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“Monumental Balzac” Petite histoire des monuments au grand écrivain
au musée des Beaux-Arts de Tours

du 18 mai au 2 septembre 2019



www.mba.tours.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, voyage et présentation presse de l'exposition, le 20 mai 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Henri Auguste Dochy (1851-1900), Balzac d'après la statue élevée à Tours en 1889. Gravure sur bois, 19e siècle. H. 16,7 ; L.13,5 cm (montage 40 x 30 cm). Paris, Maison de Balzac. © Maison de Balzac / Roger-Viollet.
2/  Alexandre Falguière (1831-1900), Etude pour Balzac, 1898 ?. Plâtre ; H. 95,3 ; L. 40,7 ; P. 42 cm. Paris, musée Rodin. © Musée Rodin / Christian Baraja
3/  Honoré de Balzac (1799-1850). Tirage ancien réalisé d'après le daguerréotype original de Louis-Auguste Bisson, 1842. H. 13,7 ; L. 11,9 cm. Paris, Maison de Balzac. © Paris, Maison de Balzac / Roger-Viollet.

 


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Interview de François Blanchetière, conservateur du patrimoine au musée des Beaux-Arts de Tours,
responsable des collections 19e-20e siècle et des sculptures et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Tours, le 20 mai 2019, durée 22'02". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Sophie Join-Lambert, conservatrice en chef, directrice du musée des Beaux-Arts de Tours.
François Blanchetière, conservateur du patrimoine au musée des Beaux-Arts de Tours, responsable des collections 19e-20e siècle et des sculptures




Cette exposition s’inscrit dans le contexte de la commémoration du 220ème anniversaire de la naissance de Balzac à Tours, qui donnera lieu à de nombreux événements (expositions, conférences, spectacles, parcours dans la ville…).

La vie des monuments publics est beaucoup moins paisible que ce que l’on pourrait croire ! Les statues érigées en hommage à Honoré de Balzac en donnent d’éloquents exemples, à commencer par la toute première, oeuvre du sculpteur Paul Fournier, qui fut inaugurée à Tours en 1889, et qui a été détruite pendant la Seconde Guerre mondiale.

A Paris, la Société des gens de lettres souhaitait elle aussi rendre hommage à Balzac, qui en avait été le président en 1838. En 1888, elle passa commande à un premier sculpteur, Henri Chapu, qui mourut sans avoir pu dépasser le stade des esquisses et de la maquette. L’artiste suivant n’était autre qu’Auguste Rodin, qui à cette occasion créa l’un de ses plus grands chefs-d’oeuvre, après sept années d’une gestation douloureuse. Son Balzac suscita en 1898 une polémique très importante pour l’histoire de l’art en général et pour celle des monuments publics en particulier, autour de questions comme la liberté de l’artiste ou encore la ressemblance entre le monument et le personnage qu’il doit honorer. L’oeuvre fut finalement refusée par son commanditaire, et c’est un troisième artiste, Alexandre Falguière, qui réalisa la statue inaugurée à Paris en 1902.

À Tours, la disparition du monument de Paul Fournier, en 1942, donna au sculpteur Marcel Gaumont l’occasion d’imaginer un ambitieux projet d’oeuvre de remplacement, qui n’aboutit pas.

Aujourd’hui, la Ville de Tours souhaite de nouveau rendre hommage à Balzac par la création d’une oeuvre commandée à l’artiste Nicolas Milhé.






Parcours de l’exposition :

# Introduction : Balzac et son image Portraits dessinés, peints et sculptés, réalistes ou caricaturaux

Balzac eut un rapport compliqué à sa propre image : s'il refusa longtemps que l'on fasse son portrait, il fut confronté en 1835 au succès public de la statuette à son effigie créée par Dantan, puis à d’autres caricatures, qui le représentaient en dandy jouisseur, aimant les beaux habits, fier de sa canne… Soucieux de corriger cette image désormais trop connue, il se forgea un personnage public aux traits fréquemment évoqués par ses contemporains, ceux d'un homme corpulent, plein de vie, à la chevelure noire ample et longue, au nez fort, aux lèvres sensuelles, travaillant tel un bénédictin dans sa robe de chambre... Il accepta dès lors que plusieurs artistes le représentent en peinture (Boulanger, 1836), en photographie (Bisson, 1842), au pastel (Gérard-Séguin, 1842), en sculpture (David d'Angers, 1844), etc. Dès la mort de l'écrivain, en 1850, l'idée de lui élever un monument fut avancée par de nombreux admirateurs. Le sculpteur Etex, notamment, griffonna quelques idées sculpturales, mais aucun projet n'aboutit finalement.

