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“Préhistoire” Une énigme moderne
au Centre Pompidou, Paris

du 8 mai au 16 septembre 2019



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, journée de tournage, le 6 mai 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Charlotte Perriand, Silex, 1933. Tirage numérique contrecollé sur aluminium. Musée Nicéphore Niepce, Ville de Chalon-sur-Saône. © Adagp, Paris 2019. © musée Nicéphore Niépce, Ville de Châlon-sur-Saône.
2/  Richard Long, Snake Circle, 1991. Gneiss (pierre), Ht 70 x diam 400 cm. CAPC musée d’art contemporain, Bordeaux . Achat à la Galerie Tschudi avec l’aide de la DMF en 1992. © Adagp, Paris 2019. Photo : Anaïs Sibelait, Mairie de Bordeaux.
3/  Propulseur décoré d’une figure animale, dit « Propulseur au félin » (abri de La madeleine, Tursac, Dordogne), époque Magdalénienne,( vers -15000 ans). Ivoire sculpté en ronde-bosse, 10,4x6,9x2,3 cm. Musée d’archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain en Laye, en dépôt au Musée national de Préhistoire, Les Eyzies.

 


2705_Prehistoire audio
Interview Maria Stavrinaki, maître de conférences en histoire de l’art à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne
et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 6 mai 2019, durée 19'26". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Cécile Debray, Directrice du musée de l’Orangerie
Rémi Labrusse, Professeur d’histoire de l’art, Université Paris Nanterre
Maria Stavrinaki, Maître de conférences en histoire de l’art, Université Paris I Panthéon-Sorbonne




À travers une exposition originale, le Centre Pompidou présente les liens qui unissent l'art moderne et contemporain à la préhistoire. Comment, dans ce grand moment de crise que l’on appelle « modernité », les artistes puis la société dans son ensemble ont subi l’attrait des « origines » ? Comment s’est ainsi constituée une vision fantasmée de « ce qui était avant l’Histoire » ? L’exposition révèle ainsi que certains des plus importants artistes du 20e et du début du 21e siècle ont été hantés par la question de la « préhistoire » : Picasso, Miró mais aussi Cézanne, Klee, Giacometti, Ernst, Beuys, Klein, Dubuffet, Louise Bourgeois, Marguerite Duras, Robert Smithson, et, parmi nos contemporains, Giuseppe Penone, Miquel Barceló, Marguerite Humeau, Pierre Huyghe, Dove Allouche, etc. Parallèlement, par la présentation de nombreux documents, l’exposition montre que, pour nous, la « préhistoire » fonctionne comme une « machine à remuer le temps ». Les forces qui s’y exercent tirent leur fécondité de leurs contradictions mêmes : le besoin de déconstruction et le besoin de refondation ; la sortie de l’histoire et la plongée dans l’histoire ; le désir de révolution et la peur apocalyptique.


La préhistoire est une idée moderne : le mot lui-même ne se fixe qu’à partir des années 1860. La réalité « préhistorique » se construit progressivement au cours du 19e siècle, comme un bloc indissociable de faits, de réflexions et de fantasmes. On peut y distinguer trois grandes étapes :
- la prise de conscience du temps long de la vie, par l’analyse des fossiles (tournant du 18e et du 19e s.)
- l’appréhension d’une « préhistoire » des cultures humaines, étroitement liée à l’idée d’une activité artistique (années 1860)
- la reconnaissance spécifique de l’art pariétal (tournant du 19e et du 20e siècle).

Au 20e siècle, l’impact de ce vaste corpus d’images, d’hypothèses et de spéculations est immense, autant sur l’imagination collective que sur la création individuelle. L’idée de « préhistoire » vient creuser profond dans nos imaginaires. La mise en évidence d’une terre sans hommes et d’un lent processus d’hominisation conduit à penser aussi la possible extinction de l’espèce humaine. Le passage de sociétés de chasseurs cueilleurs (le Paléolithique) à des sociétés agraires (le Néolithique) suscite des réflexions sur la prise de pouvoir de l’homme sur son environnement, menant jusqu’à l’ère industrielle. L’art « préhistorique », en particulier, ou du moins ce que l’on désigne comme tel, se constitue non seulement en objet de fascination mais aussi en modèle concret pour des expérimentations artistiques de tous ordres.

