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“Ernest Mancoba” article 2757
au Centre Pompidou, Paris

du 26 juin au 23 septembre 2019



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 25 juin 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Ernest Mancoba, Untitled, non daté. Encre et pastel à l'huile sur papier, 50 x 32,5 cm. Collection Mikael Andersen. © Courtesy of the Estate of Ferlov Mancoba.
2/  Ernest Mancoba, Mater Christi, 1934. Sculpture en bois jaune, 38 cm de hauteur. Norval Foundation, Cape Town. © Courtesy of the Estate of Ferlov Mancoba.
3/  Ernest Mancoba, Painting, 1951. Huile sur toile, 60 x 49.5 cm. Collection privée, Cape Town. © Courtesy of the Estate of Ferlov Mancoba.

 


2757_Ernest-Mancoba audio
Interview de Alicia Knock, conservatrice au service créations contemporaines et prospectives du Musée national d’art moderne et commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 25 juin 2019, durée 22'14". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire :
Alicia Knock, conservatrice, service créations contemporaines et prospectives, Musée national d’art moderne




Le Centre Pompidou poursuit son travail de mise en lumière d’artistes d’origine extra-occidentale souvent méconnus du grand public. Après les avant-gardes russes, après les polonais Katarzyna Kobro et Władysław Strzeminski, après l’artiste cubain Wifredo Lam, le sud-africain Ernest Mancoba et la danoise Sonja Ferlov Mancoba, exilés à Paris pendant la quasi-totalité de leurs parcours respectifs, sont exposés à la Galerie 0 et la Galerie d’art graphique du 26 juin au 23 septembre 2019. Mariés à la ville et partageant le même atelier parisien, Ernest Mancoba et Sonja Ferlov Mancoba sont mis à l'honneur par le Centre Pompidou dans deux espaces distincts, pour rendre hommage à l'envergure de leurs pratiques, indissociables comme singulières.

L'exposition dédiée à Ernest Mancoba est inédite ; elle ouvre une réflexion forte sur une figure au coeur des débats autour de la marginalité raciale et l'effacement, elle s'inscrit dans une redéfinition réciproque des modernités (la mise en place d’une modernité africaine, l'intégration de l’Afrique dans les modernités européennes..) Une façon pour le Centre Pompidou de prendre en compte une trajectoire majeure mais encore absente des récits menés précédemment sur ces problématiques en France (« Magiciens de la terre », « Africa Remix »), et d'affirmer ici, avec force, la volonté d’envisager des lectures rétrospectives d’artistes extra occidentaux, ainsi que de retracer la profondeur historique de certains champs géographiques.

Ernest Mancoba (1904-2002) est un artiste franco-sud-africain, écrivain, penseur, qui a traversé l’ensemble du 20ème siècle. Peintre, sculpteur, dessinateur, c’est une figure inclassable et fascinante. En témoigne l’envergure de son parcours historique et transnational, au sein de sociétés répressives ou encore peu ouvertes au parcours autonome d’un homme noir. Son langage visuel, associé au mouvement CoBrA mais toujours suspendu dans une tension irrésolue entre figuration et abstraction, est également une particularité de son oeuvre. L'exposition se propose d'engager, pour la première fois en France, cette trajectoire effacée tant par le racisme et par une vie passée dans l'isolement, que par la complexité d’une recherche plastique en quête d’une réconciliation de mondes politiques et formels, fondue dans une espérance universelle à la croisée du christianisme, du marxisme et de la pensée Ubuntu (théorie de la réconciliation revendiquée notamment par Nelson Mandela et Desmond Tutu).

Fuyant le système de l’apartheid en Afrique du Sud qui ne lui permettait pas de poursuivre une carrière d'artiste, Ernest Mancoba arrive en France en 1938 où il est vite interné en camp de travail par les Allemands en raison de sa citoyenneté britannique. Durant la Seconde Guerre mondiale, il épouse Sonja Ferlov, camarade danoise rencontrée au cours de son cursus aux arts décoratifs. Après la guerre, ils se rendent ensemble au Danemark pour cinq ans, où ils sont associés aux prémices du mouvement CoBrA, par le biais de leur ami Asger Jorn. CoBrA croise des intérêts profonds de Mancoba, présents dans sa démarche depuis l’Afrique du Sud : l'importance de solliciter le subconscient, la nécessité de revenir à la racine spirituelle de la société à travers une attention au folklore, une foi dans une transformation matérialiste de la société, l’ambition non seulement pan-nordique mais universaliste de l'art. Pourtant, la présence de Mancoba ne dure pas ; son abstraction toujours construite et sémantique est mise en doute, et un racisme latent lui attribue le statut d’homme invisible ou de "point noir" de CoBrA.

De retour en France, Mancoba et Ferlov prennent le parti qui s’avère définitif de l'isolement et s’installent à Oigny-en-Valois. Leur pratique artistique s'accompagne d'un engagement politique et éthique qu'ils espéraient partager avec leur entourage artistique sans y parvenir. Au tournant des années 1960, le couple trouve un logement près de Montparnasse qu’ils ne quitteront plus. Une boutique sur la rue qu’ils divisent au moyen d’un drap, où leurs gestes artistiques s’accompagnent et se développent réciproquement, leur sert d'atelier.