# I. Le premier monument : Paul Fournier, Tours, 1889
Au milieu des années 1880, le maire de Tours, le Dr Alfred Fournier, lança un nouveau projet de monument destiné à honorer Balzac dans sa ville natale. Le sculpteur Paul Fournier fut choisi pour réaliser la statue en bronze qui fut installée en 1889 place du Palais (actuelle place Jean-Jaurès, devant l’hôtel de ville). L’inauguration du monument, célébrée en même temps que celle du Grand Théâtre, donna lieu aux festivités d’usage à cette époque : défilé, discours, musique, déclamation de poèmes (dont un écrit par Paul Fournier luimême), etc. Il s’agissait d’un monument traditionnel, représentant Balzac assis, penché en avant, dans un moment d’inspiration ; l’image du célèbre écrivain était bien reconnaissable, avec sa chevelure longue, son costume à la mode de l’époque et la robe chambre dans laquelle il aimait travailler… L’oeuvre ne remporta pas un grand succès, elle était simplement un monument parmi la multitude que l’on éleva en France sous la Troisième République, remplissant efficacement, mais sans génie, sa fonction mémorielle dans l’espace public.

# II. La commande de la Société des gens de lettres Henri Chapu, 1888-1891
Au moment même où Tours faisait aboutir son projet, la Société des gens de lettres, que Balzac avait contribué à fonder, avait elle aussi relancé l'idée d'un tel monument pour Paris. Elle passa commande à Henri Chapu, l'un des plus grands sculpteurs académiques de sa génération. Ce dernier fit de nombreuses études dessinées et proposa la maquette d’un monument respectueux des règles classiques, avec Balzac assis, en robe de chambre, bras croisés, accompagné d’une allégorie. Sa mort, en 1891, empêcha ce projet d’aboutir.

# III. Le Balzac de Rodin, 1891-1898
À la suite du décès de Chapu, le nouveau président de la Société des gens de lettres, Émile Zola, fit en sorte que la commande passe à Auguste Rodin. Ce dernier, plus jeune et moins en vue que Chapu, était alors en train de s'imposer comme le principal représentant d'une sculpture "indépendante", c'est-à-dire non régie par les conventions académiques. Rodin se passionna pour ce sujet, il visita les lieux où Balzac avait vécu et rencontra des personnes qui l’avaient connu, afin de rassembler autant de documents que possible sur l'homme et sur l'écrivain. Il vint ainsi visiter Tours et son musée, où il commanda des reproductions photographiques des portraits qu'il y avait admirés. Dans les sept années qui suivirent, Rodin multiplia les esquisses et les maquettes : Balzac debout, appuyé à une pile de livres, puis campé fermement sur ses jambes, les bras croisés ; Balzac nu, ou vêtu d'une redingote, ou d'une robe de chambre… Il fit aussi de nombreuses études pour la tête, cherchant d'abord la ressemblance puis la traduction d'une personnalité. Il aboutit finalement à une œuvre dont l’audace inouïe nous est difficilement perceptible aujourd’hui : une sculpture très longuement mûrie, épurée de tout détail superflu ; une tête aux formes tourmentées, juchée sur un corps aux volumes enveloppés dans le drapé d’une grande robe ; une tentative sans précédent visant à synthétiser la profondeur de vision, la puissance d’invention et la vigueur d’expression en une seule figure humaine. Lorsqu'il parvint à une maquette qu’il jugea satisfaisante, il la fit agrandir mécaniquement aux dimensions que devait avoir le monument, soit presque trois mètres de haut. Considérant enfin son Balzac comme terminé, il le présenta au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts en 1898. L’accueil de la critique et du public fut très partagé : certains se dirent scandalisés, d’autres reconnurent qu’ils étaient ébranlés, qu’ils n’avaient jamais rien vu de tel, mais qu’il y avait là une chose belle et forte, porteuse de voies nouvelles pour la sculpture et pour l’art tout entier. La Société des gens de lettres, quant à elle, fit savoir qu’elle refusait l'oeuvre, tout simplement, car elle n’y reconnaissait pas le Balzac qu’elle souhaitait honorer. Ce grand mais simple modèle en plâtre, ce projet désormais sans destination, devint immédiatement, pour toute une part de la critique et du monde artistique et littéraire, un formidable symbole de ce que pouvait être un art moderne, c'est-à-dire de son temps, loin de la répétition des formules traditionnelles, efficaces mais répétitives. Le fait est qu'aux yeux de son époque, Rodin avait échoué à créer un monument public, un hommage au grand homme qui puisse faire consensus pour la société toute entière. Il avait en revanche, sans en être immédiatement vraiment conscient, créé une oeuvre majeure de l'histoire de l'art, un jalon dans l'évolution de la sculpture. En amont de ce monument, devenu depuis LE monument à Balzac, il reste de cette genèse longue et douloureuse un groupe de plusieurs dizaines d’oeuvres. Il s’agit de l’ensemble le plus important de toute la carrière de Rodin, qui témoigne des étapes de sa réflexion, de ses réussites comme de ses échecs nécessaires, de sa lente progression vers le chef-d’oeuvre qu’il désigna plus tard comme « le pivot de [son] esthétique ». L’oeuvre fut immédiatement célèbre, de nombreux artistes en furent impressionnés (voir réactions et lettres envoyées à Rodin par Monet, Camille Claudel, Bourdelle…) et le jeune photographe Edward Steichen décida de traverser l’Atlantique pour venir voir cela. Quelques années plus tard, en 1911, il fit un ensemble de photographies du Balzac au clair de lune, qui comptent parmi les chefs-d’oeuvre de la photographie pictorialiste.