Le parcours propose une progression chronologique : un préambule remontant au tournant du 19e et du 20e siècle (Redon, Cézanne), un noyau central allant des années 1930 (Picasso, Miró, Giacometti, Ernst, etc.) à la fin des années 1960 (Louise Bourgeois, Beuys, Smithson, etc.) et une dernière partie contemporaine. Au sein de cette progression, sont abordés différents thèmes : l’épaisseur du temps, la terre sans les hommes, hommes et bêtes, gestes et outils, la caverne, néolithiques, présents historiques. L’ensemble est ponctué par la présentation d’oeuvres préhistoriques iconiques du paléolithique et du néolithique : fossiles, sculptures paléolithiques majeures dont la Vénus de Lespugue et le Mammouth de la Madeleine, pierres gravées, silex taillés ou polis, menhirs, idoles néolithiques.

Enfin, en parallèle, un fil culturel est déroulé permettant d’évoquer l’invention de la préhistoire et sa diffusion populaire (relevés de fouilles, romans « préhistoriques comme La Guerre du feu, films culte de cette mythologie des origines comme Three Ages, The Lost World, Jurassic Park…).

Pour accompagner l’exposition, un catalogue aux éditions du Centre Pompidou et sous la direction de Cécile Debray, Rémi Labrusse et Maria Stavrinaki, reprend les huit sections de l'exposition avec de nombreux focus thématiques permettant à un large public d'appréhender ces questions de fond.






Parcours de l’exposition

Prologue

En quoi le surgissement de l’idée de préhistoire correspond-il à des attentes spécifiquement modernes ? Pourquoi le mot s’est-il imposé avec tant de force dans les représentations collectives, dès les années 1860 ? Par quelles voies les artistes ont-ils investi cette grande faille ouverte dans la perception du monde ? Comment les concepts, les spéculations, les découvertes, les rêves, les peurs, les désirs de notre temps s’y rencontrent-ils ? Notre imaginaire de la préhistoire est avant tout un imaginaire du temps des origines, toujours manquantes ou fragmentaires. Ce temps immémorial échappe au récit. Il contient à la fois l’énigme de la Terre avant les hommes et celle de « l’homme fossile », jusqu’à l’invention de l’écriture. Sur ce vaste horizon, la perception de la préhistoire est modifiée par l’art moderne autant que l’art moderne est modifié par la perception de la préhistoire. Fascinés par ces traces montées de la nuit des temps, des artistes majeurs ont contribué à leur donner sens – de Cézanne à Penone, de Picasso à Louise Bourgeois et aux frères Chapman, de Chirico à Smithson. Au fond, il ne s’agit pour l’art ni d’illustrer un impossible récit de la préhistoire ni d’imiter des formes opaques, mais de faire résonner une idée, d’en éprouver la force et de l’ouvrir sur le futur. À un tournant anthropologique majeur, nous rassemblons en un seul geste la quête des commencements et l’appréhension de la fin. Mais l’énigme de la préhistoire déjoue tous les déterminismes. Elle transforme toute vision en question. Apocalypse, utopie ou révolution ?

1. Épaisseur du temps
Au tournant du 18e et du 19e siècle, grâce à la stratigraphie, on apprend à distinguer les « époques de la nature », selon l’expression de Buffon. En 1836, William Buckland lit dans les coupes terrestres « le grand drame de la vie universelle ». Le temps se lit dans le sol. Mais ce temps est opaque comme le sont les couches de la Terre. C’est cette épaisseur temporelle à laquelle Cézanne est sensible dès les années 1860, grâce à son amitié avec le jeune archéologue et géologue Antoine-Fortuné Marion. Dans le paysage, il décèle les traces de mouvements « antéhistoriques » qui transforment radicalement sa perception. Le sol s’anime et les figures humaines s’y dissolvent. Au cours des mêmes années, Odilon Redon sent « le poids du fond des temps » sur les landes du Médoc et sur les grèves de Bretagne. Lui aussi a été nourri par des conversations scientifiques avec son ami botaniste Armand Clavaud. En 1883, elles suscitent les formes hallucinatoires de son recueil Les Origines, à mi-chemin entre Darwin et Pascal.

