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“Ôtsu-e” Peintures populaires du Japon
à la Maison de la culture du Japon, Paris

du 24 avril au 15 juin 2019



www.mcjp.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 23 avril 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Démon au bain, XVIIe siècle, peinture d’Ôtsu. The Japan Folk Crafts Museum, Tokyo.
2/  Banquet du chat et de la souris, XVIIIe siècle, peinture d’Ôtsu. Collection R. Bru, Barcelone.
3/  Kitagawa Utamaro (1753-1806), Souvenirs d’Ôtsu achetés à Edo, vers 1802-1803. Gravure sur bois. Collection particulière, Paris.

 


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Interview de Christophe Marquet,
historien de l’art, directeur de l’École française d’Extrême-Orient et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 23 avril 2019, durée 10'25". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Des enfants se pressent devant l'échoppe d'un imagier d'Ôtsu, ils le regardent peindre, immergé dans son rythme tranquille, sourd à l'activité bruyante de la rue. Sur le fin papier bon marché prennent forme des guerriers et des démons grimaçants, des animaux festoyant et des courtisanes. On entre dans cette première exposition en France de l'imagerie populaire de la période Edo comme un gamin qui, dans une librairie de bandes dessinées, regarde les centaines de couvertures comme autant de promesses d'aventures et d'ailleurs.

Tout comme les mangas d'aujourd'hui, ces images ont été fabriquées en séries avec une grande économie de moyens : six, sept couleurs faites de pigments simples, des formes au pochoir servant de base, des motifs tamponnés à l'aide de bois gravés. Sur cette base, le dessin au pinceau et à la brosse est minimaliste, stylisé à l'extrême. L'hirsute d'une barbe ou d'une chevelure, le nœud d'une corde, le poids d'une grappe de fleurs sont exprimés d'un simple geste, une caresse légère et rapide du papier, une succession de points ou une lente boucle tracée de la pointe d'un pinceau. La main de l'artisan, sûre d'avoir pratiqué mille fois sa calligraphie marque tout de même un temps d'arrêt avant de se lancer, acrobate ou jongleur, saltimbanque.

À travers ces petits tableaux de papier, c'est tout un ensemble de traditions et de préceptes qui se transmettent, une morale appuyée par des contes et légendes appris aux enfants. Une culture bien vivante, rendue accessible à tous. Le dieu de la fortune, juché sur une échelle, rase le long crâne du dieu de la longévité. Le dilemme philosophique et sa résolution sont illustrés avec humour. Comme l'illustre aussi la fable de la gourde et du poisson-chat, la peinture est ironique, satirique. Le trait grinçant est exagéré par sa simplification, le poussant vers la théâtralisation et la caricature. La contrainte économique du dessin devient sa force, le poussant à tout dire avec trois fois rien. Une grande courtisane toute en courbes est déstructurée en logo cubiste, une autre relève un pan de son kimono d'un geste précieux pour marcher. Là un artiste s'est amusé à laisser son pinceau déambuler, remplissant la lettre que lit une autre courtisane d'un texte aussi évocateur d'une longue explication.

Le moine-guerrier protecteur Benkei aux 7 armes, brandissant son hallebarde, Shôki le chasseur de démons sont des acteurs de contes populaires, héros du folklore, mais ont également une fonction protectrice, apaisant les enfants effrayés par la nuit ou éloignant les maladies. Dans le banquet du chat et de la souris, la fable des deux ennemis s'enivrant de saké est un avertissement plein de sagesse populaire, une invitation à la tempérance. Quelques lignes, un poème, un haïku soulignent ici la fâcheuse mésaventure du dieu du tonnerre tentant de repêcher son tambourin à l'aide d'un grappin ou les faits d'armes d'un guerrier célèbre.

Ces derniers exemplaires existants d'œuvres un temps oubliées, reléguées au folklore, nous rappellent que la culture, si elle est un bien précieux, se transmet aussi par des voies moins nobles. La culture populaire, produite en série, celle qui n'a pas vocation à devenir patrimoine le devient toutefois parce qu'elle est celle qui entre véritablement dans les maisons et les cœurs.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition :
Christophe Marquet (historien de l’art, directeur de l’École française d’Extrême-Orient)
Yokoya Ken.ichirô (conservateur à l’Ôtsu City Museum of History)




Dans le prolongement de l’année « Japonismes 2018 », la Maison de la culture du Japon à Paris présente « ÔTSU-E : peintures populaires du Japon », la première exposition organisée en Europe sur l’imagerie japonaise de l’époque d’Edo, où du 24 avril au 15 juin 2019, elle révélera, à travers plus de cent vingt oeuvres et documents, un art populaire méconnu qui se développa près de Kyôto entre le XVIIe et le XIXe siècle.

Les Ôtsu-e ou « images d’Ôtsu » sont des peintures exécutées au pochoir, qui connurent une grande popularité tout au long de l’époque d’Edo, du début du XVIIe au milieu du XIXe siècle. Elles étaient vendues aux voyageurs et aux pèlerins qui empruntaient la route du Tôkaidô reliant Kyôto à Edo (aujourd’hui Tokyo), et dont la ville d’Ôtsu en est le premier relais.

Les thèmes de ces peintures — au nombre d’environ cent vingt — furent d’abord religieux, avant d’évoluer vers des contenus satiriques ou moraux. Le répertoire le plus connu est composé d’une dizaine de sujets — comme le démon travesti en moine ou la jeune fille à la glycine — auxquels furent attribuées des vertus protectrices.

