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“Barbara Breitenfellner” Rêve : Les éléments n’ont pas encore trouvé leur matérialité*
au Centre Photographique d’Île-de-France, Pontault-Combault

du 2 mai au 13 juillet 2019



www.cpif.net

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse avec Barbara Breitenfellner, le 10 mai 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Barbara Breitenfellner, WVZ 409, 2016. Collage. © Barbara Breitenfellner.
2/  Barbara Breitenfellner, WVZ 109, 2009. Collage et sérigraphie. Collection Sabine Schirdewahn et Matthias Wagner K. © Barbara Breitenfellner.
3/  Barbara Breitenfellner, WVZ 488, 2017. Collage. © Barbara Breitenfellner.

 


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Interview de Barbara Breitenfellner,
par Anne-Frédérique Fer, à Pontault-Combault, le 10 mai 2019, durée 20'16". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

*titre complet : Rêve : Les éléments n’ont pas encore trouvé leur matérialité (collage ? photographie ? peinture ?). Tout est triplé. Pas très clair comment les œuvres vont passer du virtuel au réel, surtout pour le glitch et la propriété artistique. — Puis un film. Un paysage enneigé. Nous marchons dans la (tempête) neige. Une fille s’allonge et sa tresse lui rentre dans le dos (transformé numériquement). Puis son dos se désagrège. Un fluide (sang) coule d’une table et quelqu’un d’autre le boit. Il se transforme à travers son corps en une drogue (liquide).

Pour son exposition au Centre Photographique d’Ile de France1, Barbara Breitenfellner crée une nouvelle oeuvre à partir de son journal de rêves tout en mettant, cette fois, un accent particulier sur l’image, la photographie et le collage. Si depuis 1998 l’artiste construit d’un côté des installations en lien direct avec les espaces où elles sont exposées et, de l’autre, réalise quotidiennement des collages dans son atelier berlinois, l’oeuvre qu’elle fabrique spécialement pour la grande salle du CPIF se situe entre ces deux pratiques et associe différentes sources et techniques afin de mieux brouiller les pistes.

C’est en 2008, après deux années passées à manipuler les images par le biais de la sérigraphie, que Barbara Breitenfellner réalise son premier collage (WVZ 079). Elle se trouve à l’époque en résidence à l’Atlantic Center for the Arts (Floride) et, en réponse à la brièveté du séjour mais aussi aux contraintes de transport et de production, elle colle un simple rectangle de papier sur un autre (un fragment de photomicrographie d’un cheveu sur l’aile d’une chouette prenant son envol). Cet acte définit aussi parfaitement son rapport à l’image — et plus spécifiquement à l’image trouvée : entrer au coeur des photographies, comme le font les rayons X dans notre corps. Un geste minimaliste mais précis car le collage (et il en est de même avec le sample en musique) est surtout un art de la source, de ce que l’œil ou l’oreille de l’artiste sont capables de voir ou d’entendre, puis d’isoler, de couper, d’associer et de composer dans un ensemble nouveau et cohérent. Un art du voir autant que du faire.

Trouver des images marque les débuts de la carrière de Barbara Breitenfellner et en 2001, peu après ses études à la prestigieuse Glasgow School of Art, elle présente sur un grand écran publicitaire de la ville d’Ecosse des films amateurs 8mm associés à des phrases étranges (des fragments de notes prises à la suite de ses rêves). Des enfants masqués, un chien bondissant, une famille terriblement surexposée — autant de séquences banales mais inquiétantes. Il s’agit alors d’une affaire de déplacement. Déplacer un film de la sphère privée vers l’espace public, déplacer un contenu vers un contexte différent pour en modifier le sens. L’artiste voit et fabrique une inquiétante étrangeté avec un matériau qui semble anodin mais qui se révèle, au final, fascinant. Tout comme le sont les rêves qu’elle extrait de son journal pour créer ses expositions. Car Barbara Breitenfellner rêve ses installations, au sens propre, et les recense dans un cahier de notes nocturnes. Il ne s’agit pas d’une démarche analytique ou exhaustive : elle ne s’intéresse qu’à ses rêves en lien avec l’art et l’exposition. Les énoncés servent de point de départ à une mise en scène distanciée, où imaginaire et fantasme livrent des énigmes savamment orchestrées dans l’espace. En rendant public ses propres rêves, l’artiste opère ainsi un déplacement entre la nuit et le jour, l’onirique et le réel, l’humour et le sérieux.

