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“Markus Lüpertz” Oser la peinture
à la Ferme Ornée et parc - Propriété Caillebotte, Yerres

du 13 avril au 8 septembre 2019



www.proprietecaillebotte.com

 

© Sylvain Silleran, présentation presse, le 11 avril 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Markus Lüpertz, Arcadie-Vénus [Arkadien-Venus], 2013. Technique mixte sur contreplaqué, 176 x 89,5 cm. © Markus Lüpertz / ADAGP, Courtoisie de la Galerie Michael Werner Märkisch Wilmersdorf, Cologne & New York.
2/  Markus Lüpertz, Crâne jaune [Gelber Schädel], 1987. Huile sur toile, 200 x 162 cm. © Markus Lüpertz / ADAGP, Courtoisie de la Galerie Michael Werner Märkisch Wilmersdorf, Cologne & New York.
3/  Markus Lüpertz, Sans titre – série Donald Duck [Ohne Titel – Donald Duck Serie], 1963. Détrempe sur toile, 201 x 102 cm. © Markus Lüpertz / ADAGP, Courtoisie de la Galerie Michael Werner Märkisch Wilmersdorf, Cologne & New York.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Un Donald Duck de 1963 ouvre l'exposition. La figure ressemble ironiquement plus à Mickey Mouse avec ses yeux et ses oreilles de chat. La peinture liquide coule sur une texture de papier d'emballage en kraft. Des coups de brosse rapides, des taches et éclaboussures, couleurs simples, rouges, jaunes, bleus trahissent le rythme rapide, frénétique de production et consommation de masse d'une pop culture à laquelle nul n'échappe. Markus Lüpertz se positionne déjà loin du pop-art, il refuse toute complaisance, toute acceptation aveugle et muette des mouvements culturels de son temps, les enthousiasmes et les idéologies, les mémoires sélectives.

Des abstractions de jeunesse, un tronc d'arbre tronçonné en 4 formant une fente-crucifix, des tentes comme des palais de l'Olympe ou encore un escargot au camouflage militaire laissent place à des intérieurs d'atelier. La mise en abyme du tableau dans le tableau est prétexte à des recherches formelles, volumes hésitants entre leurs multiples dimensions et une exploration déterminée de la couleur, acculée à la dureté des gris, des verts de blindés et de chars d'assauts. Un Dithyrambe - planant, bloc de granit, statue de divinité ancestrale, masque de Dark Vador, est une masse incandescente, braise rouge orangée flottant sur un bleu de ciel immaculé.

Les Rückenackt, nus de dos, sont une parade immobile d'hommes debout, larges et droits, robustes guerriers au garde à vous. A la place de leurs têtes absentes on retrouve les éléments familiers de l'univers lüpertzien : casque de soldat, pelle, casquette de la wehrmacht, carapace de tortue... Les ombres et la lumière qui modèlent dos, fesses, bras et jambes sont à force d'étude rendus à un huis-clos de deux couleurs, taches d'un pelage animal ou motif d'un treillis militaire. Ces hommes ont une force virile, martiale, leurs corps lourds disparaissent pourtant abstraitement dans le ciel, le laissant dévorer jusqu'à leurs épaules. La pose trahit une menace sourde ; les arbres, troncs noirs sans relief, sont comme des crosses de fusils portées par un bras musculeux, le vert de gris oppressant installe un malaise que la peinture intègre et doit dépasser.

D'inspiration classique, le Paysage avec serpent d'après Poussin est une terrible scène d'incendie, rouge, orange, rose de feu. La gestuelle est rageuse, des coulures claires zèbrent la surface, dissocient la couleur de la toile du tableau comme sous l'intense chaleur de fournaise. Un ange ou un saint demeure dans cette ville en proie aux flammes. Dans cet enfer de Dante tout est précipité dans le chaos, tout bascule et s'effondre. Il en est de même pour le personnage assis gris noir d'après Goya. Sa matière épaisse a été semble-t'il griffée, labourée par des doigts : des empreintes parallèles, quatre par quatre, ont marqué cette glaise, la creusant dans un instinct vital, animal.

Dans ses scènes d'Arcadie, la fable se déroule dans un paysage plus familier de village de Bohême avec ses toits et son clocher. Au milieu de la forêt, sur un rivage, des symboles et des statues, objets inertes sont regroupés, rescapés de quelque guerre. Un corps ici, une tête de Vénus là, l'homme condamné par Lüpertz à la dissociation éternelle. Un tête de Cassandre, puis une autre s'efface, recouverte par des couches de blanc, de rouge, une succession d'affiches déchirées et recollées. Le temps qui passe et qui engloutit, le corps sans tête, sans direction, écrasé sous le poids d'une identité non désirée, les obsessions de Markus Lüpertz sont décidément bien vivaces. Sa peinture a la force de l'acier, troublante comme le goût métallique du sang.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Danièle Cohn



À partir du 13 avril 2019 la Propriété Caillebotte accueille une exposition de l’artiste allemand Markus Lüpertz. Après l‘importante rétrospective que lui consacra en 2015 le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et plus récemment l’exposition au Musée de la Vie romantique DANS L’ATELIER, l’exposition à la Propriété Caillebotte OSER LA PEINTURE montrera comment Markus Lüpertz s’engage pour la peinture, à contretemps de son époque. Elle regroupera dans la Ferme Ornée des peintures et dessins du tout début de sa vie d’artiste jusqu‘aux oeuvres les plus récentes.

Markus Lüpertz est l’un des grands artistes de sa génération, une génération prestigieuse depuis plus de trente ans, qui a réinstallé la peinture allemande au coeur du monde de l’art, aux côtés de Gerhard Richter, Anselm Kiefer, Georg Baselitz, A.R.Penck, Jörg Immendorff. Il prend le parti de la peinture dès le début des années soixante et assume le défi d’être « juste » un peintre. L’exposition montre en quoi consiste ce choix et retrace un itinéraire.

Son travail récuse rapidement une filiation expressionniste donc une catégorisation en termes de néo-expressionisme. Le choix de la peinture est-il celui de la figuration contre l’abstraction, d’un medium à l’histoire longue contre une certaine contemporanéité ? L’exposition permettra de s’interroger sur ces points et d’évaluer ce qu’il en est du rapport de la tradition au nouveau chez ce peintre. Lüpertz réfléchit en peintre à ce qu’est un sujet, un motif pour un peintre. S’il entre dans le métier en se confrontant à la peinture américaine de son temps et au pop’art en particulier, sa question est celle d’une peinture d’histoire : l’histoire allemande, l’histoire de la peinture. Lüpertz choisit la peinture contre l’art : il revendique la force de la peinture et de ses traditions, comme de ses techniques.

Si le parcours est globalement chronologique, c’est parce qu’il permet de donner à voir cette évolution qui va du motif à la peinture comme seul sujet. Les salles mettent en tension les différences à l’œuvre pour mieux montrer la clarté de l’évolution et l’approfondissement de la réflexion picturale, son renouvellement.

La dernière salle est consacrée à quelques dessins qui confortent la question du sujet de la peinture, et qui par le changement apporte une sérénité.

Les bronzes qui tiennent aux yeux de l’artiste une place centrale dans son oeuvre et sont à ses yeux « le pas suivant » qui prolonge le travail de la toile en dépeuplant le tableau pour « lâcher les figures dans la réalité » investiront le parc de la propriété et la Maison Caillebotte. C’est la première fois qu’autant de sculptures seront montrées dans un parc en France.