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“Broderies de tradition byzantine en Roumanie du XVe au XVIIe siècle” 2724
au Louvre - Département des Objets d’Art, Paris

du 18 avril au 29 juillet 2019



www.louvre.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Jannic Durand, le 22 mai 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Voile de tombeau du prince Jérémie Mogila. Atelier de Moldavie (?), après 1606. Broderie à fils d’argent, d’argent doré et de soie polychrome sur support de velours rouge. H. 237 ; L. 145 cm. © Monastère de Sucevița, archevêché de Suceava et Radauti.
2/  Voile d’iconostase offert par Étienne le Grand : L’Ascension. Atelier de Moldavie, monastère de Putna, 1er avril 1484. Broderie à fils d’argent, d’argent doré et de soie polychrome sur support de soie rouge. H. 118 ; L. 151 cm © Monastère de Putna, Roumanie.
3/  Voile de patène : Communion des Apôtres sous l’espèce du pain, offert par Étienne le Grand. Atelier de Moldavie, monastère de Putna (?), 1481. Broderie à fils d’argent, d’argent doré, de soie polychrome, et de perles sur un support de satin de couleur brune. H. 53 ; L. 53,5 cm. © Monastère de Putna, Roumanie.

 


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Interview de Jannic Durand,
directeur du département des Objets d’art du musée du Louvre et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 22 mai 2019, durée 22'07". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition :
Pour la partie française : Jannic Durand, directeur, et Dorota Giovannoni, documentaliste scientifique, département des Objets d’art, musée du Louvre.
Pour la partie roumaine : Emanuela Cernea, conservatrice en chef, et Iuliana Damian, conservatrice, département d’Art roumain ancien, Musée national d’art de Roumanie.




Dans le cadre de la Saison France-Roumanie 2019 et à l’occasion du prêt emblématique par la Roumanie de la Bannière de saint Georges du prince Étienne le Grand, l’exposition se propose de mettre en valeur le caractère exceptionnel des collections roumaines de broderies religieuses de tradition byzantine et post-byzantine, fleuron du patrimoine roumain et universel.

Autour du chef-d’œuvre offert par Étienne le Grand (1457-1504) au monastère de Zographou au Mont Athos, récupéré par un détachement de l’armée française pendant la Première Guerre mondiale et remis solennellement par la France à l’État roumain en 1917, une trentaine d’œuvres insignes illustreront l’extraordinaire développement de la broderie de tradition byzantine en Roumanie du milieu du XVe au milieu du XVIIe siècles.

Les textiles réunis dans l’exposition sont présentés en trois grands ensembles, correspondant essentiellement à leur fonction et usage.

Le premier ensemble évoque la « panoplie sacerdotale » des évêques, des prêtres et des diacres, héritée de Byzance : épitrachelion (étole), épigonation (tissus en forme de losange), épimanikia (manchettes), orarion (étole des diacres). A leurs côtés, le célèbre manuscrit des Œuvres de saint Denis Aréopagite offert en 1408 au trésor de Saint-Denis par l’empereur Manuel II Paléologue et un saint Nicolas de la fin du XVIe siècle attribué à Michel Damaskinos aideront le public à mieux comprendre le vêtement sacertodal orthodoxe.

Le deuxième ensemble est dévolu à la « panoplie liturgique », textiles destinés à la célébration de la liturgie : aër et petits aërs (voiles de calice et de patène), grand aër – épitaphios, podea (voile d’icône), rideau d’iconostase…. Pour comprendre l’usage des épitaphioi dans l’espace liturgique sera exposé en regard un relevé des fresques de l’église de la Vierge Peribleptos de Mistra issu des archives Gabriel Millet.

Enfin, le troisième ensemble, unique au monde, rassemble de spectaculaires couvertures de tombeaux princiers, dans lesquelles le caractère hiératique des images byzantines cède bientôt le pas à la tentation du portrait. A partir de la célèbre Marie de Mangop, l’exposition esquisse les grands traits d’une typologie princière jusqu’au XVIIe siècle, avec les deux princes Mogila de Sucevița et les deux portraits de Iaşi, celui de la princesse Tudosca, épouse de Basile le Loup et celui de leur fils Ioan. La présentation de de l’effigie d’une impératrice byzantine gravée au XVIIe siècle, permet d’inscrire les chefs-d’œuvre roumains dans une longue tradition.

