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“Huysmans, De Degas à Grünewald” Sous le regard de Francesco Vezzoli
au Musée d'Orsay, Paris

du 26 novembre 2019 au 1er mars 2020



www.musee-orsay.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 25 novembre 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Francesco Vezzoli (1971-), L’Innocente (Ida Rubinstein), 2019. Impression jet d’encre sur toile, broderies de fils métalliques, tissu et bijoux fantaisie, 43 x 34 cm. Photo © Courtesy of the Artist.
2/  Maître de la Légende de sainte Madeleine, d’après Rogier Van der Weyden, La Vierge au jardinet, 1490-1525. Huile sur panneau de chêne, 75,2 x 56,5 cm. Strasbourg, musée des Beaux-Arts. Photo © Musées de la Ville de Strasbourg, A. Plisson.
3/  Jean-Louis Forain (1852-1931), Joris-Karl Huysmans, 1878. Pastel, 55 x 44,5 cm. Paris, Musée d’Orsay. Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

 


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Interview de André Guyaux,
professeur de littérature française à la Sorbonne Université et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 25 novembre 2019, durée 9'57". © FranceFineArt.

 


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Interview de Francesco Vezzoli, artiste et cinéaste,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 25 novembre 2019, durée 6'54". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires :
Stéphane Guégan, conseiller scientifique auprès de la présidente des musées d’Orsay et de l’Orangerie
André Guyaux, professeur de littérature française, Sorbonne Université




Cette exposition est organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie et les Musées de la Ville de Strasbourg. Le musée d’Orsay a souhaité inviter l’artiste Francesco Vezzoli à porter son regard sur l’exposition et à inventer le monde visuel dans lequel les oeuvres littéraires et artistiques évoquées ici ont été révélées. Projet artistique réalisé en collaboration avec Donatien Grau, conseiller pour les programmes contemporains.


Plutôt féru de Rembrandt et de Hals jusque-là, Joris-Karl Huysmans (1848-1907) est bouleversé, de son propre aveu, par la découverte de Degas, lors de l’exposition impressionniste de 1876, la deuxième du genre. Degas, l’artiste de la « commotion » jouira d’un statut particulier dans sa critique d’art, qui admet d’emblée la possibilité d’une double modernité. Les peintres de la vie moderne et les explorateurs du rêve n’ont pas à s’exclure. Son désir d’échapper aux logiques de chapelle, du naturalisme au symbolisme, aura toutefois porté tort à Huysmans, dont l’oeuvre critique souffre encore d’une méconnaissance relative. Mais cette image brouillée est peut-être la chance de l’exposition, qui entend montrer que ce supposé fils de Zola agit davantage en héritier de Baudelaire, sa véritable autorité, et en émule de Théophile Gautier, autre passeur de la modernité. Le public est ainsi invité à reprendre pied dans un moment particulier de la sensibilité moderne, à la croisée de la poussée naturaliste des années 1870, du décadentisme des années 1880-1890 et du « retour » aux Primitifs sur fond de renaissance catholique, vers 1900. Peu de grands écrivains contribuèrent autant à ce vaste mouvement d’époque, peu l’éclairent avec une telle vigueur descriptive et analytique.

Une première séquence couvre les années 1876-1883 et se caractérise par la nécessité (au fond, bénéfique) d’avoir à rendre compte du Salon, en plus des manifestations de ce que Huysmans appelle la « peinture indépendante ». À l’art académique, triomphe insolent du « poncif habile », Huysmans oppose sans surprise l’«art moderne», celui qui est présent au Salon, ou qui prospère à ses marges : Manet, Gervex et Eva Gonzalez représentent, sur les cimaises officielles, les « peintres de la modernité ». Sa croisade en faveur des « peintres de la vie moderne » débute en 1877-78 avec ses articles sur Manet (Nana) et Gervex (Rolla). Mais Huysmans n’accepte pas en bloc ceux qui creusent une brèche dans le système officiel des expositions parisiennes. Plutôt qu’à Pissarro et Monet, ses préférences vont à Caillebotte, Degas, le premier Gauguin et Forain, vite devenu son complice. Ce sont, au sein des impressionnistes atmosphériques ou trop informels, « les réalistes ». Sa fidélité à Raffaëlli se développe alors.

Pour Francesco Vezzoli, ce moment devient celui de la création de la valeur, où un auteur à part entière reconnaît pleinement les artistes, ses pairs.

Le second « moment » considère les années 1884-1889, qui se referme sur Certains. Derrière Des Esseintes et le musée latent d’A rebours se dessinent, outre Baudelaire et Barbey d’Aurevilly, les figures de Robert de Montesquiou et d’Edmond de Goncourt. Huysmans affiche un goût prononcé pour Gustave Moreau, Odilon Redon, Whistler, Rops, les dessins d’Hugo, alors que Puvis de Chavannes est un sujet d’irritation croissante. Huysmans voit en lui le pasticheur des Primitifs. Le décadentisme de Huysmans, à travers Des Esseintes et le grand modèle des Fleurs du mal de Baudelaire, en appelle à des denrées moins éthérées. Mais le héros de Huysmans échoue lui-même à s’enfermer dans la claustration narcissique de son musée imaginaire, loin de toute emprise de l’Utile. Aussi le supposé manifeste de la décadence se referme-t-il sur un appel à la foi, à défaut de croyance : « Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l’incrédule qui voudrait croire, etc. » La section décadente conduit naturellement à explorer la réflexion du critique sur l’art religieux et sur l’art d’Eglise.

Francesco Vezzoli évoque ici la maison de Des Esseintes, entre religion de la décadence et essor religieux. Celle-ci fut réalisée, par un autre écrivain, Gabriele D’Annunzio, dont la demeure est située au coeur du Vittoriale degli Italiani. Au milieu de ce monde fantomatique, apparaît notamment la tortue, figure mythique du roman, dont la mort symbolise la fin de l’utopie décadente, et que Francesco Vezzoli a réalisée.

L’importance grandissante accordée aux Primitifs, - la publication de La Cathédrale (1898) marquant une étape remarquable - succède à son intérêt précoce pour la peinture religieuse et ses difficultés à se renouveler. Au temps du naturalisme, Huysmans espérait ce renouveau des suiveurs de Bonnat et de Jean-Paul Laurens. Au seuil du nouveau siècle, il se tourne plus résolument vers le mystérieux Charles-Marie Dulac, tandis que la découverte de Grünewald le foudroie. La parution de Trois primitifs (1905), à l’heure des lois Combes, fait date et quelques émules, avant la disparition précoce de l’auteur.

Dans ce dernier moment de l’exposition, par une installation saisissante, Francesco Vezzoli fait revivre, entre doute et certitude, l’expérience de conversion vécue par Huysmans lui-même. « Huysmans était capable d’endosser et de quitter, à intervalles très rapprochés, diverses identités intellectuelles. De ce point de vue, sa personnalité était à la fois très moderne et très affirmée. »