2. La terre sans les hommes
L’exploration du passé géologique a révélé que l’espèce humaine était apparue relativement récemment. Dans les innombrables fossiles d’espèces disparues, l’homme occidental peut y lire l’annonce de sa propre extinction. Contemporaines de la révolution industrielle, la géologie et la paléontologie ébranlent elles aussi les formes et les savoirs. C’est cette préhistoire minérale qui inspire les artistes dès les années 1920. Après la Première Guerre mondiale, dans les compositions stratifiées de Max Ernst, les sédimentations d’objets obsolètes révèlent les fossiles de notre civilisation. Alberto Savinio ressuscite le monde antédiluvien, pour le mêler aux ruines de l'histoire et de la modernité. Cependant les formes minérales, fragmentaires et suggestives, ouvrent aussi sur le futur. De Chirico conçoit ses entités spectrales et hétéroclites comme les « oracles » d’une seconde préhistoire, tandis que les frottages de Max Ernst et la matérialité informe des sols de Dubuffet ou Fontana suggèrent un monde immémorial, attendant son actualisation par le regard du présent. Enfin, la coupe géologique de Graham Sutherland met en évidence la continuité stricte entre la richesse minérale du sol britannique et les activités humaines.

3. L'invention de la préhistoire
La lente formation de l’idée de préhistoire est ponctuée de découvertes stupéfiantes. À peine confirmée l’antiquité de l’homme en 1859, la découverte accidentelle des premiers objets symboliques du Paléolithique dans une caverne bouleverse la vision de l’histoire du monde et de l’art.L’adjectif « préhistorique » est inventé par l’archéologie scandinave dans les années 1830 et se propage ensuite dans les sciences humaines du reste de l’Europe. Et, très tôt, le savoir autour de la Préhistoire est divulgué par les ouvrages populaires de Figuier et de Flammarion, par les romans préhistoriques de Rosny l’Ainé, diverses revues, par les représentations des artistes réalistes tels que Cormon ou Frémiet. Les musées d’histoire naturelle et les expositions universelles offrent des reconstitutions de scènes préhistoriques. Cette imagerie inspire nombre d’artistes. À partir des années 1920, alors que certaines oeuvres préhistoriques deviennent iconiques, telle la Vénus de Lespugue, plusieurs revues d’art, Cahiers d’art ou Documents, des expositions au MoMA en 1937 ou à Londres en 1948, confrontent oeuvres modernes et oeuvres préhistoriques, soulignant le puissant attrait plastique et esthétique de ces oeuvres des origines.

4. Hommes et bêtes
Hommes – c’est-à-dire des femmes : la majorité des sculptures paléolithiques auxquelles les artistes modernes sont sensibles représentent soit des figures féminines soit des animaux. S’y ajoutent quelques figures anthropomorphes masculines, à mi-chemin entre l’homme et l’animal. Ces petits objets, fragiles et peu nombreux, fascinent par leur altérité. Les représentations féminines incarnent frontalement le mystère du sexe et de la vie. Mais on ne peut y lire aucune histoire de séduction à la façon des mythologies classiques. Les appeler « vénus » est une manière de se rassurer – à tort – en les ramenant dans le giron de l’érotisme occidental. De même, les représentations animales révèlent une symbiose entre l’humain et l’animal à laquelle nous n’avons plus accès. Ce sentiment d’étrangeté nourrit l’imaginaire moderne : Bonnard, Klee, Arp, Giacometti, Moore, Picasso, Klein, Beuys, Bourgeois, parmi d’autres, ont aimé ces oeuvres. En se les appropriant, ils expriment aussi la distance énigmatique qui nous sépare d’elles.

