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“Bijari” La Machine du Monde
au CRP/, Centre régional de la photographie Hauts-de-France, Douchy-les-Mines

du 14 septembre au 24 novembre 2019



www.crp.photo

 

© Anne-Frédérique Fer, voyage et présentation presse, le 13 septembre 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  BijaRi, Occupation de la Place des Nations #4, Douchy-les-Mines, 2019. © BijaRi.
2/  BijaRi, Racines du Ciel, détail, 2019. Production CRP/ © BijaRi.
3/  BijaRi, Résistance, 2012. © BijaRi.

 


2803_Bijari audio
Interview de Muriel Enjalran, directrice du CRP et commissaire de l'exposition,
et de Diego Bis pour le collectif Bijari,

par Anne-Frédérique Fer, à Douchy-les-Mines, le 13 septembre 2019, durée 19'00". © FranceFineArt.

(de gauche à droite : Maurício Pereira Brandão, Diego Bis et Geandre Marcelo Tomazoni)

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire d’exposition : Muriel Enjalran, directrice du CRP/



Le CRP/ invite le collectif artistique brésilien Bijari basé à São Paulo, à mener un projet participatif et collaboratif avec des habitants de Douchyles-Mines s’intéressant aux dynamiques, aux synergies ou conflits qui parcourent et configurent un espace public.

Dans le cadre de leur résidence réalisée au printemps 2019, Bijari a proposé sur la place des Nations en face du centre d’art, sur une période d’une semaine, une série d’activités ordinaires ouvertes à tous (lecture, jeux, cuisine, discussions). L’exposition au CRP/ présente les productions du collectif dont certaines ont été réalisées avec les habitants à l’occasion de leur résidence de travail. Les oeuvres qui composent l’exposition rappellent cette expérience et convoquent les recherches menées autour des idées d’(im)permanence, de (dé)placement et de mémoire.



Basé à São Paulo et actif depuis 1997, Bijari est composé de membres issus de formations disciplinaires hétérogènes. Le collectif mène des recherches dans des domaines d’action élargis et complémentaires tels que l’architecture, le design et les arts visuels. On retrouve cette diversité dans leur production artistique qui se déploie entre sculptures, installations, cartographies et productions audiovisuelles et dont l’objectif converge vers la notion « d’intérêt commun » : l’observation de l’utilisation de l’espace public dans le but de réfléchir à l’imaginaire poétique et collectif qui s’y manifeste.

Dans ce contexte, l’espace public selon Bijari, est compris comme le lieu symbolique de relations qui vont au-delà d’une conceptualisation territoriale et architectonique circonscrite à des usages urbains définis ou préétablis. Guidé par une réflexion pratique et théorique, le collectif s’emploie à créer des situations qui permettent de repenser le contenu politique, social et culturel des concepts de nation et d’appartenance dont la signification est toujours influencée par le contexte historique. L’idée centrale de l’exposition présentée au CRP/ est de réfléchir aux paradoxes qui soustendent les relations inévitablement conflictuelles entre la construction d’une mémoire collective brésilienne des membres de Bijari et la mémoire étrangère (française), liée aux représentations hégémoniques présentes dans l’inconscient collectif colonial.

Le titre de l’exposition, La Machine du Monde, est emprunté au poème (1) éponyme de l’écrivain moderniste brésilien Carlos Drummond de Andrade. Dans ce poème de 1949, le « moi-lyrique » se trouve devant une immense machine qui émerge d’un trou dans la terre et sous-entend qu’elle est détentrice de précieux secrets. Le poète affirme ici son scepticisme face au développement industriel fondé sur l’exploitation minière qui dégrade le paysage de son petit village.

Les ténèbres étaient déjà tombées
sur la route de Minas, caillouteuse,
et la machine du monde, éconduite,

s’en alla peu à peu recomposant,
et moi, mesurant quelle était ma perte,
je m’en fus lentement, les bras ballants.


Une partie des travaux proposés pour cette exposition a été développée lorsque Bijari était en résidence à Douchy au printemps 2019. La caractéristique de ce groupe est de faire naître des projets qui sont en rapport direct avec l’espace, l’environnement et sa spécificité. Cela fait sens car l’immersion dans un territoire étranger cristallise des questions relatives à l’ordre social et aux mémoires, et met ainsi en relief les parentés et les altérités entre le Brésil et la France.

Avec l’oeuvre Résistance, Bijari revient sur une caractéristique récurrente dans une partie des oeuvres présentées dans cette exposition, à savoir la simplicité du matériau (généralement trouvé dans l’espace lui-même) choisi pour le montage du travail proprement dit. Avec Résistance, cette pratique résulte d’un « simple » déplacement – de l’utilisation, de la fonction, du vocabulaire – des éléments utilisés. La « mauvaise herbe », vue comme une herbe qui « provoque des dommages » en raison de ses effets indésirables en agriculture ou même en architecture, est alors reprise dans une lecture qui questionne l’état naturel, sa régulation et la possibilité d’un conflit esthétique entre la libre poussée de la nature et sa régulation. Les herbes en question ont été recueillies dans les édifices et sur les trottoirs de Douchy et ont été replantées dans des bottes de style rangers qui symbolisent la force et le pouvoir.