L’exposition se clôt par l’évocation de la figure de Gabriel Millet (1867-1953), qui sillonna la Grèce et les Balkans et rapporta de ses voyages une documentation photographique et aquarellée irremplaçables, dans laquelle les broderies roumaines tiennent une place de choix.






Parcours de l’exposition :

# Les principautés roumaines à la fin du Moyen Age

La Roumanie moderne est l’héritière des deux principautés de Moldavie et de Valachie, auxquelles se sont ajoutées la Transylvanie à l’ouest et la Dobroudja sur la mer Noire. La Moldavie et la Valachie s’émancipent au XIVe siècle de la tutelle hongroise et obtiennent respectivement en 1359 et en 1416 du patriarcat de Constantinople la création d’une métropole ecclésiastique. L’expansion des Ottomans dans les Balkans contraint la Valachie à reconnaitre leur suzeraineté dès 1420 et la Moldavie, à son tour, en 1453-1456. Toutefois, jouant habilement des rivalités entre Empire ottoman, Pologne et Hongrie, les principautés roumaines parviennent à maintenir une certaine autonomie et connaissent même un véritable Âge d’or entre le milieu du XVe siècle et l’aube du XVIIe.

# 1/ 28 juillet 1917
Le 28 juillet 1917, à l’occasion d’une cérémonie solennelle à la Sorbonne, la France en guerre remettait à la Roumanie combattante aux cotés des Alliés l’Étendard d’Étienne le Grand. C’était une luxueuse broderie réalisée pour le voïévode de Moldavie Etienne III le Grand (1457-1504), arrachée quelques mois auparavant par l’Armée d’Orient du général Sarrail au monastère de Zographou au Mont Athos auquel le prince moldave l’avait sans doute offerte. Un siècle plus tard, l’Étendard revient à Paris dans le cadre de la Saison France-Roumanie 2019 qui accompagne la présidence de l’Union européenne par la Roumanie. Autour de cette oeuvre emblématique, chargée d’histoire, le musée du Louvre présente au coeur de ses collections du Moyen Âge et de la Renaissance quelques-uns des chefs-d’œuvre de broderies de tradition byzantine de Roumanie.

# 2/ l’étendard d’Étienne Le Grand
L’Étendard est probablement une bannière liturgique qui compte au nombre des plus anciens témoins subsistant d’un type en usage dans les processions religieuses. Elle comportait à l’origine deux faces, la première montrant la Résurrection, la seconde, seule conservée, saint Georges trônant. Le saint, en armure, est couronné par deux anges en vol qui tiennent une épée et un petit bouclier. Lui-même tient fièrement son épée, tandis que ses pieds reposent sur le dragon de la légende, ici doté de trois têtes, vaincu et assagi. Cette iconographie, relativement rare, réservée aux saints militaires, explique sans peine l’identification avec un étendard autrefois proposé. En partie issue des modelés de l’art impérial antique, elle installe les martyrs sur le trône qui leur est réservé dans le ciel. Cette formule, attestée dès le XIIIe siècle à Byzance pour saint Démétrios, le grand martyr de Thessalonique, se développe dans l’art post-byzantin, en particulier dans les Balkans.

# 3/ Les broderies religieuses de tradition byzantine en Roumanie
Les anciennes principautés de Moldavie et Valachie abritent un ensemble de broderies religieuses de tradition byzantine éblouissant. Les plus anciennes conservées ou connues par des documents remontent à la fin du XIVe siècle, lorsque les deux principautés s’individualisent. La typologie et l’iconographie sont à l’école de Byzance avec laquelle les principautés roumaines partagent la même foi orthodoxe, ce qui n’empêche pas la langue slavonne en usage dans l’Église de se mêler au grec dans les inscriptions. Les techniques complexes, l’usage du fil d’or et du fil d’argent, les perles qui soulignent volontiers les contours sont hérités du métier byzantin. Les ateliers, plus difficiles à appréhender, semblent s’être concentrés dans les monastères princiers et ceux de la haute hiérarchie ecclésiastique, ou les femmes, princesses donatrices et moniales, paraissent avoir joué un rôle déterminant.