# IV. Le monument de Falguière, 1898-1902
Après avoir refusé le monument proposé par Rodin, la Société des gens de lettres ne jeta pas l'éponge : elle annula la commande et en passa une nouvelle à un troisième sculpteur, Alexandre Falguière, digne successeur de Chapu. Falguière avait déjà travaillé à un projet de monument à Balzac, une vingtaine d’années plus tôt, pour un commanditaire privé, le financier Daniel Iffla, dit Osiris (propriétaire et rénovateur du château de la Malmaison). Il reprit ses esquisses, et livra une maquette qui se rapprochait de celle de Chapu, avec un Balzac assis, méditant. Rien qui puisse effrayer les foules, un monument solide, remplissant sa vocation, dont le critique Gustave Geffroy dit que « si le Balzac de Rodin a pu être comparé à un sac, c’était au moins un sac plein, et celui de M. Falguière est un sac vide ». Le sculpteur mourut en 1900, mais son collègue et ami Paul Dubois se chargea de superviser l’achèvement du monument taillé dans le marbre. Il fut inauguré en 1902 avenue de Friedland, dans le 8ème arrondissement de Paris, au bout de la rue Balzac.

# V. Les projets parallèles d’Anatole Marquet de Vasselot
Anatole Marquet de Vasselot (1840-1904) avait réalisé en 1876 un buste en marbre de Balzac pour la Comédie française, dont il avait offert un exemplaire au musée de Tours en 1881. Passionné par Balzac, le sculpteur mit un point d’honneur à devenir l’auteur du monument qui lui rendrait dignement hommage. En 1896, il proposa un projet dont il espérait qu’il puisse pallier l’échec de Rodin, qui lui semblait évident. Le Balzac-sphinx qui en résulta était une oeuvre très étrange, proche du symbolisme, et certainement peu à même de contenter la Société des gens de lettres…

# VI. Tours et ses monuments à Balzac, Une histoire compliquée
La commémoration du centenaire de la naissance de Balzac, en 1899, fut l’occasion de commander au sculpteur François Sicard un hautrelief en bronze qui fut installé sur la maison natale de l’écrivain, rue Nationale. Lorsque cette maison fut détruite par le grand incendie qui ravagea une partie de la ville en 1940, le conservateur du musée de Tours, Horace Hennion, récupéra l’oeuvre pour la mettre à l’abri au musée des Beaux-Arts. Après la guerre, le même Horace Hennion fit déposer ce relief en bronze au musée Balzac qu’il contribua à créer au château de Saché. Toujours pendant la guerre, en 1942, le monument de Paul Fournier fut envoyé à la fonte. Il semble qu’il n’y ait guère eu de tentative de la population pour s’opposer à cette mesure, contrairement à ce qui a pu se produire dans d’autres villes (voir le cas de Chinon et de son monument à Rabelais). Le sculpteur Marcel Gaumont se vit confier par l’Etat la conception d’un monument en pierre qui devait remplacer le bronze qui venait d’être fondu. Ce projet n’aboutit pas, mais il ressurgit en 1949, à l’instigation du co-fondateur du musée Balzac de Saché, Paul Métadier. Nous connaissons deux maquettes grâce à des photographies, qui nous indiquent que Gaumont prévoyait de donner une grande importance à l’évocation de la Comédie humaine, plutôt qu’à l’image du grand écrivain. Paul Métadier lança une souscription, mais ce projet ne remporta pas un succès suffisant pour aboutir, et les maquettes ont sans doute disparu. En 2000, l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine prit l’initiative de faire ériger un nouveau monument à Balzac. Le maître verrier Jean-François Wiart a réalisé une stèle en pâte de verre formée de deux dalles bombées, sur lesquelles sont sérigraphiées des images de Balzac, des photos de ses manuscrits, des extraits de ses ouvrages… Cette oeuvre modeste par sa taille (H. 2,55 m ; L. 50 cm environ) et par son ambition artistique a été inaugurée en 2001 dans le square François-Sicard, tout près du musée. Aujourd’hui, la Ville de Tours souhaite de nouveau rendre hommage à Balzac par l’organisation de divers événements en 2019 (dont la présente exposition) et par la création d’une oeuvre contemporaine. Les questions posées par un tel projet, dans le contexte de l’art contemporain, sont nombreuses et complexes : veut-on un monument public au sens strict, qui soit un hommage explicite au grand homme ? Une telle oeuvre devrait porter la mémoire de Balzac, permettre une reconnaissance évidente de sa personnalité, ce qui de nos jours n’est pas une chose : si l’on érige régulièrement des monuments commémorant des causes (la résistance, les victimes de la Shoah, d’un accident…), il est beaucoup plus rare que l’on se hasarde encore à honorer un individu ; lorsque c’est le cas, il est difficile d’adopter une image figurant la personne, car alors on encourt le risque de la non-ressemblance ou de l’académisme…