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“Kiki Smith” article 2847
au 11 Conti - Monnaie de Paris, Paris

du 18 octobre 2019 au 9 février 2020



www.monnaiedeparis.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse de l’exposition avec Kiki Smith, le 17 octobre 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Kiki Smith, Melancholia, 1999. Etching and aquatint on paper, 38.1 x 30.3 cm. Photo Ellen Page Wilson. © Kiki Smith, courtesy Pace Gallery.
2/  Kiki Smith, Harbor, 2015. Cotton Jacquard tapestry and gold leaf, 302.3 cm x 194.3 cm. Photo Kerry Ryan McFate Publisher Magnolia Editions. © Kiki Smith, courtesy Pace Gallery.
3/  Kiki Smith, Woman with Dog (détail), 2003. Porcelain, 30.5 × 32.4 × 14 cm. Photo Kerry Ryan McFate © Kiki Smith, courtesy Pace Gallery.

 


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Interview de Lucia Pesapane,
responsable de la programmation artistique à la Monnaie de Paris et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 17 octobre 2019, durée 15'34". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires :
Camille Morineau, Directrice des Expositions et des Collections de la Monnaie de Paris
Lucia Pesapane, Commissaire d’expositions et responsable de la programmation artistique à la Monnaie de Paris
Avec la collaboration de Marie Chênel




Le 11 Conti - Monnaie de Paris présente la première exposition personnelle de l’artiste américaine Kiki Smith (née en 1954, vit à New York) dans une institution française.

Exceptionnelle du fait de son ampleur, cette exposition inédite réunira près d’une centaine d’oeuvres, des années 1980 à nos jours. Deux sculptures accueilleront les visiteurs au sein des cours extérieures de la Monnaie de Paris et l’exposition se déploiera sur deux niveaux, sur plus de 1000m2, notamment au coeur des salons historique côté Seine. Le parcours conduira à travers les thématiques majeures du travail de l’artiste, parmi lesquelles le corps humain, les figures féminines et la symbiose avec la nature composent des motifs récurrents.

Les oeuvres présentées à la Monnaie de Paris refléteront la grande diversité de la pratique de Kiki Smith, qui explore de nombreux médium : le bronze, le plâtre, le verre, la porcelaine, la tapisserie, le papier, ou encore la cire.

L’art de Kiki Smith se nourrit symboliquement des souvenirs de son enfance – des lectures des contes de Grimm et de Perrault au travail de modélisation effectué pour son père, le sculpteur Tony Smith. L’ensemble de son oeuvre est marqué par sa fascination pour le corps humain, qu’elle représente d’abord de manière morcelée, la peau apparaissant comme une frontière fragile avec le monde. Dès le milieu des années 1980, Kiki Smith propose une manière inédite d’explorer le rôle social, culturel et politique des femmes. Son travail prend, par la suite, un tournant plus narratif. Dans une perspective féministe, elle s’empare notamment de grandes figures féminines bibliques pour en proposer de nouvelles représentations. Dans son corpus, celles-ci côtoient des héroïnes de contes, ou le personnage ambigu de la sorcière, à la croisée de l’univers fantastique et de la culture populaire. À partir des années 2000, les grands mythes des origines attirent progressivement son attention, et la cosmogonie devient un chapitre à part entière de sa pratique. Parallèlement, femmes et animaux coexistent souvent de manière harmonieuse : leurs corps se relient parfois et des fusions opèrent, indépendamment de toute vraisemblance.

L’oeuvre de Kiki Smith s’apparente ainsi à une traversée, une quête romantique de l’union des corps avec la totalité des êtres vivants et du cosmos. D’éléments microscopiques aux organes, des organes au corps dans son ensemble, puis du corps aux systèmes cosmiques, l’artiste explore la relation entre les espèces et les échelles, cherchant l’harmonie qui nous unit avec la nature et l’univers.

Si la sculpture occupe une place centrale dans son travail, Kiki Smith réalise également de nombreux dessins, aux dimensions souvent importantes. L’artiste apprécie particulièrement l’art de la gravure et possède une collection personnelle de médailles et de monnaies anciennes. L’exposition se prolongera au sein du parcours du musée du 11 Conti - Monnaie de Paris, avec une présentation de pièces issues des collections patrimoniales choisies par Kiki Smith.

Le catalogue bilingue qui sera publié à l’occasion de cette exposition sera le premier ouvrage d’importance en français consacré à son travail.

Cette exposition s’inscrit au coeur de la programmation artistique dirigée par Camille Morineau, qui accorde une attention particulière aux artistes femmes, ainsi qu’aux pratiques sculpturales convoquant l’exploration de différents matériaux et échelles de taille, de la miniature au monumental.






Extrait du texte publié dans le catalogue de l’exposition - Introduction par Camille Morineau, directrice des expositions et des collections à la Monnaie de Paris.