# 4/ Panoplie sacerdotale
Les vêtements sacerdotaux de l’Église orthodoxe et ceux de l’Église latine ont la même origine, mais ils ont évolué séparément, surtout après la séparation des Églises d’Orient et d’Occident en 1054. Indépendamment de l’aube et de la chasuble (en grec : sticharion et phelonion), l’étole (épitrachelio), symbole par excellence de la prêtrise, est souvent luxueusement ornée. Les diacres en ont une version plus sobre (l’orarion). Les manchettes liturgiques (épimanikia) sont attachées aux poignets. Le port de l’épignoration, inconnu de l’Église latine, est réservé aux évêques. Il s’agit d’une pièce d’étoffe rigide en forme de losange suspendue au niveau de la cuisse droite. Il se reconnait souvent à la disposition en diagonale des images qu’il porte.

# 5/ Panoplie liturgique et étoffes décoratives
Les textiles utilisés dans la liturgie orthodoxe sont les pièces indispensables à la célébration de l’eucharistie ou Divine Liturgie : voiles de patène et de calice, voile double destiné à couvrir le calice et la patène ensemble (aër) et grand aërépitaphios, réservé à la liturgie de Pâques. Liés par essence aux Saintes Espèces et à l’accomplissement du rite, ces tissus ont un caractère sacré. Plus largement, on peut leur associer les étoffes sacrées décoratives, telles que voiles ou rideaux d’iconostase (cloison séparant le sanctuaire de la nef), voiles ou podea des icônes, couvertures de lutrin, bannières de procession… Les fresques de l’église de la Vierge Peribleptos à Mistra montrent la Divine Liturgie célébrée au ciel par le Christ et les anges : quittant en procession l’autel où le célébrant est le Christ lui-même, les anges diacres portent les instruments liturgiques couverts des aërs et le grand aër-épitaphios porte sur leurs épaules.

# 6/ Couvertures et voiles de tombeaux
Les voiles de tombeaux des princes brodés à leur effigie constituent l’ensemble de broderies le plus singulier issu de la tradition byzantine, esquissant les grands traits d’une typologie princière jusqu’au XVIIe siècle. Le plus ancien, celui de Marie de Mangop, deuxième épouse d’Etienne le Grand morte en 1477, ensevelie au monastère de Putna, reprend le modelé des images impériales byzantines de la famille des Paléologues à laquelle Marie appartenait, mais elle dort, dans l’attente de la résurrection. Autour de 1600, les voiles des tombeaux des princes Jérémie et Siméon Mogila au monastère de Suceviţa renouent avec cette tradition. Jérémie, les yeux grands ouverts, est vêtu à la mode princière ottomane de son temps. Au contraire, Siméon dort, les mains jointes comme un gisant gothique d’Occident. Enfin, vers 1639, les portraits de la princesse Tudosca, épouse de Basile le Loup, et de leur fils Joan n’étaient peut-être pas destinés à recouvrir leur tombeau dans l’église des Trois-Saints-Hiérarques de Iaşi, mais à célébrer la famille des fondateurs. Ils cèdent désormais aux séductions des portraits à l’occidentale d’Europe centrale.

# 7/ Épilogue
Des broderies de Roumanie sont exposées dès 1867 à Paris à l’occasion de l’Exposition universelle, mais c’est en 1925 que l’exposition roumaine du Jeu de Paume permet au public français de découvrir la richesse des broderies de tradition byzantine en Roumanie. Gabriel Millet (1867-1953), fondateur de la Photothèque qui porte aujourd’hui son nom, après avoir sillonné la Grèce et les Balkans et participé en 1924 au premier Congrès international des études byzantines à Bucarest, “voit alors la Roumanie venue à lui, au Jeu de Paume, avec les plus belles pièces de ses trésors et de ses musées”. La découverte des collections roumaines est fondamentale dans l’oeuvre du chercheur. En 1947, dans son ouvrage pionnier sur les Broderies religieuses de style byzantin, toujours irremplaçable, les broderies de Roumanie tiennent aux cotés de celles des monastères grecs de l’Athos une place d’honneur.