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“Le monde nouveau de Charlotte Perriand” article 2820
à la Fondation Louis Vuitton, Paris

du 2 octobre 2019 au 24 février 2020



www.fondationlouisvuitton.fr

 

© Pierre Normann Granier, présentation presse de l'exposition, le 1er octobre 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Charlotte Perriand, Présentation Tokyo, 28 mars - 6 avril 1941. © Adagp, Paris, 2019. © Francis Haar / AChP.
2/  Le Corbusier, P. Jeanneret, C. Perriand, Charlotte Perriand sur la « Chaise longue basculante, B306 », (1928-1929), vers 1928. © F.L.C. / ADAGP, Paris 2019. © ADAGP, Paris 2019 . © AChP.
3/  Charlotte Perriand, Perspective du Bar et de la salle à manger de la place Saint-Sulpice, 1927. Publié dans : Francis Jourdain, L’Art international d’aujourd’hui, volume no 6 consacré aux intérieurs, planche 40 Paris, Charles Moreau, 1929. © Adagp, Paris, 2019. © AChP.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

La maison au bord de l'eau et son esthétique épurée de maison de thé japonaise invite à la quiétude d'un été en vacances. Mais sa simplicité ouvre un champ presque spirituel en y faisant entrer la nature, les pierres et le bois, l'eau, la lumière. Charlotte Perriand signe là un manifeste de l'art de vivre, d'habiter. Comme sur les grandes fresques, les affiches révolutionnaires, les lendemains chanteront grâce à la peinture, à la photographie, à l'architecture et au design. Les œuvres de Picasso, Calder, celles des compagnons fidèles : Le Corbusier, Fernand Léger accompagnent chaises, tables, intérieurs. A la matière qui se plie dans l'espace répond le trait, la courbe plane peinte sur la toile. Le collier roulement à billes de Charlotte dialogue avec la Nature Morte (le mouvement à billes) de Léger, la foi dans le miracle industriel se voit adoucie par le très beau et tendre portrait de Dora Maar sur la plage par Picasso.

Des expérimentations de l'atelier de Saint-Sulpice aux créations de l'appartement moderne, de la maison du jeune homme, le futur rêvé, dessiné, projeté en maquettes construit la matrice d'un homme nouveau, sportif, tourné vers un brillant avenir. Le métal chromé ou laqué produit dans les usines, symbole de cette nouvelle modernité, ne rompt pas définitivement avec la nature. Charlotte Perriand photographie des pierres, des souches d'arbres, des matériaux bruts, ces clichés sont le carnet de croquis dans lequel elle puise ses idées. Ces objets ramassés sont posés sur les étagères, devenant des œuvres d'art, la collection de sculptures d'une maison-musée.

Le beau bois, épais, massif, à la présence affirmée appelle la main à passer le long de ses courbes. Une console courant le long du mur soutient les tableaux qui y sont accrochés. Le flux horizontal du meuble rencontre la verticalité de la chevelure de la baigneuse de Fernand Léger dans une similaire évocation de la nature comme mouvement libre d'une cascade d'eau. Le parcours linéaire suit une chronologie biographique, faisant bientôt alterner la reconstitution intimiste d'appartements, d'intérieurs raffinés et élégants avec la non-intimité du showroom. D'un côté un mobilier-écrin laisse sculptures et peintures être, de l'autre le tableau se voit rejeté hors l'espace, devenu illustration, anecdote.

De l'influence japonaise et son respect immense pour la nature Charlotte Perriand prend le temps de laisser le matériau exprimer la simplicité de sa forme et de sa souplesse. Elle crée un catalogue d'éléments, un vocabulaire se déclinant en métal, en bambou ou en rotin dans des maisons de Tokyo ou de Rio. La bibliothèque de sa chambre d'étudiant pour la maison du Mexique à la cité universitaire devient une icône. Les divers éléments d'aluminium la composant sont exposé dans une vitrine, montrant les mécanismes d'une standardisation qui préfigure la norme Ikea, comme les lampes de Noguchi contemplant leurs rejetons ingrats made in China.

Un Hans Hartung évoquant des caractères japonais, les Femmes au perroquet sur fond rouge de Léger puis un Soulages saisissant, aveuglant de noir, une présence rendant muettes toutes les autres œuvres ayant le malheur d'en être trop proches enchantent, secouent de leur énergie. Tandis que le travail de Charlotte Perriand s'estompe, se muséifie : un gabarit de table à manger Rio encadré, présenté comme un tableau minimaliste des années 60 n'a pas grand chose à dire au Tabula, bleu de Simon Hentaï ou aux Picasso sortis pour l'occasion. Avec ses appartements pour la station de ski des Arcs, l'art de vivre devient machine à habiter, les loisirs pour tous comme lendemains qui chantent ?