« Placée par l’artiste légèrement en retrait dans une alcôve attenante à l’entrée de l’exposition, une jeune fille en marbre (Pause, 2003) nous accueille, assise les bras croisés. Visible dans l’enfilade des salons donnant sur la Seine, un personnage à la posture similaire (assis, mais un peu plus grand et en bronze) nous fait signe de sa main droite levée : Annunciation (2010). Son geste se situe entre le bonjour ou l’adieu, et son genre oscille entre masculin et féminin. De fait, l’indécision et la densité des contenus, leur diversité, sont le propre de l’oeuvre de Kiki Smith : les sources en sont aussi bien biographiques (une amie à elle ayant subi une chimiothérapie, croisée habillée en homme), artistiques (un autoportrait de Frida Kahlo, les sculptures en bois de Gauguin) que religieuses (Guanyin). Un personnage central du corpus de l’artiste, la Vierge surprise par la nouvelle du miracle qui va la transformer en mère et en sainte, relève justement de cette dernière catégorie ; ainsi la main levée peut-elle aussi être celle de l’Ange annonciateur. Entre masculin et féminin, monde adulte et monde enfantin, l’ici-bas et l’au-delà, l’expérience personnelle et culturelle d’être une femme, cette sculpture, à l’instar de l’oeuvre de Kiki Smith dans son ensemble, incarne une réconciliation des contraires. L’une de ses plus étonnantes caractéristiques est l’inspiration profonde, à la fois spirituelle et formelle, que l’artiste tire de la religion catholique dans laquelle elle a été élevée. Elle s’en explique souvent : « it’s one of my loose theories that Catholicism and art have gone well together because both believe in the physical manifestation of the spiritual world » . Ce répertoire de formes canoniques n’est qu’un de ceux dont elle se nourrit, hybridant les techniques et les sujets de l’art contemporain avec des techniques et des sujets anciens, issus des beaux-arts mais aussi des arts décoratifs ou de l’art vernaculaire. Dans cet univers élargi de formes et de thèmes dans lequel elle se « promène » avec une grande liberté, sa propre expérience est essentielle : sa vie, son corps de femme, son entourage familial et amical sont intégrés comme autant d’éléments d’une oeuvre généreuse qui s’ouvre à tous. De fait parmi les nombreuses lectures possibles d’Annunciation, il y a une expérience personnelle, celle de l’artiste inspirée. Smith a expliqué que ce geste et ce titre évoquent ce moment magique où l’artiste reçoit, incrédule, ses idées. À l’image de la Vierge, elle est alors une femme surprise par un miracle, à la fois invisible mais prégnant. Appréhension, surprise, émerveillement : le geste salue, accueille, et rend visible.

L’un des aspects le plus fort et singulier de l’oeuvre de Kiki Smith est de remettre la femme au centre d’une iconographie artistique où elle avait été oubliée, reléguée à de petits rôles, et/ou déformée par le regard masculin. Parmi les quelques artistes femmes engagées dans cette redécouverte et que Smith cite volontiers, elle se distingue par l’épaisseur sémantique de son exploration allant du viscéral au végétal et jusqu’au cosmologique, sans perdre de vue l’essentiel : ce point de vue d’une femme qui recompose le monde autour d’un féminin apaisé, rassembleur, syncrétique. Le parcours de l’exposition, la première de cette envergure en France, est composé de dialogues, d’entrecroisements, plutôt qu’organisé par thèmes ou selon la chronologie. Toutes les périodes sont représentées, des oeuvres historiques des années 1980 jusqu’à celles produites pour l’exposition (Sungrazers VII, VIII, IX, 2019). L’éventail de ses techniques frappe : le bronze, le verre, la cire, le plâtre, la tapisserie et le dessin coexistent, si bien que certains des motifs sont volontairement déclinés à différentes échelles et dans différents matériaux, à l’instar de Pause et d’Annunciation. Le parcours a été précisément construit par l’artiste afin que ni le chronologique ni le thématique ne s’imposent : le récit fait alterner, selon ses mots, le « chaud » et le « froid », le « simple » et le « sophistiqué » (« plain and fancy ») ; le petit et le grand, l’artistique et le décoratif.

Le travail de Smith est une réconciliation des contraires. De même qu’inspiration et expiration se complètent dans la respiration, spirituel et corporel, masculin et féminin, homme et animal, enfance et monde adulte, artistique et décoratif, intérieur et extérieur du corps, vertical et horizontal, petit et grand s’y entendent. Le ciel et la terre, le corps et l’esprit, le liquide et le solide, matérialité et religiosité, poétique et tragique, banal et spirituel, art médiéval et art contemporain y sont invités à travailler ensemble. Au lieu d’opposer, son travail hybride. Au lieu de s’imposer, ses sculptures nous accueillent : ce sont des mises en cohérence.

(…)

Dans ce monde de l’art masculin et polarisé, le travail de Smith a ouvert un espace d’inclusion et de partage où les cohabitations sont possibles. Elle fut l’une des premières à représenter le corps féminin de l’intérieur ; à redonner une place centrale aux arts décoratifs et à la décoration, à utiliser des matériaux auparavant négligés comme le verre, le papier, le plâtre, la cire. À faire du liquide, du viscéral, du mou et du tombant, un possible répondant au solide, au cérébral, au dur, à l’érigé. Son oeuvre reste aujourd’hui unique par sa générosité. C’est une conversation où l’on est écouté, un espace habitable avec un dedans et un dehors : il est possible d’y être et puis d’en sortir. De s’asseoir à la table, d’y travailler ou d’y manger. J’ai été accueillie chez Kiki Smith comme son oeuvre m’avait accueillie avant que je ne la rencontre, et comme je voudrais que l’exposition accueille le visiteur : avec un mélange unique de bienveillance et générosité. La maison est l’atelier ; la personne est l’artiste ; le travail est le monde.