La Ligne qui nous divise est une oeuvre élaborée à partir d’éclats de verre trouvés sur la place des Nations à côté du CRP/. Comme ces éclats sont, entre autres, la conséquence du vandalisme que subit la place et parfois le CRP/, le groupe les voit comme un reflet des conflits engendrés par la séparation culturelle et sociale de mondes étrangers l’un à l’autre. Bijari s’appuie ici sur la carte de l’Amérique du Sud pour représenter la ligne imaginaire qui sépare le Brésil de la Guyane Française, colonie française située en Amérique du Sud. Cette frontière est alors reproduite à partir d’éclats de verre recueillis pour figurer ainsi les notions de zones de contact – et de conflit – entre les cultures (brésilienne et française), et, simultanément, entre le centre d’art et la rue.

Puxadinho crée une zone publique de « vivre ensemble », reliant l’intérieur et l’extérieur du CRP/ grâce à l’ouverture d’une porte et l’installation d’un auvent au-dessus de cette porte à l’extérieur de la galerie, face à la place publique. L’intervention prévoit la création d’une zone de perméabilité – ou de passage – entre les espaces interne et externe. Puxadinho dans la terminologie brésilienne, fait référence à la construction improvisée conçue à partir d’un ajout architectonique non planifié auparavant. Puxadinho s’articule avec une autre installation intitulée Collectif constituée d’une série de chaises attachées entre elles et transportables de l’intérieur vers l’extérieur de la galerie. Comme l’accès aux chaises ne présuppose pas de formalités d’accueil, son utilisation est libre et ouverte à tous les passants et utilisateurs de l’espace.

Toujours autour de la notion de frontière, Bijari, avec Racines du Ciel interroge des cartes politiques établies selon la culture européenne. Pour cela, il fait appel aux mythes des indiens yanomamis qui considèrent que le sol est une partie du ciel qui un jour est tombée. Dans une lecture élargie, le ciel est compris comme une métaphore de l’environnement, principalement de l’Amazonie qui oblige le Brésil à mener ce combat contre le réchauffement. Fidèle à cette interprétation, l’oeuvre Les Racines du Ciel utilise des débris de démolition sur des mappemondes et redessine les territoires en matérialisant une responsabilité globale du Brésil dans les enjeux liés aux évolutions climatiques.

Avec Drapeau, le drapeau du Brésil est installé dans un de plus grands tunnels urbains de São Paulo et y reste pendant des mois, exposé aux particules sales émises par les voitures. L’oeuvre questionne ce moment actuel d’extrémisme nationaliste au Brésil, basé sur la réduction des droits sociaux et sur l’attribution de grandes concessions aux exploitations minières, forestières, à l’agriculture et à la pêche industrielles. Le drapeau, une fois enlevé du tunnel, sera transporté vers la galerie, où il sera exposé aux côtés d’enregistrements photographiques documentant ce processus.

Dark Data utilise le moteur de recherche Google pour examiner les correspondances les plus fréquentes liées aux occurrences associées au Brésil. La recherche est faite à partir de termes associés au Brésil, tels que « environnement », « travail », « fierté », « minorités sociales ». Les suggestions automatiques de cet outil suivent la tendance des recherches effectuées de manière répétée sur un ordinateur spécifique, et révèlent en même temps des discussions actuelles récurrentes et des stéréotypes de la culture locale. Les images résultant de cette série sont des captures d’écran imprimées sur des plaques métalliques.

Enfin, l’installation audiovisuelle La Machine du Monde immerge le spectateur dans un univers d’images qui se succèdent à grande vitesse, suivant le rythme des percussions. Les images transportent vers les forêts, les personnages et les icônes des conflits armés illustrant la résistance des peuples indigènes au génocide et à l’expropriation des terres, avec lesquelles ils vivent en pleine symbiose.

Peut-être, comme le dit Viveiros de Castro (2), est venue l’heure où nous devons prendre au sérieux les paroles des autochtones brésiliens et la voix de leur chamanes « qui résistent toujours à [leur] totale dissolution face au mixeur modernisateur de l’Occident ».

Marcela Vieira



1. Carlos Drummond de Andrade La Machine du Monde, Gallimard, Paris, 2005, p. 158
2. Eduardo Viveiros de Castro Métaphysiques cannibales, PUF, Paris, 2009






LE GRUPO BIJARI
Le Grupo Bijari est un collectif d’architectes, de designers et d’artistes qui se sont rencontrés en 1997 alors qu’ils étaient étudiants à l’École d’architecture et d’urbanisme de l’Université de São Paulo. Le collectif développe des projets aux frontières de l’art, du design et de l’urbanisme en exploitant les supports les plus variés, comme la sculpture, la vidéo, la cartographie ou l’intervention urbaine.
Basé à São Paulo, le groupe observe la manière dont les récits du pouvoir se confrontent aux mouvements socioculturels dans la formation des espaces et des imaginaires urbains, exploitant cette observation pour reconfigurer de nouveaux territoires politiques et poétiques. http://www.bijari.com.br