A la fin, une maison de thé entourée de bambous rappelle la maison au bord de l'eau des débuts. La nature reprend ses droits, sa place originelle et maternante. L'œuvre est accomplie, le mobilier de masse mondialisé est une réalité, et les formes que Charlotte Perriand y a tracée y poursuivent leur chemin.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Jacques Barsac ; Sébastien Cherruet, historien de l’architecture ; Gladys Fabre, historienne de l’art et auteure ; Sébastien Gokalp, directeur du Musée national de l’histoire de l’immigration et Pernette Perriand-Barsac ; assistés de Roger Herrera (Fondation Louis Vuitton)

Conseiller scientifique pour les reconstructions, Arthur Rüegg, architecte, professeur d’architecture et de construction à l’École polytechnique (ETH) de Zurich. Il a poursuivi de nombreuses activités de recherche et réalisé des expositions sur la construction, la couleur, la photographie et le design, ainsi que sur l’habitat moderne, abordant notamment les travaux de Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand.

Conservateur associé, Olivier Michelon (Fondation Louis Vuitton)




L’exposition à la Fondation Louis Vuitton célébrant Charlotte Perriand est une grande première par son ampleur et par son propos. Certes, Charlotte Perriand est reconnue comme l’une des personnalités phares du monde du design du 20ème siècle mais l’exposition a le privilège de présenter Charlotte Perriand comme une femme visionnaire, qui embrasse le 20ème siècle et crée les éléments clefs tant de l’art de vivre contemporain que des interactions artistiques et intellectuelles de la société du 20ème siècle. Elle fut une exceptionnelle personnalité, une femme engagée à mener une véritable évolution -pour ne pas dire révolution- de la considération et du regard sur le monde et ses expressions culturelles et artistiques qui la place au coeur d’un nouvel ordre des choses, d’un nouveau rapport entre les arts eux-mêmes, architecture, peinture, sculpture…, entre les cultures du monde les plus différenciées, Asie (Japon, Vietnam…), Amérique Latine, Brésil ; entre les mouvements de la société, l’ordre politique et la place de la femme, le rapport à la ruralité, le passage d’une société héritée du 19ème siècle au modèle contemporain du 20ème siècle marqué par des cataclysmes tels que les totalitarismes ou les guerres mondiales suivies de reconstructions tant physiques que morales.

Enfin, Charlotte Perriand sera particulièrement visionnaire et fera preuve d’une prémonition unique par sa considération de l’environnement, par son regard émerveillé, inspiré et sensible sur la nature et la place de l’homme face à elle. La conscience de Charlotte Perriand sur la place de l’individu dans son environnement suscita chez elle un dialogue toujours vivace et constructif avec cette nature nourricière que l’on trouvera dans tous ses engagements - tant intellectuels qu’artistiques - et dans sa vision d’avant-garde du « nouvel atelier » d’un monde en marche, d’un nouvel art de vivre. Comme personne, elle élabore et prend ainsi une place essentielle dans le mode de vie et l’esprit nouveau de nos sociétés contemporaines.



Présentation de l’exposition

A l’occasion du vingtième anniversaire de la disparition de Charlotte Perriand (1903-1999), la Fondation Louis Vuitton lui consacre une grande exposition abordant les liens entre art, architecture et design. Pionnière de la modernité, l’architecte et créatrice Charlotte Perriand est notamment connue pour son apport essentiel au domaine du design. La Fondation propose au visiteur un voyage au fil du XXème siècle dans l’ensemble de ses galeries, aux côtés d’une femme engagée dans la définition d’un nouvel art de vivre.

L’exposition entend retracer le travail d’architecte de Charlotte Perriand, dont l’oeuvre anticipe les débats contemporains autour de la femme et de la place de la nature dans notre société. Elle offre au visiteur la possibilité d’entrer de plain-pied dans la modernité, grâce à des reconstitutions, fidèles scientifiquement, intégrant des oeuvres d’arts sélectionnées par Charlotte Perriand afin d’incarner sa vision de la synthèse des arts. A travers cette exposition, l’oeuvre de Charlotte Perriand nous invite à repenser le rôle de l’art dans notre société : objet de délectation, il est aussi le fer de lance des transformations sociétales de demain.


L’appartement idéal (Galerie 1)
Le rez-de-bassin sera consacré à l’invention d’une modernité oscillant entre fascination pour l’industrie, engagement politique et nécessaire retour vers la nature. Dès les années 1920, Charlotte Perriand imagine un « art de vivre » en rupture avec les codes de son époque. S’inspirant de l’univers de l’automobile, du cinéma et repensant le rôle de la femme, elle conçoit pour son studio de Saint-Sulpice (1927) des meubles en acier chromé qui témoignent d’une étonnante modernité, puis étudie un projet intitulé « Travail & sport » (1927) qui illustre sa vision de l’appartement moderne. Associée à Le Corbusier et Pierre Jeanneret, elle dessine en dialogue avec eux des « icônes » telles que la « chaise longue » ou le « fauteuil grand confort » qui prennent place au sein d’un appartement idéal, présenté lors du Salon d’automne de 1929.


