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“Thibault Brunet” Boîte noire
à la galerie binome, Paris

du 11 octobre au 21 décembre 2019



www.galeriebinome.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Thibault Brunet, le 9 octobre 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Thibault Brunet, sans titre #11, série Territoires circonscrits, 2016. Tirage jet d’encre pigmentaire sur papier Epson Fine art coton smooth bright. Courtesy Galerie Binome.
2/  Thibault Brunet, sans titre #1, série Boîte noire, 2019. Tirage jet d’encre pigmentaire sur papier Epson Fine art coton smooth bright. Courtesy Galerie Binome.
3/  Thibault Brunet, AULT (nord-est), AULT (sud-ouest), 2019. Courtesy Galerie Binome. Sculpture photographique produite par Mille Cailloux Editions, environ 3000 tirages jet d’encre sur papier Fedrigoni Sirio perla 115 g/​m2, reliure Houdart par couture surjet au fil de coton blanc et colle vinylique sans acide coffret façonné main.

 


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Interview de Thibault Brunet,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 9 octobre 2019, durée 11'39". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

« Aucun appareil photo correctement programmé ne peut être entièrement percé à jour par un photographe, ni même par la totalité de tous les photographes. C’est une black box. Et pour le photographe, c’est justement le noir de la boîte qui constitue le motif à photographier. » Vilém Flusser

La perspective nous a tant habitués à une logique de représentation que nous avons oublié qu’elle n’était qu’une convention, une manière de s’approprier et de dominer un monde perçu par un point de vue et un sujet unique. Que se passe-t-il lorsque le fonctionnement opaque d’une machine ne nous délivre plus la rhétorique habituelle du paysage ? Lorsque des points de vue humains et non-humains se superposent, que le temps se greffe à l’espace, que le cadre ne délimite plus un horizon, mais s’étend en cercle autour de l’appareil et s’estompe à mesure qu’il s’éloigne de l’objectif ? L’univers obtenu semble émaner d’un point aveugle mais néanmoins omniscient, d’une incohérence visuelle qui, pourtant, délivre ses vérités cachées.

Pour sa troisième exposition person­nelle à la Galerie Binome, Thibault Brunet poursuit ses expérimentations photographiques autour de la virtualisation du réel, mais plus encore sonde le monde à travers l’œil de la machine afin de révéler les formes souterraines d’un inconscient technique.

Longtemps l’on s’émerveilla, ou l’on s’inquiéta, de ce qu’une technique écrive le réel par la lumière. Bien vite, cependant, cette trace indicielle fut incriminée par une double vision : l’objectif se nouait dans une subjectivité appareillée et un appareil subjectivé, le positivisme dans une féerie, et toujours demeurait l’énigme d’une boîte noire, dont le marketing ferait bientôt la pierre de touche de son storytelling.

Thibault Brunet a compris que toute machine de vision s’accompagne d’une ombre technicienne, que les données enregistrées et transitant par la boîte noire apparaissaient tel un nouvel input. À la fascination qu’exerce tout nouveau appareil de reproduction, Thibault Brunet préfère jouer avec le noir de la boîte et flirter avec ses limites. Il en résulte des paysages perçus comme fantastiques ou distordus, dont la cohérence optique ne procède plus de nos schémas cognitifs, mais du software et du hardware qui en modélisent la synthèse.

Depuis sa série Territoires circonscrits, réalisée grâce à un scanneur tridimensionnel qui enregistre l’environnement à 360 degrés et balaye le temps dans la durée, Thibault Brunet radicalise son geste, épure les données superflues et multiplie les points de vue. Le second balayage du processus photogrammétrique, celui apposant une couleur aux lignes, est évincé au profit d’une vision strictement machinique qui ne discerne les phénomènes que par contrastes et intensités, comme une voiture Tesla. Ainsi les forêts de la série Soleil noir traduisent-elles le trouble mélancolique d’une narration qui déplace le point de vue d’une personne vers celui d’un programme, situé six pieds sous terre ou dans les airs. De la photogrammétrie des falaises d’Ault, considérées comme les plus hautes d’Europe, Thibault Brunet en tire encore un livre d’ar­tiste* qui bouscule toutes les échelles et les corps de métiers liés à l’écriture, cette autre technique d’extériorisation de la mémoire. L’image est devenue un volume, une boîte consignant le mystère d’un souvenir cosmique. Cette mémoire rapportée est enfin l’objet de la dernière série éponyme de l’exposition. Les vues réalisées à partir de vidéos YouTube triées afin de ne retenir que celles des organes de presse, traduites en jpeg, puis modélisées en 3D agencent les ruines de guerre d’Alep et de Damas sous la forme d’une membrane quasi organique et close sur elle-même. À mi-chemin entre la restitution muséographique et le jeu vidéo, ces maquettes paraissent tout à la fois déréalisées et paradoxalement recorporalisées. Sans doute est-ce dans le noir de la boîte que la mesure du monde rencontre sa fluidité, que notre mémoire se moule sur le plan des appa­reils qui en révèlent et élargissent le domaine du sensible.

[texte] Marion Zilio, « Input➝▇➝Output », septembre 2019.



* Ault, livre d’ar­tiste-sculp­ture produite par Mille Cailloux Editions - Prix Révélation livre d’artiste ADAGP – MAD 2019