De nombreux artistes du XIXe siècle, en particulier de l’école ukiyo-e, comme Kuniyoshi ou Kawanabe Kyôsai, furent fascinés par cette imagerie et s’en inspirèrent, produisant des versions parodiques qui prolongent leur esprit humoristique. Ce n’est que dans les années 1920, sous l’impulsion du mouvement pour les arts populaires (mingei), que ces images d’Ôtsu furent redécouvertes, étudiées et miraculeusement préservées par le penseur Yanagi Muneyoshi (1889-1961). Les plus belles pièces de cette collection unique au monde, conservées au Japan Folk Crafts Museum, le musée qu’il fonda à Tokyo en 1936, sont montrées dans l’exposition.

Les images d’Ôtsu sont loin de connaître en Occident la même renommée que les estampes ukiyo-e, qui leur sont contemporaines. Quelques précurseurs s’y intéressèrent néanmoins, comme l’anthropologue André Leroi-Gourhan ou des artistes, tels le sculpteur catalan Eudald Serra, Miró ou Picasso, dont plusieurs oeuvres de leurs collections personnelles sont exposées. La simplification des formes, la liberté graphique, la naïveté et l’esprit humoristique de ces peintures entrèrent en effet en résonance avec certaines formes d’art d’avant-garde au XXe siècle.






Le parcours de l’exposition

L’exposition à la MCJP s’articule en plusieurs sections thématiques permettant d’apprécier la richesse du répertoire de ces peintures populaires. Le parcours réunit plus d’une centaine d’oeuvres particulièrement rares et fragiles : peintures d’Ôtsu, estampes ukiyo-e et peintures d’artistes célèbres du XVIIIe au début du XXe siècle, statuettes et livres illustrés anciens. Provenant de collections privées et de musées japonais, catalans et français, certaines d’entre elles sont dévoilées au public pour la toute première fois.

1. Images de piété
L’imagerie d’Ôtsu serait née dans la première moitié du XVIIe siècle, de la production de peintures bouddhiques populaires. Les plus anciens exemples datés qui ont été conservés remontent aux années 1660, période où ces peintures sont mentionnées pour la première fois dans la littérature. […]

2. Démons
L’imagerie d’Ôtsu comporte une centaine de sujets non religieux, apparus dès les années 1680. Le plus courant de ces thèmes est celui du démon, une créature terrifiante issue des enfers bouddhiques, mais qui dans cette imagerie se travestit en moine, en musicien ou en troupier, pour porter un message moral. […]

3. Divinités et héros populaires
L’imagerie d’Ôtsu présente de nombreux sujets inspirés de croyances populaires, comme les dieux du Bonheur, mais qui sont traités de manière cocasse ou satirique. C’est le cas du dieu de la Fortune monté sur une échelle pour raser le dieu de la Longévité ou du chasseur de démons Zhongkui. […]

4. Beautés et courtisanes
Les peintures d’Ôtsu comportent une petite vingtaine de représentations féminines, dont la jeune fille à la glycine apparaît la plus populaire. Dans la célèbre pièce de Chikamatsu de 1708, à l’origine du mythe fondateur de cette imagerie, les « peintures de belles femmes portant une glycine » sont l’un des deux sujets favoris du peintre Matahei. […]

5. Animaux
Les animaux constituent l’un des thèmes majeurs des images d’Ôtsu, avec environ vingt-cinq motifs différents, qui se répartissent entre des représentations naturalistes et des sujets où ils apparaissent en référence à une légende, dans un dessein satirique ou moral. […]

6. Poèmes moraux
À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les peintures d’Ôtsu passèrent à un plus petit format (environ 33x24 cm) et furent souvent accompagnées de brefs poèmes moraux. Une cinquantaine de sujets picturaux ont inspiré ces poèmes, dont on a recensé plus de cent soixante exemples. […]

7. Des imagiers du Tôkaidô à Miró
Les peintures d’Ôtsu furent introduites en Europe au cours du XXe siècle, dans le sillage du mouvement de défense des arts populaires japonais (mingei) initié au Japon dans les années 1920 par le penseur Yanagi Muneyoshi (1889-1961), qui avait permis de les faire redécouvrir. Pablo Picasso, qui s’intéressa particulièrement aux estampes ukiyo-e, en collectionna. […]

8. Des peintures d’Ôtsu aux ukiyo-e : le théâtre kabuki et le mythe de Matahei
Les peintures d’Ôtsu sont contemporaines des estampes ukiyo-e, apparues à Edo dans les années 1670. Ces deux arts populaires entretinrent des liens étroits, tout en étant en concurrence. […]

9. Des peintres inspirés par l’imagerie d’Ôtsu
Dès le XVIIIe siècle, des artistes s’emparèrent des thèmes de l’imagerie populaire d’Ôtsu en introduisant des personnages dans leurs oeuvres ou en concevant des compositions parodiques. […]

10. Statuettes et figurines
Dès la fin du XVIIe siècle, le thème le plus populaire de l’imagerie d’Ôtsu, le démon travesti en moine, fut transposé sous forme de statuettes en bois. Ces sculptures très expressives servaient à signaler l’échoppe d’un marchand d’images, à la manière d’une enseigne, mais elles eurent sans doute aussi une fonction apotropaïque ou décorative. […]

11. Imagerie livresque
Dès le début du XVIIIe siècle, l’imagerie d’Ôtsu fit son apparition dans l’illustration livresque, en lien avec le théâtre et la poésie. Le plus ancien exemple est le livret de théâtre de Chikamatsu, L’Encens qui rappelle l’esprit de la courtisane (1708), qui établit le mythe de Matahei, le créateur de cette imagerie. […]