semblables aboutissent pourtant à des formes singulières, comme pour le duo de designers italiens Formafantasma et l’artiste néerlandaise Tenant of Culture, qui transforment tous deux en objets d’art des produits de consommation abandonnés ou obsolètes : alors que les premiers créent des objets à l’esthétique volontairement épurée à partir de déchets électroniques, Tenant of Culture assemble des vêtements de seconde main pour créer des oeuvres portant en elles tout à la fois la trace de leur histoire passée et de préoccupations contemporaines.

Portée par une scénographie du designer français Benjamin Graindorge, l’exposition a été conçue en étroite collaboration avec les artistes. Onze d’entre eux ont choisi d’imaginer des oeuvres in situ, dont le peintre grec Alexandros Vasmoulakis, le sculpteur polonais Piotr Łakomy, le peintre anglais Charlie Billingham ou le designer grec Kostas Lambridis.

En parallèle de l’exposition, une programmation d’événements réalisés en collaboration avec des artistes – Soirées Nomades, Nuit de l’Incertitude et ateliers Jeune Public – atteste de la capacité de cette jeune génération à regarder le passé et à s’en emparer. Chaque jeudi, les Soirées Nomades offriront un tour d’Europe des disciplines performatives, de la réalité virtuelle à la musique traditionnelle revisitée, en passant par le rap, la danse ou le jeu vidéo. Qu’ils viennent d’Arménie, de Hongrie, d’Irlande ou de Lituanie, les projets présentés témoignent tous d’une envie commune : traverser les frontières, rencontrer l’autre, créer ensemble.