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“Dorothy Iannone” Toujours de l'audace!
au Centre Pompidou, Paris

du 25 septembre 2019 au 6 janvier 2020



www.centrepompidou.fr

 

© Pierre Normann Granier, visite de l'exposition avec Frédéric Paul, le 25 septembre 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Dorothy Iannone, The Story Of Bern (Or) Showing Colors, 1970. Extrait d'un ensemble de 69 dessins, pointe feutre sur papier cartonné, 22,5 x 21,5 cm chacun. © Dorothy Iannone. Photo : Tous droits réservés. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris.
2/  Dorothy Iannone, Follow Me, 1977. Triptyque : encre, acrylique sur bois, moniteur, lecteur DVD, vidéo (noir et blanc, son, 9'12) 185,5 x 382 x 65,5 cm (dimensions panneaux ouverts). Achat avec la participation de M. Franz Wassmer, 2015. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne/Centre de création industrielle. © Dorothy Iannone. © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Georges Meguerditchian/Dist. RMN-GP.
3/  Dorothy Iannone, L'Adorable Trixie, 1975-78. Gouache, encre et feutre sur papier Bristol et bois, 102 x 146 cm. © Dorothy Iannone. Photo : Tous droits réservés. Courtesy de l'artiste et Air de Paris, Paris.

 


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Interview de Frédéric Paul, conservateur au Musée national d’art moderne - Service des collections contemporaines et commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 25 septembre 2019, durée 22'37". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

C'est une histoire de garçons et de filles qui s'offre comme un livre d'images laissé ouvert sur un coin de table, l'air de rien. Des hommes et des femmes, des femmes et des hommes, puisque chez Dorothy Iannone nous sommes inséparables, forment une grande fresque, quelque chose hors du temps, une rencontre entre Lascaux et les comics. Habillé ou pas, tout le monde ici a son sexe apparent, de jolis sexes délicats et élégants ; masculinité et féminité triomphantes de tout vêtement, de tout voile tentant vainement de cacher cette belle évidence. L'audace de Dorothy Iannone ne réside pas tant dans son combat (et sa victoire) contre la censure que dans la désarmante authenticité presque naïve de son propos.

Les deux sexes sont unis comme deux amants éternels dans une complémentarité qui emplit tout l'espace de blanc et de noir, le yin et le yang comme palette de couleurs. Les 69 dessins carrés de The Story Of Bern racontent le scandale causé par les dessins de Dorothy à la Kunsthalle de Bern en 1969. Les influences de Klimt et de la sécession viennoise y rencontrent l'estampe japonaise, le folklore américain. Le texte comme illustration et l'image comme récit s'assemblent et se complètent dans une indissociation heureuse. Parce qu'il y a du bonheur a être entier, malgré la douleur et le sang coulant des plaies de l'artiste, suppliciée comme Saint Sébastien et jouissant de son amant dans un jardin d'Eden. C'est la vie maman dit-elle en guise de slogan révolutionnaire.

Au centre d'un grand triptyque, Dorothy Iannone psalmodie "follow me" (suis-moi) sur un tube cathodique, incantation chamanique rejoignant le psaume religieux. Au Christ crucifié d'un côté répond à l'opposé une femme, également sur une croix. La souffrance de la rupture est une exaltation de larmes s'écoulant en branches fleuries de saules. Le couple est en extase, il n'est peut-être plus couple mais il s'est fondu dans le flot d'énergie qui l'unit, atteignant une nouvelle dimension, celle-ci éternelle. Les amants sont la force universelle de désir et d'amour, ils touchent ainsi le divin des philosophies orientales, leur ego se dissolvant dans une seule vibration.

Dés lors ce sont des dieux et des déesses qui s'aiment et s'accouplent, enfantant des êtres libres d'être et d'aimer, de s'inspirer et de créer à leur tour. Avec cette grâce des autodidactes, Dorothy Iannone se dessine, se raconte. Elle trouve dans le tracé fin comme un cheveu tombé sur un oreiller une évidence simple et forte, une vérité intime. Et par cette simplicité sans artifice l'intime devient l'universel, ce qui relie toutes les femmes, tous les hommes. Ce n'est plus important puisque nous nous mélangeons en permanence, forces masculines et féminines réunies comme l'eau chaude et froide d'une vague.

