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“Gilbert & George” There Were Two Young Men (April 1971)
à la Fondation Louis Vuitton, Paris

du 3 juillet au 26 août 2019



www.fondationlouisvuitton.fr

 

© Sylvain Silleran, présentation presse, le 2 juillet 2019.

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1/ 2/ 3/  Gilbert & George, There were two young men, 1971. © Gilbert & George, DR Crédit photo : © Primae / David Bordes.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Deux jeunes hommes se retrouvent sous un arbre au milieu d'un grand parc. There were two young men raconte leur histoire en six tableaux, six beaux après-midis, six rencontres où se noue une relation. Cette œuvre de jeunesse de Gilbert et George, belle d'une tendre simplicité, a cela de provoquant qu'elle réaffirme un classicisme de fusain et de papier dans une époque qui a décidé de s'en affranchir.

Les courts poèmes qui accompagnent chaque scène, des limericks, mêlent comme il se doit candeur lyrique, ironie ainsi que quelques délicats sous-entendus. Les costumes sages des jeunes gens, impeccablement mis et boutonnés, ne peuvent contenir leur tension amoureuse. La fausse nonchalance des postures, l'un se tenant à une branche, l'autre adossé au tronc, la main dans la poche, se mue subtilement en quelque chose de plus suggestif. Un genou remonte, les corps se rapprochent sous couvert d'une discussion passionnée, les deux garçons saisissent cet arbre dans une étreinte érotique.

Dans ce parc désert, loin du monde et de ses rugissements, on peut donner libre cours à son insouciance et à sa sexualité, tout en restant un élégant gentleman, bien entendu. L'arbre devient celui du jardin d'Eden de la peinture classique, et Gilbert et George en nouveaux Adams réécrivent une Bible charmante poivrée d'Oscar Wilde et de Virginia Woolf. Le papier, jauni et vieilli pour ressembler à un parchemin semble être les pages d'un roman du XIXéme siècle trouvé dans un grenier, une peau tatouée sur laquelle s'écrit une vie. Le fusain s'élance en longs roseaux, virevolte en feuilles, s'épaissit en nœuds d'écorce sombre, sève bouillonnant dans les veines d'un arbre-phallus. Le geste est assuré, minimal sans être minimaliste ; il va à l'essentiel sans sacrifier aucun détail de la lumière traversant la cime des arbres. Les deux personnages sont dessinés d'un trait estompé, liquide comme un lavis. Le calme de leurs visages contraste avec les plis tendus de leurs costumes, turgescences au bord de l'explosion.

L'œuvre est d'échelle monumentale, égarant le spectateur dans son immensité de fresque, les méandres de gazon, les haies et les feuillages. Et en même temps ces grands dessins sont constitués de dizaines de simples feuilles de papier assemblées, prêtes à se replier comme une carte routière et se ranger dans la boîte-valise posée dans un coin de la pièce. On dirait une vieille valise de magicien, patinée par les années et les voyages, et un univers en sort, se déplie autour de nous et efface un instant le monde, le remplaçant par ce paradis. Pendant un instant trop bref, on peut se plaire, se séduire, se raconter des choses à se faire rougir, faire naître un sentiment plus profond, plus intense et tout défier du haut de sa jeunesse.

La grille du jardin que l'on voit à l'arrière-plan rappelle que ce moment de bonheur n'est que passager, il est suspendu hors de la ville, hors du monde qu'il faudra bien rejoindre tout à l'heure. La beauté innocente de cet Eden non corrompu par le cynisme est bien qu'on en sera tôt ou tard chassé, il faudra alors reprendre le fil de son existence. Espérons que ces deux amants débutant leur histoire sous un tilleul restent longtemps avec nous.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

La Fondation Louis Vuitton présente un ensemble rare et complet de Gilbert & George, « There Were Two Young Men » (avril 1971), une « Sculpture-au-fusain-sur-papier » en six parties qui appartient à la Collection de la Fondation. Exposée pour la première fois en 1971 à la galerie Sperone de Turin, cette oeuvre s’inscrit dans une série de 13 corpus tous différents, créés entre 1970 et 1974, aujourd’hui dispersés.

Par sa dimension même, « There Were Two Young Men » implique une relation immersive pour le spectateur. Cette « sculpture » représente deux protagonistes -les artistes- dans un environnement champêtre dont l’hédonisme est teinté de mélancolie. Ils semblent deviser tranquillement, adossés à un arbre, dans l’esprit des représentations néoromantiques de la peinture de paysage britannique. L’intrusion graphique, dans chaque élément de la « sculpture », du titre en majuscules qui assied l’image et d’un texte poétique en majuscules et en minuscules, écrit à la main ajoute une complexité supplémentaire, renvoyant à l’univers de la poésie populaire et des comptines.

OEuvre monumentale, « There Were Two Young Men » est présentée aux côtés d’autres oeuvres de Gilbert & George d’inspiration proche comme « Limericks » (1971) - également dans la Collection – une « Postal Sculpture » en huit parties dont les illustrations sont reprises d’images de sites bombardés, de chemins en bord de Tamise ou du Suffolk rural et reprennent les mêmes textes de poésie populaire que « There Were Two Young Men ». S’y ajoutent selon le souhait des artistes « Nature Photo Piece » (1971), composition de photographies en noir et blanc ainsi que deux « Video Sculptures » contemporaines.

L’ensemble de cette présentation a été conçue en étroite collaboration avec les artistes, totalement investis, à la fois dans l’exposition et dans la réalisation d’un catalogue.



Gilbert & George
Nés en 1943 et en 1942, dans les Dolomites (Italie) et dans le Devon (Angleterre), ils vivent et travaillent à Londres (Royaume-Uni).
Dès leur sortie de la Saint Martin’s School of Art où ils se rencontrent en 1967, Gilbert & George se font connaître en s’autoproclamant deux « sculptures vivantes » formant un seul artiste. Ainsi vêtus de costumes ordinaires, le visage impassible et recouvert de poudre multicolore métallisée, ils interprètent dans The Singing Sculpture une chanson des années 1930, Underneath the Arches, renvoyant au monde des déclassés. Les artistes choisissent d’emblée de se démarquer du contexte artistique de l’époque, formaliste et conceptuel, en choisissant le langage figuratif. De la mise en scène du quotidien (marcher, chanter, lire, boire), ils tirent une matière visuelle qu’ils exploitent dès le début des années 1970 dans des assemblages de photographies, d’abord en noir et blanc puis en couleurs. Dès l’origine leurs oeuvres témoignent de la permanence de leur position privilégiant la figuration alors décriée, avec un objectif déclaré d’un Art pour Tous. Permanent également chez Gilbert & George, le choix d’un art qui communique directement et dans un esprit de dialogue avec le spectateur et où l’émotion individuelle, ressentie au plus vrai, atteint à l’universel.