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“Guillaume Bresson” article 2732
à la Galerie Nathalie Obadia - Cloître Saint-Merri, Paris

du 18 mai au 29 juin 2019



www.galerie-obadia.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Guillaume Bresson, le 28 mai 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Guillaume Bresson, Sans titre, 2018-2019. Peinture à l’huile sur toile, 198 x 280 cm. Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles. Crédit photo: Bertrand Huet / Tutti image.
2/  Guillaume Bresson, Sans titre, 2018.Peinture à l’huile sur toile, 195 x 130 cm. Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles. Crédit photo: Bertrand Huet / Tutti image.
3/  Guillaume Bresson, Sans titre, 2018-2019. Peinture à l’huile sur toile, 202 x 138 cm. Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles. Crédit photo: Bertrand Huet / Tutti image.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Tout est gris sur ce bord de mer de Picardie : l'asphalte répond au ciel couvert, chargé d'orage. Deux personnages dansent, des pas absurdes devant une baraque de fête foraine, des autos tamponneuses dont l'enseigne couleur de cuivre réchauffe l'atmosphère, la teintant de rose. Le temps chez Guillaume Bresson est suspendu, figeant tout dans une lourde apesanteur. Le procédé de découpage, d'isolation puis de recomposition des sujets abandonne l'intervention narrative pour les laisser dire et faire d'eux-mêmes, respecter leur liberté en quelque sorte.

Cette peinture d'exploration formelle s'articule d'abord sur la composition, digne héritière de Bruegel, des maitres de la renaissance. Les hommes en foule chaotique et furieuse se jettent à corps perdu dans toutes les directions ; chacun investi avec théâtralité dans son extraordinaire destin, sourd aux autres et pourtant tous inséparables. Les adolescents de son quartier, collégiens et lycéens posent, jouent, puis leurs corps détourés devenus matériau s'extraient de leur modernité pour devenir figures classiques. Survêtements et tee-shirts se transforment en toges, en drapés romains ou mésopotamiens.

Le collage mélange les plans : celui de devant passe derrière, ceux qui se font face se tournent le dos, les interactions que l'on devine ne semblent pas tout a fait celles que l'on croit, elles échappent à une catégorisation trop tranchée, glissent toujours des mains de qui veut les saisir et en fixer le sens. Il reste des jeunes gens qui chutent, se déshabillent ou tentent de se retenir les uns des autres comme des anges déchus chassés d'un plafond florentin. Le décor de vague sombre, aux obscurités noires de jugement dernier fait fuir jusqu'aux goélands volant devant, montrant le chemin. L'océan est traité différemment que les personnages hyperréalistes : en flous rapides d'écume, quelques valeurs aux contours tranchés se dissociant jusqu'à n'être plus que deux formes grises, comme un bout de motif camouflage militaire.

Sur un fond presque noir, des personnages morcelés en bouts de bras et jambes se voient également aplatis en formes, silhouettes plates, devenus vagues à leur tour. Ce jeu d'apparition/disparition fait entrer en collision le passé, le présent, le futur, créant une nouvelle forme de narration. Guillaume Bresson narrateur malgré lui propose un triptyque sombre au noir de soie, une mythologie ou on est là en n'y étant plus ou pas encore. Une fois le décor disparu, les personnages décomposés en clair et en sombre génèrent autour d'eux de nouvelles formes. De leurs grands gestes tournoyants comme des combats naissent des herbes, des buissons, des arbres tortueux et décharnés, des rochers blancs comme de la neige. Le traitement se libère, part dans le geste, la rapidité fluide rend le sol hésitant entre terre, roche, ou l'immatérialité d'un nuage.

Puis la toile devient un grand espace blanc, vierge et aveuglant d'une lumière crue de néon, traversé de fines lignes tracées au crayon, des grilles de perspective, une ligne d'horizon à laquelle deux jeunes femmes ne prêtent aucune attention, occupées à partager quelque confidence. Le monde devient inutile, il s'efface, laissant place à un néant de lumière devenu le monde nouveau, libre, comme l'est celui de Neo le héros de Matrix. Jusqu'aux mains et jambes des héroïnes disparaissent, membres caducs de corps prêts à se réinventer. Que peut-on dire avec les formes contemporaines, avec le langage de nos rues qui puisse nous parler un peu d'absolu ? qui dépasse les limites formelles du plastique, de la polyamide pour toucher les cieux peints sur les dômes ? Guillaume Bresson continue avec bonheur et succès son exploration humble et virtuose.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

La Galerie Nathalie Obadia consacre une quatrième exposition au peintre Guillaume Bresson, faisant suite au solo show que vient de présenter le French Institute Alliance Française (FIAF) à New York, où l’artiste réside depuis 2016.

Considéré comme l’un des peintres français les plus singuliers de sa génération, Guillaume Bresson présente ici un ensemble de toiles récentes réalisées dans son atelier new-yorkais, qui témoignent de l’évolution de son travail de scènes de rue hyperréalistes vers des territoires plus imaginaires. A travers un système de représentation issu des enseignements de la Renaissance italienne et du Classicisme français, Guillaume Bresson met en scène des sujets contemporains - une peinture du monde social d’autant plus saisissante qu’elle glisse dans une forme d’onirisme lyrique, qui plutôt que de le nier le transfigure.

Le corps-à-corps, une constante dans l’oeuvre de Guillaume Bresson, est ici décliné dans différents espaces, plus ou moins identifiables, plus ou moins familiers ou abstraits : une zone de périphérie urbaine, un lavomatic, l’environnement domestique d’une cuisine, des sous-bois enneigés qui ne sont pas sans rappeler les paysages hivernaux de Pieter Brueghel l’Ancien, une mer agitée.

Guillaume Bresson présente dans cette exposition différents éléments de son processus de travail : des grilles de perspective laissées apparentes aux peintures sur toile grands formats en passant par de plus petites études préparatoires, réalisées après les séances de pose qu’il effectue avec ses modèles amateurs puis recompose librement. L’artiste expérimente également une technique de transfert photographique, qui constitue le support de plusieurs peintures.

Au sein même des toiles, certaines zones vierges, qui contrastent avec des parties bien plus détaillées font également ressentir ce processus créatif de la peinture qui se donne aussi pour sujet : les toiles de Guillaume Bresson se nourrissent de ces vides, qui apportent une aura profonde et silencieuse aux scènes représentées.

Ce travail tout en contrastes rend d’autant plus sensible la réalité sociale qui est figurée de manière tantôt explicite, tantôt symbolique : celle des individus déshérités ou marginalisés (et souvent décentrés du tableau), courbés par le poids de la vie ou déjà à terre, sous les allures d’une descente de croix transposée au creux d’une vague qui se brise sous un ciel crépusculaire qui ne peut que rappeler les tragédies migratoires contemporaines. Si le contact humain est omniprésent dans l’oeuvre de Guillaume Bresson, et prend par exemple les traits de deux jeunes filles de profil dont le rapprochement physique évoque le baiser de Giotto, son absence est d’autant plus frappante quand il s’agit de dépeindre cette forme de solitude existentielle qui s’installe dans des lieux souvent désertés. Le thème de la violence, récurrent dans l’oeuvre de Guillaume Bresson, trouve encore ici sa pleine expression et son ambiguité y est plus que jamais manifeste.

À travers une peinture qui fonctionne par citations et écarts, Guillaume Bresson déjoue subtilement les attentes et parvient à magnifier ses sujets en restant toujours fidèle à cette sorte de vérisme contemporain, auquel il a su donner une forme propre et magistrale.