L'écriture fluide recouvre papiers, cartons, objets de bois dans une frénésie multicolore de peinture, de feutre. Rivière au courant indomptable sur laquelle voguent les trois déesses dans une barque de Olympic box ou tentures et tapis de la chambre de l'adorable Trixie, tout est un flux énergétique dans lequel nous sommes entrainés. La liberté que nous offre Dorothy est d'une fraîcheur heureuse, un paradis où nous sommes aimés et réconciliés. Cette joie contagieuse peine à être confinée dans une petite salle, elle mériterait d'envahir tout l'étage de son audace, elle créerait - qui sait ? - quelques vocations au bonheur et à la sincérité.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Frédéric Paul, commissaire de l'exposition, conservateur, Musée national d’art moderne, Service des collections contemporaines
assisté d’Annalisa Rimmaudo, attachée de conservation, Musée national d’art moderne, Service des collections contemporaines




Au coeur du Musée, la salle Focus accueille une exposition de l'artiste américaine Dorothy Iannone (née à Boston en 1933, vit et travaille à Berlin) qui présente plus d'une vingtaine de ses oeuvres aux accents mystiques, sexuelles ou encore politiques réalisées entre 1963 et 2019: peintures, dessins, collages, vidéos, sculptures et livres d’artistes. La décennie 1970 occupe une place importante dans ce parcours d'exposition : les soixante-neuf dessins retraçant The Story Of Bern (1970), ainsi que l’imposant retable de 1977 intitulé Follow Me sont des oeuvres majeures. Follow Me est entré dans les collections du Centre Pompidou en 2015, parmi un ensemble d'oeuvres de l'artiste.

Dorothy Iannone commence à peindre après des études de droit puis de littérature. Son premier coup d’éclat intervient au début des années 1960 : alors qu’elle rentre à New-York d’un voyage à Paris, elle se voit confisquer par la douane son livre d'Henry Miller Tropique du Cancer (paru en France en 1934), rapporté du voyage. Avec le soutien de l'American Civil Liberties Union (ACLU), elle remporte en 1961 un procès spectaculaire contribuant à légaliser l'importation des livres d’Henry Miller aux États-Unis.

D'abord influencée par l’expressionnisme abstrait, Dorothy Iannone manifeste dès ses débuts artistiques une grande maîtrise plastique, mais c’est en s’écartant de l’abstraction qu’elle trouve sa voie personnelle, liquidant la matière picturale au profit du récit et de son expression graphique. Dans ses travaux, textes, figures et ornementations exubérantes se bousculent parfois jusqu’à la saturation. Au début des années 60, elle cofonde et anime une galerie à New York. En 1966 elle rencontre Robert Filliou sur la côte d'Azur, puis Emmett Williams à New York à la fin de la même année.

Le dessin de Dorothy Iannone prend vite la forme illustrative dont elle ne se départira jamais. Caractéristique notable, à partir de 1966, qu’ils y soient conviés nus ou habillés, l’artiste dévoile délibérément les organes génitaux de ses personnages et elle adopte pour les deux sexes un code graphique quasi identique: une verge en plus ou en moins. Cette excentricité prend un tour irrévérencieux dans sa série de figurines intitulée People, où elle campe le portrait du président Johnson ainsi que de Robert et Jackie Kennedy ainsi "déshabillés" en pleine guerre du Viêt Nam.

Ses propres démêlés avec la censure surviennent en 1967 lors d’une exposition personnelle à Stuttgart, où l'ensemble de ses travaux est intégralement confisqué par la police. Celle-ci réunit alors un tribunal de critiques et d'historiens de l’art, réfutant finalement le caractère pornographique imputé aux oeuvres, en invoquant divers exemples artistiques extra-européens. En 1969, invitée par l’artiste Dieter Roth à participer à une exposition de groupe à la Kunsthalle de Bern, elle sera à nouveau confrontée à la censure, non pas à l'initiative des autorités, mais des autres artistes présents et du maître des lieux, Harald Szeemann. Ce dernier, après avoir demandé de couvrir les sexes omniprésents sur les oeuvres, accepte finalement qu'elles soient décrochées. Dorothy Iannone répond par la publication de 69 dessins composant The Story Of Bern (1970), qui dénoncent cette décision, et affirment d’autant plus fort et publiquement ses partis pris artistiques.

Le travail de Dorothy Iannone est essentiellement autobiographique, sa rencontre avec Dieter Roth, à la fois muse et amant, constitue un repère décisif dans sa vie personnelle. Des références à cette relation apparaissent de manière récurrente dans son oeuvre qui prône implicitement l’égalité des sexes et explicitement les vertus de l’activité sexuelle, entre expérience vécue et célébration mystique.



Deux ouvrages seront publiés à l'occasion de l'exposition :
The Story Of Bern (réédition du livre d'artiste de 1970), Dorothy Iannone, éd. JRP / Ringier, Zurich.
Dorothy Iannone, Toujours de l'audace!, catalogue de l'exposition, textes de l'artiste et de Frédéric Paul, coédition Manuella éditions et Centre Pompidou, Paris.