À Pontault-Combault, le long rêve qui sert de point de départ (et de titre) à l’installation évoque le dos d’une femme, de la neige, une tresse, un film… Et, comme tous les rêves, il recèle un certain nombre d’inconnues et d’incertitudes. Autant d’éléments qui se retrouvent dans la composition finale du mur-installation de près de 30 mètres de long. Il est difficile, à la lecture du texte d’origine, de ne pas penser aux surréalistes mais aussi à William Burroughs ou Heiner Müller — auteurs qui ont utilisé leurs rêves comme source d’inspiration et de création. Mais il ne s’agit jamais d’une mise en espace pure et simple des textes. L’artiste explique que ses notes nocturnes ne sont pas accompagnées d’images, que son souvenir se limite aux quelques mots inscrits sur le papier au milieu de la nuit. De fait, c’est un long et patient travail de traduction qui est nécessaire pour fabriquer ces installations. Elles ne sont pas une illustration d’un texte mais sont faites de dizaines de décisions entre figuration et abstraction, interprétation et invention, signes et symboles, afin de créer un tout cohérent et dérangeant auquel il faut accorder une certaine dose de mystère et de liberté formelle. Ne pas chercher à interpréter mais, plutôt, à entrer dans un monde fait de couches de signifiants superposés et entrelacés : représentations de la femme et de la féminité, bestiaire varié, paysages désertés et images de mains en action s’associent de manière subtile et signifiante.

Pour trouver les images en lien avec la neige et la tempête utilisées dans son installation, Barbara Breitenfellner n’a pas eu recours à Google (ce que nous faisons tous les jours) mais à Emmanuelle Fructus et à sa collection particulière de photographies trouvées2. Car les sources et le soin particulier apporté à leur choix sont ce qui importe en premier pour un collage. C’est aussi un art de l’association et, afin de créer le long mur du CPIF, Barbara Breitenfellner a convoqué nombre de techniques employées dans ses collages de petit format : l’inversion d’un motif, la découpe en négatif, le déplacement d’une silhouette et la surimpression s’y retrouvent employés. Sans parler, cette fois, du traitement numérique pour le « glitch » évoqué dans le titre de l’exposition.

En plus de cette installation spécialement conçue pour le CPIF, Barbara Breitenfellner a effectué un choix d’une cinquantaine de collages, revenant sur plus de dix années de production, associant des oeuvres clés avec des travaux récents et, notamment, les grandes sérigraphies sérielles qu’elle développe depuis 2017. Elle a demandé à ses collectionneurs de prêter leurs possessions et c’est donc la première fois que se retrouveront exposés le premier numéro WVZ 001 (2006) de son catalogue raisonné, en lien avec un des tout derniers, le collage référencé WVZ 524 de 2018, mais aussi WVZ 109 (2009) dont un fragment (le dos d’une femme découpé dans un livre médical) est amplifié et triplé dans l’installation. L’accrochage des collages, strictement chronologique, permet aux visiteurs de découvrir l’évolution des techniques de l’artiste au jour le jour (de la simple sérigraphie sur une page de magazine à des compositions nettement plus complexes) mais, aussi, d’admirer la grande cohésion thématique de son travail.

Enfin, pour insister sur l’aspect fascinant de la photographie au quotidien, Barbara Breitenfellner a demandé à Kathy Alliou de prêter et d’exposer pour la première fois une partie de sa collection privée d’images présentant des ventriloques plus ou moins célèbres. Tirages de presse, images de promotion dédicacées, cartes postales ou archives personnelles, elles présentent des hommes (et plus rarement des femmes) accompagnés d’une poupée douée de parole. La ventriloquie est, évidemment, une pratique étrange et légèrement passée de mode, où le texte est dit par quelqu’un d’autre, ce qui permet au manipulateur de jouer à l’idiot savant et de prononcer des vérités désagréables.

Faire parler « l’autre » se retrouve aussi dans l’usage que fait Barbara Breitenfellner de son journal de rêves et les critiques grotesques mais bien réelles du monde de l’art qu’il contient. Elle est l’auteur des textes qui deviennent installation mais évoque toujours un certain détachement, le sentiment d’être étrangère à ses notes nocturnes pour pouvoir, au final, énoncer une critique joyeuse de l’art, de la vie d’artiste et des expositions.


1 Dans le cadre du programme Les Précipités #6 et suite à sa résidence de recherche et de création réalisée à l’été 2018, en partenariat avec la Cité internationale des arts et l’Institut français.
2 http://unlivreuneimage.free.fr