Les années 1970 offrent à Mancoba les seules expositions qui lui seront consacrées de son vivant en Occident, au Danemark : en 1969, au Aarhus Kunstmuseum et au Holstebro Kunstmuseum et, en 1977, au Københavns Kunstforening de Copenhague, au Fyns Stifts Kunstmuseum à Odense et au Silkeborg Kunstmuseum. Les années 1980 avec la disparition de Ferlov (17 décembre 1984) sont des années de deuil où surgit peu à peu la formulation d’un langage universel qui tente de traduire ce que l'artiste nomme "the unspeakable", dernier sursaut formel de la pratique de Mancoba, ou sans doute son accomplissement.

Une universitaire sud-africaine, Elza Miles découvre la présence de son compatriote dans l’exposition « CoBrA » de 1983 au Musée d'art moderne de la ville de Paris et cherche à le rencontrer. Elle publie l'unique monographie écrite sur l'artiste de son vivant, Lifeline Out Of Africa, The Art of Ernest Mancoba, en 1994 et organise simultanément une exposition à Johannesburg, juste après la fin de l'apartheid. En 1999, Okwui Enwezor inclut Mancoba dans l’exposition visionnaire « The short century, Independence and Liberation Movements in Africa 1945-1994 » ; c’est Hans-Ulrich Obrist qui retrouve sa trace à Paris pour réaliser un entretien devenu fameux, d'abord publié en 2003 dans la revue Nka, journal of contemporary African art et maintes fois réédité, inaugurant une série d’articles majeurs sur la place de l’artiste dans les récits de la modernité au sens large.

L’exposition met ainsi en tension l’apport intellectuel de l’artiste-écrivain un temps formé au journalisme et la mise en place dans son travail d’un mode d’expression, secret et poétique, reposant sur la notion synesthésique de « correspondances ». Pensée comme une expérience initiatique, l’exposition débute par un seuil sonore où résonne la voix de Mancoba, d’où se déploie une salle immersive et intimiste dédiée à ses luttes successives avec les contraintes matérielles et spatiales tout au long de sa vie d’exil. Un système d’écho se déploie dans l’exposition avec le travail de l'artiste Kemang Wa Lehulere (né en 1984 à Cape Town), dont la pratique, à la fois poétique et politique, est traversée par la quête partagée avec Mancoba, d'un langage au-delà du langage, qui fait la part belle à l'inexprimable comme aux refoulés collectifs.

À partir d'une matrice où domine la recherche inlassable de Mancoba pour la « figure centrale », rayonnent les différents chapitres thématico-chronologiques de l’exposition, envisagés comme les motifs d’une danse unifiée où semble évoluer une seule et même image. Lorsque Mancoba arrive en 1938 à Paris, depuis Cape Town en passant par Londres, il cherche à apprendre à danser. Il se procure un manuel et s’entraîne dans sa chambre près de Montparnasse. Un soir, un ami l’entraîne au Bal Nègre, où son malaise est certain. Aux appels répétés de son ami pour aller danser, il rétorque, ferme : « I shall dance in another society ». Pourtant, dans le livre que l’universitaire Elza Miles dédie à l’artiste, Mancoba évoque la danse comme le stade ultime de la communication. Sans doute, cette danse rythmique est à l’oeuvre dans le travail de l’artiste, où la figure tourne constamment sur elle-même. C'est précisément cette tension irrésolue, entre oppression historique et résistance humaniste et poétique, entre la vie impossible et l’oeuvre libérée d’Ernest Mancoba, que l'exposition choisit d'investir.

Un programme parallèle d'activations contemporaines et de rencontres ponctuent l'exposition, afin d'approfondir la mise en lumière d'un ensemble d'archives inédites et de questionner les complexités d’un parcours au carrefour de plusieurs cultures comme de plusieurs mondes formels.

« Je veux résumer en quelques mots le programme de notre responsabilité spirituelle en tant qu’artistes. En tant qu’artistes nous avons suivi la voie tracée par les académies nationales, et chacune d’entre-elles est nationale, tandis que l’objet ici traité est politique. Chaque pays suit la méthode qui lui permettra de survivre mais ces pays n’ont jamais été unis. L’Angleterre, le Danemark, la France. Chaque pays a sa propre façon de voir les choses. Ils se sont mis d’accord sur le fait qu’en Occident ils constituent la totalité de l’humanité, chacun des autres pays et le reste du monde n’essayent qu’en vain de devenir comme l’Europe. J’essaye de montrer ma lutte pour que le reste du tiers-monde soit inclus comme faisant partie de la totalité de l’humanité. Le tiers-monde doit être pris en considération tel qu’il existe. Je veux que cette séparation, cet apartheid soit écarté et que toutes les espèces humaines avancent main dans la main, c’est tout. » Traduit de l'anglais. Ernest Mancoba

Le travail de recherche effectué pour cette exposition a permis d'accéder à de nombreuses archives, de les classer et de les répertorier dans la perspective d'une publication monographique à paraître à la rentrée 2019.