Engagement politique & retour vers la nature (Galerie 2)
Consciente de l’écueil d’une modernité vouée au fonctionnalisme, elle opère dès les années 1930 un retour vers la nature et s’engage en faveur d’un renouveau de l’habitat. Elle dénonce « La grande misère de Paris » en matière de logement et propose avec la Maison du jeune homme (1935) un espace où s’entrelacent lumière, oeuvres d’art, objets trouvés et meubles modernes. La confrontation entre ses photographies d’art brut et les dessins de Fernand Léger illustre la force d’une nature dans laquelle Charlotte Perriand puise son inspiration, créant ses premières « formes libres » aux courbes organiques.


Le Japon & la reconstruction (Galerie 4)
Invitée au Japon en 1940 pour orienter la production du pays dans le domaine des arts appliqués, elle présente une exposition intitulée « Sélection-Tradition-Création » (Galerie 4) qui appelle à repenser l’espace à vivre et l’usage de matériaux traditionnels, tels que le bambou. Elle influence une génération de designers japonais et puise dans cette culture de nouvelles sources d’inspiration. Après la Libération, elle prend part à la Reconstruction, faisant appel à des artistes, tels que Fernand Léger, Pablo Picasso ou Alexandre Calder pour ses projets. En 1947, le magazine Elle la consacre ministre de la Reconstruction, dans un hypothétique 1er ministère de femmes. Les chambres d’étudiants qu’elle dessine pour la Maison du Mexique (1952) et la Maison de la Tunisie (1952) illustrent sa réflexion sur l’espace minimum et l’imbrication entre mobilier, architecture et art. Cette Reconstruction est bien sûr physique mais également métaphorique, avec pour ambition d’offrir aux hommes et aux femmes un indispensable renouveau après le traumatisme de la guerre. Sa fenêtre dévoilant un dessin de Picasso (Maison familiale de Nelson, 1947), la sélection de « formes utiles » qu’elle réalise à l’occasion d’une exposition au musée des Arts décoratifs (1949-1950), ainsi que la cuisine ouverte de l’unité d’habitation de Marseille sont autant d’exemples de cette fonction poétique qu’entend offrir Charlotte Perriand.


Une synthèse des arts et des cultures (Galerie 5, 6 et 7)
La continuité entre Art et Architecture s’incarne dans l’exposition « Proposition d’une Synthèse des arts » qui s’ouvre à Tokyo en 1955 (Galerie 5). Charlotte réunit ses compagnons de route, Fernand Léger et Le Corbusier, mais aussi Hans Hartung et Pierre Soulages, en concevant un espace qui unit peintures, sculptures, tapisseries, mobilier et architecture, abolissant les frontières des disciplines. Son dessein est de transformer le quotidien grâce aux arts en créant un nouveau rapport au monde, de nouvelles interactions sociales, moins cloisonnées et sollicitant les sens. Cette proposition utopique est portée à Paris par la galerie Steph Simon (Galerie 6) qui diffuse les créations emblématiques de l’art de vivre de Charlotte Perriand. La résidence qu’elle imagine à Rio (Galerie 7) illustre la capacité de cette créatrice infatigable à se renouveler tout au long de sa carrière, en demeurant toujours fidèle à ses principes : concevoir des formes utiles, intégrant les technologies d’avant-garde ainsi que les savoir-faire de différentes cultures.


Charlotte Perriand et les arts (Galerie 9)
Le dernier niveau de la Fondation présentera des aspects méconnus de l’oeuvre de Charlotte Perriand, notamment sa contribution au monde des musées et des collectionneurs (Galerie 9). L’équipement du musée d’art moderne (1965), l’appartement du collectionneur Maurice Jardot (1978) et la nouvelle conception de la galerie Louise Leiris (1989) définissent des espaces qui invitent à un dialogue entre le visiteur et les oeuvres. Charlotte Perriand est aussi un grand « bâtisseur ».


L’architecture des arcs (Galerie 8 et 10)
Réfléchissant à la préfabrication dès les années 1930, elle imagine avec Pierre Jeanneret un « Refuge Tonneau » (1938), tout à la fois abri et invitation au voyage. Cet amour de la nature et de la montagne explique la force et la discrétion de l’architecture que dessine Charlotte Perriand pour la station de ski des Arcs en Savoie (1967-1989). Rivalisant d’ingéniosité quant à leur inscription dans la pente, ses immeubles offrent à leurs occupants des lieux de repos, mais aussi de contemplation, avec de spectaculaires cadrages des sommets alpins (Galerie 10).


Enfin la dernière galerie du parcours (Galerie 11) invitera le visiteur à une méditation sur la place de la nature et l’importance du dialogue des cultures, avec la Maison de thé (1993), réalisée pour l’UNESCO et dialoguant avec des oeuvres d’artistes japonais, tels que Sofu Teshigahara et Isao Domoto.