5. Gestes et outils
Reconnaître et ordonner la préhistoire technique et artistique oblige à discerner des signes intentionnels sur les pierres, les os et les parois, en les distinguant des traces accidentelles des processus naturels. Saisir le passage de la nature à la technique et de la technique à l’art, c’est saisir la spécificité de l’espèce humaine. Bifaces, racloirs, haches ou grattoirs dessinent des gestes assurant la prise de l’homme sur la matière et le vivant. Inversement, la collecte de formes accidentelles dans la nature (Fernand Léger, Charlotte Perriand) ou sur les trottoirs new-yorkais (Claes Oldenburg) implique un dessaisissement volontaire de la technique au profit d’une esthétique de la ressemblance et du hasard. Certains signes énigmatiques de la préhistoire (cupules, entailles ou empreintes) fascinent Ubac, Dubuffet, Fontana ou Long : ni figuratifs ni abstraits, ces signes indiciels et tactiles compriment la distance séparant la modernité de la préhistoire. Enfin, « des parois des cavernes aux murs d’usine » (Brassaï), le fouillis des graffitis anonymes réconcilie les survivances avec les ruptures, et l’universalité avec des traditions présumées nationales. Par le geste et par l’outil, la forme s’ouvre à la vie.

6. La caverne
La caverne est l’espace préhistorique par excellence. Les fantasmes qu’ont toujours suscités les souterrains ont été exaltés par le mythe de « l’homme des cavernes » puis par la reconnaissance des grottes ornées du Paléolithique supérieur, au tout début du 20e siècle. À l’opposé de la caverne de Platon, lieu des faux-semblants, la caverne de la préhistoire est le lieu des révélations. Les peintures et gravures rupestres à l’air libre s’y associent : en témoignent les immenses relevés réalisés en Afrique par les équipes de Leo Frobenius entre 1912 et 1936.Dans l’imaginaire moderne, la caverne devient à la fois le modèle de l’espace de création (chez Picasso ou Giacometti) et l’archétype d’une capsule temporelle échappant au temps, ultime refuge pour résister aux grandes peurs de l’ère atomique (chez Fontana ou Pinot Gallizio). Son côté à la fois accueillant et inquiétant, utérin et chaotique, ne cesse d’inspirer installations et architectures, de l’Endless House de Frederick Kiesler à l’Incidental Space de Christian Kerez.

7. Néolithiques
Le mot « Néolithique » a été créé en 1865 par l’anthropologue John Lubbock, pour désigner une période où les sociétés humaines ont développé la technique de la pierre polie ; au-delà, il correspond à une accélération de la maîtrise technique du monde, aux débuts de la sédentarisation, de l’agriculture et de l’élevage, par opposition aux modes de vie des chasseurs cueilleurs paléolithiques. Les mégalithes – dolmens et menhirs – en constituent un des plus spectaculaires emblèmes. Pour Caspar David Friedrich ou pour Giacometti, ils incarnent l’énigme d’un temps long et indéchiffrable. Mais le Néolithique est aussi le porteur ancestral de l’idée d’abstraction, chez Delaunay, Arp ou les modernistes anglais comme Barbara Hepworth ou Paul Nash. Quant à Robert Smithson ou aux minimalistes Robert Morris et Carl Andre, dans les années 1970, ils y voient les fondations d’une culture techno-industrielle dont l’écroulement leur paraît imminent. Autrement dit, à partir de témoignages toujours fragmentaires, il n’y a pas un mais des Néolithiques dans l’esprit moderne.

8. Présents préhistoriques
L’exploration de la préhistoire a immédiatement rendu sensible la question de l’évolution future du monde et celle de sa fin, de sa disparition. Ainsi, dès le début du 20e siècle, l’imagerie et les reconstitutions préhistoriques se forment en parallèle des oeuvres de science-fiction : les dinosaures, les paysages du quaternaire ou les premiers hommes y rejoignent la cohorte d’êtres fantastiques ou extra-terrestres du futur, les explorations spatiales, l’hyper-technicité de sociétés politiques et culturelles anticipées. Aussi, peut-on parler d’une puissante culture pop de la préhistoire dans laquelle projections mélancoliques et poétiques côtoient les fascinations pour les technologies mises en oeuvre dans les sciences de la préhistoire qui seraient celles du temps (biologie, mesures, simulation, reconstitution 3D, exploration sonore…). Les implications physiques, philosophiques et politiques sur notre perception du présent et de l’avenir – anthropocène et dysptopies variées – nourrissent nombre d’oeuvres d’art aujourd’hui.