Par un extraordinaire hasard qui n’en est pas tout à fait un, la présence de Kiki Smith à Paris souligne la présence de la France et plus particulièrement de Paris dans son travail, et enfin de La Monnaie. Rien d’étonnant au vu de l’expérience européenne de l’artiste qui y a été montrée et y est représentée depuis longtemps, de son histoire familiale (sa soeur Seton Smith habite à Paris), de ses résidences à la Mayer’sche Hofkunstanstalt GmbH-Mayer, un atelier munichois réputé pour le travail du verre, de ses références artistiques nombreuses à des oeuvres de nos collections nationales. La Tapisserie de l’Apocalypse à Angers, le Retable d’Issenheim à Colmar, sont pour elle deux références artistiques essentielles, qui dessinent chacune une généalogie d’oeuvres spécifiques. La troisième de ces oeuvres de référence est moins connue, et l’artiste en mentionne la rencontre au musée du Louvre, mais c’est au musée Carnavalet à Paris que l’on en a retrouvé une trace : une représentation de Sainte Geneviève, patronne de Paris, où la sainte flanquée d’un loup – elle a le pouvoir de les domestiquer – et aussi entourée de centaines de moutons, symbolisant sans doute les parisiens qu’elle a sauvés. C’est grâce à ce tableau que Sainte Geneviève va prendre dans le travail de Smith une place essentielle : renouant d’un côté avec les héroïnes de contes (en particulier le Petit Chaperon Rouge, et dans son sillage les Alice et autres figures du passage de l’enfance à l’adolescence) et de l’autre avec sa préoccupation de figurer le lien entre la femme et l’animal ; la sainte prend ainsi une place essentielle dans son panthéon féminin et féministe.

Que j’apprenne lors d’une visite d’atelier en préparant cette exposition qu’elle collectionnait des médailles et des monnaies traditionnelles fut une première et belle surprise, pas totalement étrangère à son intérêt pour le petit, les arts oubliés et populaires, l’art décoratif, et sa pratique de l’édition puisque c’est ainsi que son travail d’artiste commença. Suite au cadeau qu’on lui fit d’une monnaie percée, elle réalisa en effet une édition de bijou dans la galerie A/D à New York, puis découvrit qu’en Asie et en Afrique ces monnaies étaient liées à l’histoire des femmes : elles étaient à la fois des parures et une manière d’arborer les richesses familiales, de se déplacer en portant les enfants et l’argent dans le même geste, de fuir avec le cas échéant. Ces objets féminins, négligés, parce que mobiles et fragiles – beaucoup de ces pièces ont été fondues – l’ont attirée parce qu’ils n’intéressaient personne. Et sa passion pour les monnaies traditionnelles, qu’en anglais on nomme opportunément « odd and curious », se développa dans ce sillage. Les objets les plus étranges peuvent servir de valeur d’échange, comme le montre bien le Musée du 11 Conti : l’artiste a donc choisi des objets de nos collections pour mieux représenter la sienne, la complétant par des sculptures de sa production qui utilisent la monnaie comme matériau. Ainsi le parcours de l’exposition, prolongé par une boutique où les nombreuses éditions de l’artiste cohabiteront avec des pièces et des bijoux qu’elle a réalisés spécifiquement pour La Monnaie de Paris, se prolongera jusqu’au musée, en passant par les cours intérieures où seront placées des oeuvres.

(…)

J’aimerais clore ce texte avec l’oeuvre qui accueille les visiteurs de l’exposition, Sleeping, Wandering, Slumber, Looking About, Rest Upon (2009). Dans le Salon Dupré consacré aux grands hommes de la Monnaie de Paris et où les précédents artistes invités ont eu tendance à proposer des oeuvres monumentales et verticales, Kiki Smith a imaginé une oeuvre reposant sur la dissémination, l’horizontalité, la féminité et l’animalité confondues. Trois femmes en bronze dorment, accompagnées de trois moutons. Les mots du titre reprennent et décrivent très brièvement la posture de chacune de ces six formes, qui invitent à circuler entre elles et pourquoi pas à s’y asseoir, comme l’animal perché sur le corps endormi. Ni imposants ni monumentaux, femmes et animaux coexistent en paix et nous invitent à la contemplation et au repos. Ils/Elles sont à moitié endormi.e.s, à moitié éveillé.e.s, et légèrement plus grand.e.s que nature : cela nous dit leur importance, rien de plus. À l’opposé de l’homme dressé, aux aguets, héroïque ou penseur, la femme et l’animal dorment – rêvent ? – en harmonie – l’animal veille sur la femme –, et occupent désormais l’espace. »